N° 2070, 26 janvier 1989
Par Charles Axnavour
Quatre-vingt-neuf artistes au total se sont joints à moi pour chanter « Pour toi Arménie » et participer au clip tourné par mon ami, le metteur en schène Henri Verneuil, Arménien d’origine lui aussi. Jamais je n’ai autrant dit merci que ce jour-là. De midi à 20 h, les plus impatients, les plus indisciplinés, c’est-à-dire les artistes, ont attendu sans rien dire la fin de l’enregistrement.
Mais le souvenir qui peut-être m’émeut le plus, c’est celui d’un absent, Jean-Jacques Goldman. Un gala le retenait ailleurs, alors il nous a envoyé la totalité de sa recette ! Les droits du disque seront entièrement consacrés aux sinistrés, mais ce n’est pas pendant huit jours, six mois ou même un an que les orphelins d’Arménie ont besoin de notre aide. Je veux faire en sorte qu’ils puissent aux aussi grandir et suivre leurs études. Avec la fondation « Aznavour pour l’Arménie », mon but est simple : trouver les parrains de ces 25 000 enfants qui apprendront notre langue et notre culture. Je pars pour l’Arménie le 4 février. J’ai mis beaucoup d’espoir dans ce voyage. J’irai au Kremlin, et peut-être rencontrerai-je Gorbatchev. J’irai à Leninakan surtout. Là où j’ai encore de la famille.
Je suis sans nouvelles d’eux, mais je veux croire qu’ils viendront me trouver. J’ai déjà un plan : éviter l’administration et passer par l’Église. J’ai rendez-vous avec Vasken 1er, notre pape (nous l’appelons le Catholicos) et nous trouverons sur place les familles à qui verser l’argent pour élever les enfants. Je ne suis pas né en Arménie, mes parents non plus. Ma mère est originaire de Turquie, mon père de Géorgie. Mais combien de générations faut-il pour oublier d’où l’on vient ? Combien de temps faut-il à un Français pour oublier qu’il est breton, corse ou alsacien ? La grandeur d’un peuple, c’est sa mémoire ■
Source : Paris Match