Renaud : Une bande de rap à lui tout seul !

Fluide Glacial

N° 296, Février 2001

RUBRIQUE : PIPOLE A GRATTER

PAR FIORETTO, ILLUSTRATION : SOLE

Avec cette nouvelle rubrique, nous voudrions faire découvrir et partager d’autres formes d’humour en donnant la parole à des musiciens, des chanteurs, des cinéastes, des comédiens qui, comme nous, cultivent leur différence en gardant un esprit tout à fait Fluide.

RENAUD :

UNE BANDE DE RAP A LUI TOUT SEUL !

NE PAS DÉRANGER. Renaud n’est là pour personne. sauf pour ses copains et pour les causes qu’il continue à défendre, loin du brouhaha médiatique. Le chanteur énervant, celui que Brassens aimait, l’homme aux 12 millions d’albums vendus, poursuit une tournée phénomène sans promo et… écrit son prochain CD ! Pour nous faire patienter, les rappeurs français ont repris quelques-unes de ses chansons dans un album qui sort ces jours-ci. Hommage discographique sans précédent. du genre qui décoiffe. Et interview exclusive, yo !

On pourrait se vouvoyer pour faire plus sérieux ?

T’as raison. La déontologie, c’est important dans ton métier.

Fidèle à ton habitude, tu fuis les médias, tu refuses les télés, et tu acceptes une interview en exclu pour Fluide Glacial. Tu te fous de qui ?

D’une certaine presse branchée et soi-disant « leader d’opinion » qui prétend faire et défaire les modes, dire ce qu’il faut penser, ce qu’il faut aimer, etc. Des médias qui décident à la place des gens, qui traitent de « beaufs » tous ceux qui ne sont pas des branchés parisiens. Au fond, Fluide c’est plus honnête et en tout cas plus drôle que pas mal de torchons « tendance »… Quand j’ai un truc à dire, une sortie d’album à annoncer, je préfère faire ces choix qui semblent aberrants aux professionnels de la profession. Mon public, qui a oublié d’être con, s’y retrouve. Et puis toi, t’es un pote.

Pas très déontologique ça ! ?

RAB, comme dirait Gotlib…

On peut, aujourd’hui, poursuivre une carrière loin des grands médias ?

Oui. On peut bourrer des salles1, être disque d’or, sans une once de promo. Il suffit de passer dans Fluide ! (NDLA : ma parole, il se fout de nous aussi !)

Tout le gratin du rap s’est réuni pour enregistrer tes chansons et les réunir en un album qui sort ces jours-ci2. À ma connaissance, il n’y a que Brel, Brassens et Trénet qui de leur vivant ont reçu un tel hommage de toute une génération. Après les thèses universitaires, les manuels scolaires, les grands prix du disque… les rappeurs. ça fait quoi ?

C’est un hommage de la rue, et ça, ça vaut largement les hommages de toutes les Académies. C’est la vocation de la chanson populaire d’être reprise, colportée, voire transformée. Moi, à vingt ans, je chantais Bruant, Brassens, Fréhel. Je ne suis pas mécontent d’être à mon tour repris par d’autres, par des p’tits lascars à priori plus modernes que moi.

Tu écoutes du rap ?

De temps en temps, quand je tombe sur les radios FM spécialisées. Mais pas tout. Loin de là. Certains rappeurs sont en uniforme, sont armés, n’ont pas une once d’humour et des gueules de frappes : des militaires quoi ! Je suis surtout intéressé par les textes, les atmosphères, les personnages qu’ils décrivent. Leur révolte. J’aime bien ce que font des gens comme Akhenaton, Ministère Amer, Doc Gynéco,… Si j’en oublie, et j’en oublie évidemment, ça va gueuler, y vont m’envoyer leurs Pitbulls ! 

Comment ça c’est passé, l’enregistrement de cet album ?

II a d’abord fallu que ma maison de disques (NDLA : Virgin) mette d’accord entre eux tous les « labels ». Un sacré job quand tu connais le milieu du rap, où on se tire souvent la bourre! On a filé les textes de mes chansons aux rappeurs. Ils ont choisi ceux qui leur plaisaient. Dans l’album, il y a des titres marrants, énervés, tendres,… Je te recommande : Les Charognards, par Less du Neuf, ‘achement bien, surtout les paroles ! (rires).

Certains n’étaient pas nés quand tu as commencé à chanter et ne connaissaient que tes tubes. Comment ont-ils réagi en découvrant tes textes ?

On m’a raconté que certains n’arrivaient pas à croire que j’ai chanté des trucs comme « Hexagone », « Où c’est que j’ai mis mon flingue », « Société tu m’auras pas »,… il y a vingt ans, dans la France de Giscard ! Ils ont souvent été surpris par le côté « teigneux « de quelques-unes de mes chansons. D’autres ne savaient même pas ce qu’étaient les santiags que je me fais chouraver dans « Laisse béton »! Ils les ont peut-être remplacées par des Reebok ou des Nike dans la version rap… Il y a aussi les allumés du Saïan Supra Crew qui m’imitent dans « Marche à l’ombre »!

Ils ont rappé sur tes musiques ?

