Québec, jeudi 12 juillet 1984
RENAUD: UN ANARCHISTE ENTRE LE ROCK ET LA VALSE MUSETTE
D-3
Anarchiste de cœur
♦ « La poésie doit changer la vie et les gens », affirme Renaud, le chanteur français qui n’accepte pas du tout qu’on lui accole le titre de rockeur.
Et justement, les chansons qu’il écrit et interprète parlent beaucoup des gens, principalement ceux qui lui sont proches.
« J’aime faire des portraits », dit-il en interview quelques heures avant son tout premier spectacle en Amérique, celui qu’il devait donner au Pigeonnier du Festival d’été.
Il lui arrive, dit-il, de changer un peu les traits et que ça devienne des caricatures comme la chanson « Mon beauf’ » (lire beau-frère). « Mais je préfère que ce soit des portraits », pour décrire en quelques lignes ce que certains
auteurs mettent des dizaines de pages à expliquer.
Car il choisit quelques détails d’aspect très anodin pour cerner la réalité et raconter en même temps toute une histoire.
Quand il parle de ses chansons, on remarque rapidement que Renaud n’utilise pas le même langage que quand il les chante.
L’argot, c’est sa forme poétique et c’est aussi l’option politique de celui qui veut chanter pour le peuple.
Il ne veut plus être un chanteur politique et se décrit plutôt comme un anarchiste de cœur (souvent engagé dans un camp mais surtout pas dans l’autre) qui sait mettre l’utopie de côté et continue de préférer à gauche à la droite, pour être certain de ne pas se tromper d’adversaire.
Lui qui est apparu dans la chanson française au lendemain de mai 1968 et a, ces dernières années, vendu environ un million et demi de disques, a baigné dans le rejet de la droite depuis son enfance et n’est pas prêt d’en
décrocher.
Il a voulu sous cette influence réhabiliter l’accordéon, « le piano des pauvres », en l’utilisant tout autant dans ses chansons de rythme rock, blues ou folk que dans la valse musette.
« Mais aujourd’hui, en France, on qualifie de rockeur tous ceux qui utilisent une batterie et une guitare électrique. Je suis plutôt un chanteur populaire. »
Ses chansons dénoncent la bêtise, le militarisme et la bourgeoisie, mais ses préoccupations vont de plus en plus du côté des immigrés de la deuxième génération, qui, en France, sont les moins aptes à tenir un discours cohérent pour défendre leurs droits.
Au nombre de ses préoccupations majeures, est aussi apparue récemment la protection de la planète non seulement contre la guerre mais aussi la pollution et Renaud est devenu un sympathisant de Greenpeace.
Cette sensibilisation aussi parallèle à la découverte de la vie de père de famille car, dit-il « si moi j’ai eu la chance de vivre pendant 32 ans, je voudrais qu’il y ait encore des poissons, des oiseaux et des arbres pour ma fille, quand elle aura 20 ans, en l’an 2000 ».
Dans les mêmes circonstances, il a découvert la vie en mer, ce qui lui a donné, dit-il, une nouvelle vision de la planète et des dangers qui la menacent.
« Je n’suis qu’un militant
Du parti des oiseaux
Des baleines des enfants
De la terre et de l’eau. »
Source : Le Soleil