Renaud : un cœur tendre sous une armure de cuir

Nous Deux

N° 1906, 11 au 17 janvier 1984

LA SEMAINE DE MICHEL DENISOT

 

 

Choisir pour ne pas subir. Voici, en moins d’une ligne, résumée la philosophie de Renaud Séchan, dit Renaud-tout-court.

Une étape décisive dans la carrière de Renaud : se produire à l’Olympia, en janvier 1982. Gérard Lanvin était venu l’encourager.

– Je prends beaucoup de soin pour ne pas me laisser piéger par le monde du show-business, car, à mes débuts, je n’ai pas toujours été en mesure de maîtriser ma carrière ; je me suis parfois laissé dévorer. Aujourd’hui, c’est fini. Je choisis.

Hugues Aufray et Renaud

La preuve : Renaud a disparu pendant près d’un an. Il est parti. Pour respirer l’air pur. L’air du large.

– Je ne connaissais rien à la voile, mais j’avais envie de partir en bateau avec ma femme et ma fille Lolita. Je ne savais pas pour combien de temps. Je ne savais pas pour quelle destination, j’ai vécu des moments exceptionnels, je repartirai bientôt.

N’allez pas croire pour autant que Renaud se prenne pour Tabarly. Il navigue seulement le long des côtes, et il avoue connaître aussi bien les bistrots des ports que les balises de navigation.

Considérons donc qu’il fait escale. Il en profite pour nous proposer un album qui sent parfois les embruns et où souffle plus que jamais le vent de la vraie liberté. Cette escale sera suffisamment longue pour qu’il passe l’hiver en tournée à travers toute la France. Une tournée qui marchera à coup sûr, car Renaud touche un public jeune qui se reconnaît dans son langage. 

Paris et sa banlieue.

Ce jeune homme aux cheveux de plus en plus longs est né – pour la chanson – en mai 1968, tiens, tiens ! A la faveur d’une aventure, Renaud commence, en effet, à écrire et composer ses premières chansons dans la fièvre des événements de Mai. Il a seize ans et, sous les pavés, il découvre l’injustice et la révolte. Fuyant les contraintes de son lycée, il chante pour les étudiants qui occupent une Sorbonne provisoirement ouverte à toutes les audaces. Divers petits métiers l’aident ensuite à vivre, tout en lui permettant de fréquenter l’école de la rue. Renouant avec la tradition des chanteurs de rue, flanqué d’un copain accordéoniste, il interprète les plus beaux fleurons du répertoire populiste aux terrasses des cafés, aux carrefours des boulevards ou dans les cours des immeubles. 

Une fan particulièrement attentive : Dominique, la femme de Renaud

– J’ai tout connu, ce qui me permet de mieux apprécier ce qui m’arrive maintenant, je n’ai jamais été un enfant gâté, même si j’ai vécu dans un milieu familial confortable.

Un premier disque enregistré un peu au hasard contribue à lui ouvrir les portes du métier, dont il gravit progressivement les échelons. De la Pizza du Marais au Théâtre de la Ville, en mars 1979, qui affiche complet avant même la première représentation. L’année d’après, c’est Bobino qui l’accueillera pendant quatre semaines. Entre-temps, les « médias » d’abord réticents, sinon hostiles, consacrent Laisse béton. Mais Renaud vaut mieux que ce tube éphémère auquel son talent ne saurait se réduire.

Paris et sa banlieue constituent l’univers privilégié dans lequel s’épanouit un répertoire qui se nourrit du quotidien, et même des faits divers, dont Renaud témoigne dans ses chansons-caricatures et ses véritables reportages chantés.

Poète de la zone, il s’identifie au « loubard ». Mais, sous la violence apparente et la colère réelle (écouter Le déserteur), perce une infinie tendresse. Tel le San Antonio de Frédéric Dard, le personnage du loubard permet en fait à Renaud de stigmatiser la lâcheté, la mesquinerie et l’intolérance de l’homme aux prises avec les convulsions d’une société impitoyable. Sous l’armure du blouson de cuir bat un cœur tendre.

Dans les chansons de Renaud, l’angoisse, la déprime, la dérision et la violence côtoient l’amour, l’amitié et le rêve.

  

Source : Nous Deux