Non, la plupart ont fait leurs propres arrangements. Il ne reste plus grand-chose de mes musiques d’origine. Ils ont parfois glissé un brin d’accordéon dans leurs arrangements, ça c’est plutôt rare dans un album de rap !

Tu aimes le résultat ?

Totalement intéressant, mais complètement déroutant. Ça balance vraiment bien, surtout le « flow », le phrasé, la tchatche comme ils disent, mais j’avoue que musicalement, c’est pas trop mon truc. J’aime les mélodies et là, y en a plus beaucoup. Et puis, il faudra m’expliquer comment ça se danse !

Tu préfères « Mistral Gagnant » repris par Yves Duteil ou « Dans mon HLM » rappé par Disiz la Peste ?

Je préfère « Renaud chante Brassens » ! Je déconne… J’aime bien la version qu’a faite Duteil de « Mistral ». Dussé-je faire rire les rappeurs, Duteil, je respecte. C’est sûr que la version rap du « Petit pont de bois » par Disiz la Peste, ça doit killer à mort!… (rires)

Question vachement déontologique : avec la carrière que tu as derrière toi, les honneurs, la reconnaissance, l’argent… tu te considères encore crédible dans le rôle du « révolté » ?

Ce n’est pas un rôle, c’est de naissance. C’est même dans mon nom : selon le Larousse, « être en renaud » , « renauder », c’est être en colère, râler. Le succès n’y changera jamais rien Comme dit la chanson : « c’est sûrement pas un disque d’or, un Olympia pour moi tout seul » qui m’empêcheront jamais d’aller chanter à l’UNESCO pour les enfants de l’Intifada ou au pays Basque, en soutien aux prisonniers politiques basques qui luttent pour leur regroupement dans les prisons d’Euskadi.

La banlieue a toujours été présente dans tes chansons. « La chanson du loubard », « Banlieue rouge »,… Mais entre les premiers textes avec leurs personnages et leurs bastons pittoresques et les dernières comme « Willie Brouillard », le regard a changé, plus sombre.

II a changé en même temps que la banlieue : entre le désespoir et la violence, la misère sociale et les ravages du chômedu, pas toujours évident de porter un regard tendre et humoristique. C’est sans doute pour ça aussi que les rappeurs ne sont pas franchement des comiques..

Dans Charlie Hebdo, tu as écrit que tu donnerais toutes tes chansons pour savoir dessiner comme Cabu ou Luz. Tu es toujours autant amateur d’art graphique, de bande dessinées ?

Je me suis amusé pendant quinze ans à constituer une magnifique collec’ de BD. Depuis que j’ai toutes mes préférées, ]e me suis un peu calmé de ce côté-là. Maintenant je collectionne les Van Gogh originaux, j’en ai déjà zéro.

Quelle est ta plus belle pièce en BD ?

Une double planche originale en noir et blanc de Hergé, extraite du « Sceptre d’Ottokar ». Parmi les contemporains, j’aime bien aussi Bilal, Tardi, Manara, Goossens, et bien sûr toute l’équipe de Fluide (rires déontologiques).

Et à part nous, qu’est-ce qui te fait marrer ?

Où t’as vu que vous me faisiez marrer ? (rires consternés). Sérieusement… tu veux savoir ce qui me fait rire ? Jean-Yves Lafesse… et les éditos des Inrocks.

      1. voir encadré.
      2. NDLR : les dates de la tournée « Une guitare, un piano,…et Renaud  » sur backline.fr

Le titre : HEXAGONE 2001

Le sous titre : Rien n’a changé

La critique hyper objective : c’était pas gagné d’avance… On savait déjà qu’il ne restait rien, ou presque, des musiques, les textes, eux, allaient-il a résister au « rappage » Après deux écoutes et deux plainte des voisins (car ça s’écoute à fond), réponse évidente: ça marche, man ! Comme si toute une génération musicale avait enfin trouvé les mots qui souvent lui manquait. Comme si Sliman, le p’tit beur de « deuxième génération » qui, dans la chanson , n’a rien à gagner. rien à perdre , même pas la vie, avait fini par le faire son disque avec ses potes !La classe du meilleur auteur français en sus …

Les pipoles

Réalisation : Mitch Olivier
Enregistré au studio Twin Rang Davout
Mixé au studio Ramsès
Masterisé à New York

Avec, par ordre d’apparition les woofers :

Big Red : Où c’est qu’jai mis mon flingue
Saïan Supa Crew : Marche à l’ombre
Disiz la Peste : Dans mon HLM
Rohff : Deuxième génération
Oxmo Puccino : Je suis une bande de jeunes
K’ommando Toxic 1 Mathieu Ruben : Etudiant – Poil aux dents
Less du Neuf : Les charognards
Rocca : Morts les enfants
Expression Direkt : Société tu m’auras pas
Nap : Fatigué
La brigade : Marchand de cailloux
Mc Jean Gab’1 : Laisse béton
Cinefro, EJM, Aspik, Awaw, D Dy, Doudou Masta : Hexagone

La sortie nationale :

Vers le 10 Février.

 

Source : HLM des fans de Renaud