Renaud : Une lucarne sur la ville

ROCK en STOCK

N° 29, octobre 1979

Il lui suffit de dire « Laisse béton », ce qui en verlan, l’argot des périphéries parisiennes, veut dire « Laisse tomber » pour qu’on ne le laisse pas tomber du tout et même qu’on l’écoute attentivement. Il s’agit bien sûr de Renaud, « loubard périphérique », Séchan de son nom de famille, celui qui savait depuis toujours qu’il voulait faire l’artiste et rien d’autres…

Alors le voilà, Renaud Séchan, assis au fond du bistrot où le chien lui fait la fête. Normal, le bistrot c’est en quelque sorte son Q.G., là où il consomme force cafés, Calva et croques-monsieur, entre deux courses au BHV voisin où il s’approvisionne en éléments de décor pour sa maison. Sa maison, un grenier où il a percé des fenêtres – même que c’est interdit – sa maison, c’est important pour lui, il la fignole, l’explique, l’aime. Lui, ce n’est pas le genre campagne. Paris-Paname lui suffit du moment qu’il y ait une lucarne qui s’ouvre sur le ciel, et aussi sur la ville. Son visage a perdu les rondeurs gamines de ses début – oh c’était il y a juste quatre ans. Il se promène avec une nouvelle moustache, il n’a pas son cuir, mais une chemise hawaïenne turquoise, et il se marre doucement, en coin :

« Hein quand même ! On ne me reconnaît plus. Comme quoi… »

Vingt-sept ans et un long passé derrière lui avant d’enregistrer son premier album qu’il avait dans le cœur depuis longtemps. Coursier, c’est même comme ça qu’il est arrivé un jour dans une maison de disques. Et puis manœuvre, barman, brocanteur, libraire, routard, « peinard », comme il dit dans « Laisse béton ». Mais l’artiste iI l’avait déjà fait bien avant, tout gosse, dans un film que tous les gosses connaissent : « Le ballon rouge ».

« On était avec mon frère jumeau dans la rue, et on regardait comme des idiots ce truc, le ballon rouge, s’envoler. Tu parles d’une blague. Enfin ça m’a fait une approche du métier tout ça grâce à mon père qui était dans la photo.  D’ailleurs mon frère jumeau est aussi dans la photo. »

« Mais mon père, quand même, il aurait dû me botter les fesses plus souvent pour que j’apprenne le piano. Parce que les gammes, le solfège et le reste, ça me manque maintenant quand j’écris. Au début on, je mettais tout mon instinct, mais c’est crevant de toujours y puiser. Enfin, on était deux, alors je suppose que pour mon père ça faisait deux fois trop de boulot. »

Il s’est débrouillé tout seul par la suite pour écrire ses chansons, toujours dans l’instinct. D’abord les revues, extrêmes s’il vous plaît, et dans le plus savoureux langage qui suit, celui de la rue. Là-dessus, comme il aimait Piaf, Bruant, toutes les valses, les complaintes, les rengaines, il a plaqué des airs d’accordéon avec par exemple un pote à lui, Marcel Azzola, le roi de l’instrument. Sans oublier des tangos, en veux-tu en voilà.

« Mais quand même, c’était dur. J’ai dû attendre deux ans avant d’enregistrer en mars 1975. On me trouvait un peu voilent, quoi. Je suis toujours aussi violent d’ailleurs. »

Mais avant de pouvoir chanter comme il voulait ses amis les loubards, les paumés, les casseurs et autres bandes de jeunes, il a dû pour des raisons purement alimentaires, jouer quelques mauvais rôles de marginaux à la télévision. Mais ça alors, vraiment, il préfère nettement ne pas en parler.

« Dans Madame ex d’Hervé Bazin, j’étais une sorte de drogué bizarre », se souvient-il avec grimaces.

Tout cela est loin à présent. Renaud est un chanteur populaire dans l’âme et aussi dans les chiffres de ventes. II a « fait » cent mille exemplaires avec ses deux derniers albums.

« J’en reviens pas, dit-il, je marche. » Il parle de ses projets. Son prochain disque, qui n’est pas entièrement écrit, qui doit sor­tir au début I980. Avant il y aura une tour­née de 40 villes, en novembre et décembre, et en mars 80, c’est Bobino.

« Pour la première partie, j’aurai un orches­tre, et Marcel Azzola, pour chanter Piaf et Bruant. Depuis le temps que j’en avais envie, je n’ai pas pu résister. »

« Je suis en train de chercher des musiciens avec lesquels je pourrai travailler mes compositions. Au bout d’un moment, à cause de mes lacunes pour écrire la musique, je trébu­che. Le genre de mon prochain album ? Violent. C’est tout ce qu’il y a à dire ».

Renaud. il ne va jamais au cinéma, ni au spectacle, ni au concert, mais chez lui, dans sa maison, il écoute ses disques. Wagner, Trenet, Mouloudji, Dylan, tous les bons vieux Stones et tous les bons vieux rocks, Leonard Cohen, Grateful Dead, Jefferson Airplane. Electrique mais sélectif.

« Le blues, c’est pas mon truc, ni le jazz. Je serais plutôt rock, urbain, moi. »

D’ailleurs il est en train de s’écrire un scénario de western, urbain, lui aussi. Les 2 mercenaires deviennent des loubards, et ça cogne sec.

« Mais avec humour » tient à préciser Renaud imperturbable. Ce qu’il a envie d’écrire aussi, c’est une histoire pour les enfants. Un conte édifiant, où le Prince de Verlande, du Verlan la langue de Renaud et de beaucoup d’autres, retrouve la Princesse de Panamie, pendant que les imbéciles de Monotonie ne s’aperçoivent de rien.

« Tu devrais en faire un concept-album » lui suggère un auditeur.

« De quoi ? » dit Renaud. « Ah, oui, son contraire ! Mais c’est pas ça ! »

Alice Hilliard

  

Source : ROCK en STOCK