Johanna Copans, co-commissaire de l’exposition consacrée à Renaud à la Philharmonie de Paris, a consacré une thèse à l’œuvre de son héros de jeunesse.
Johanna Copans, qui partage avec David Séchan le commissariat de « Putain d’expo ! », est mieux qu’une fan: elle a soutenu une thèse consacrée au chanteur énervant. C’était il y a dix ans, sous l’intitulé « Le Paysage des chansons de Renaud : une dynamique identitaire » (publiée chez l’Harmattan en 2014). Un travail qu’elle avait pu remettre en mains propres à Renaud, à la Closerie des Lilas. « Il m’avait posé plein de questions sur la première partie, pendant une heure et demie, mais je ne crois pas qu’il ait poursuivi la lecture jusqu’au bout », explique-t-elle. C’est à Valenciennes qu’elle l’avait soutenue, aucun directeur de recherches parisien n’ayant estimé le sujet assez intéressant. « Je voulais montrer que son écriture est restée cohérente de ses débuts à aujourd’hui. »
Cette spécialiste de Robert Doisneau et Blaise Cendrars a même pu sensibiliser ses examinateurs à l’œuvre du chanteur. C’est à l’âge de 7-8 ans, par l’intermédiaire d’un grand frère plus âgé de dix ans, qu’elle a s’est familiarisée avec celle-ci, alors qu’elle vivait avec ses parents à Nairobi (Kenya). « Mon frère était resté à Paris pour ses études. Lorsqu’il nous a rejoint pour les fêtes de Noël, il avait apporté quelques cassettes dont celle de Mistral Gagnant », se souvient la jeune quadragénaire. « Je suis tombée dedans, et cela m’a suivie pendant mes années collège et lycée. J’étais très politisée, j’achetais Charlie Hebdo, on débattait au foyer, j’avais la salopette, le foulard accroché à la taille. »
C’est à La Mutualité, en 1995, qu’elle découvre son héros sur scène, avant de prendre ses distances pour mieux y revenir. « Avec cette thèse, je voulais prouver qu’on peut livrer un travail scientifique sur une passion. » Elle peine à trouver un professeur d’université dirigeant des thèses sur la chanson au sein de Paris IV.
« Il y avait bien eu des choses à Sciences Po mais ça n’allait pas au-delà. La chanson était moins bien vue que la poésie. Pour moi, une chanson ce n’est pas qu’un texte, c’est un rapport entre musique et texte, une interprétation sur scène et une réception par un publie et des médias. À ce titre, la relation de Renaud à la presse est très intéressante. » Des pages culturelles de Libé au Nouvel Obs en passant par Le Figaro, Renaud a souvent eu la dent très dure vis-à-vis des journalistes.
Le verlan, l’argot, les gros mots, Renaud les a popularisés, tout comme des mots utilisés au XIXe siècle chez Bruant. « Il a inventé une langue pleine d’humour, très visuelle et pleine de petites allusions. Il n’hésite pas à se moquer de lui-même en plein milieu d’un texte. Son langage s’entend aussi entre les chansons, pendant les concerts. Pour moi, c’est sa marque de fabrique. Il a fréquenté les banlieues à travers une amie qui vivait à Argenteuil. Quand on passe le périph, il adopte un ton très social, il est très fort pour cela. Moi qui habitais en Afrique de l’Est, j’arrivais à me retrouver dedans, c’est dire. Des écrivains et des linguistes se sont intéressés à lui, comme Louis-Jean Calvet, ancien professeur de linguistique à la Sorbonne et passionné de Renaud. Alain Rey a écrit un très beau texte dans le catalogue. Il compare Renaud à Céline au niveau de l’écriture. Il ne connaissait pas bien, il a tout écouté, est entré dedans. C’est un grand chanteur populaire qui a inventé une langue. »
À partir de la naissance de sa fille, en 1980, Renaud commence à parler plus volontiers de sa vie personnelle. « Les personnages des chansons existent tous, Michel, la pépette, les gens du HLM. Thierry Séchan vivait dans une tour du XIIIe. De ces traces de vie, il a tiré une forme d’autofiction. Lolita a grandi d’album en album, il y a aussi son fils Malone. Il est très intime tout en ayant beaucoup de pudeur. » Où c’est qu’j’ai mis mon flingue, une des chansons les plus violentes du répertoire, est aussi une des préférées de Johanna Copans. « Je chantais ça à l’arrière de la voiture à 10 ans. Et je voulais que Fatigué remplace La Marseillaise comme hymne national ! » Il raconte bien la désillusion, dès Hexagone, en 1975, sur son premier album. « C’est la chanson que tout le monde réclamait en concert. Il n’y a que sur la dernière tournée qu’il ne l’a pas chantée en entier. » En 2001, des rappers s’appropriaient le titre à travers la compilation Hexagone 2001. « Il s’est arrêté de parler de la banlieue dans la Belle de mai, puis le thème a complètement disparu de ses chansons. »
Ces dernières années ont hélas vu le niveau d’écriture du bonhomme s’essouffler. Sur Les mômes et les enfants d’abord, en 2019, Renaud renouait avec des éclats de son talent passé. « On retrouve ses gros mots, même si on a perdu la dimension de l’engagement social. » J’ai embrassé un flic, écrite après les attentats de Charlie Hebdo, a nettement divisé son public.
« Pour moi, c’est une chanson qu’on ne peut pas séparer de son contexte : la grande manif du 11 janvier 2015. Elle a mis plein de fans en colère, mais je préfère garder de la distance avec cela. Renaud a toujours été dans la contradiction et la provocation. Il y a quelques années, j’ai dédicacé ma thèse à la Fête de l’Humanité. Je me souviens de la réaction d’un monsieur très en colère. » ■