Hit
N° 98, mars 1980
Il a la maigreur des gens angoissés ou des étudiants fauchés qui se cherchent. Ce n’est ni l’un ni l’autre ou peut-être les deux à la fois. Renaud a passé l’âge d’être étudiant (il a 27 ans) et il ne doit plus être fauché puisqu’on vient de lui remette son deuxième disque d’or, alors il doit se chercher. En l’écoutant chanter ou en le voyant évoluer, on voit bien qu’il a compris beaucoup de choses puisqu’il arrive si bien à les faire passer. Alors qui se cache derrière Renaud, le faux loubard de la chanson française ?
Renaud est un peu un phénomène, un genre chanteur hors monde. On pense qu’il s’adresse à une catégorie spéciale de gens, on ne comprend pas vraiment ses tatouages, ses cheveux décolorés, ses blousons de cuir et son allure de cow-boy désœuvré, pourtant on se prend d’amitié pour lui et on se sent prêt à lui emboîter le pas. « Renaud, moi, pas très fans… » On a entendu dire cela plusieurs fois ; parce que l’on ne comprend pas vraiment son langage et sa musique un peu vieillotte. Mais faites le voyage, allez le voir et vous comprendrez. Son allure, son physique ont quelque chose de gauche qui plaisent. Ses chansons de « demi-dur » qui veulent tout casser font sourire et quand un Loulou parle « cœur », vous vous mettez à fondre. Ce sont les plus sentimentaux…
C’est un des rares chanteurs à ne pas cacher son penchant pour « l’amour ». Il loue sa gonzesse pour lui dire son amour. Il vous parle maison et bouffe de famille pour vous faire regretter de n’être que fils unique. Lui est issu d’une famille de cinq enfants et aimerait en avoir autant. Alors ce cow-boy du béton est tout simplement un fils de famille qui voudrait perpétuer l’espèce ? Non ! C’est un garçon de l’an 2000, ayant gardé les atours des cow-boys. Il conduit une grosse cylindrée, fréquente les banlieusards dans des troquets, mais penses toujours à sa « Gonzesse ».
Renaud a fait tous les métiers du monde avant d’être « artiste ». C’est pour cela qu’il écrit si bien la zone, premier monde auquel il s’est frotté. La musique, ce n’est pas pareil. C’était pour s’évader, surtout en 68, quand rien n’allait plus, mais c’est resté dans sa tête comme une mélodie entêtée. Il a écrit des mots durs sur des airs doux d’accordéon, encore une fois un contraste, mais Renaud en est plein. Il a fallu une chanson plus entêtante que les autres pour le faire remarquer : « Laisse béton » (laisse tomber en verlan). A partir de ce moment, on l’a trouvé génial. La scène a suivi. Les petits malins se frottaient les mains en imaginant sa défaite, mais Renaud savait jouer avec le public. Il était lui aussi pensionnaire du fameux café de la gare. Il avait encore gagné.
Ces deux premiers albums ont marché, aujourd’hui, il présente son troisième, « Marche à l’ombre », et encore une tournée.
« Depuis que je suis connu, dit-il, c’est bien plus difficile. Avant quand je passais sur scène il y a avait un contact étroit entre le public et moi. Maintenant c’est devenu un affrontement. » Pas dégoûté pour autant, Renaud prépare Bobino (du 11 au 7 avril) après avoir rodé son spectacle pendant un mois en province. « Pour ma première partie, j’aurai un accordéoniste, j’aurais voulu Marcel Azzola, mais il n’est pas libre. Je chanterai Piaf et Bruant. Cela faisait longtemps que j’avais envie de faire cela. »
Il chante ses maîtres avant de se chanter. Pour la seconde partie, il sera accompagné de musiciens d’Odeurs.
« J’ai besoin d’un vrai groupe pour travailler mes compositions. Je trébuche encore sur mes musiques. Je n’ai pas assez travaillé mon solfège quand j’étais jeune. »
Ses mots, par contre, sonnent juste à point. Comme il en a aussi très envie, il écrit un scénario de film. Devinez quoi ? Un genre western urbain, un peu les sept mercenaires revu par un loubard. Vous voyez le genre ! Il n’aura pas de mal à trouver le héros principal, M. Renaud Séchan s’impose.
« Je préfère oublier mes premières expériences cinématographiques (comme Mme Ex pour la télévision). Je suis avant tout un chanteur, un chanteur populaire… »
YSABEL SAIAH
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