FORCES PARALLÈLES
CHRONIQUES ÉLECTRIQUES
Par RAMON PEREZ le 13 Octobre 2020
Les années 80 furent ce moment où nos chanteurs les plus en vue changèrent de braquet sur scène, s’alignant sur leurs congénères anglo-saxons afin d’offrir aux multitudes envahissant les Zéniths nouvellement construits des spectacles à la hauteur des lieux. Un qui y prit largement sa part, ce fut bien RENAUD. Avec l’intuition que ses chansons ne suffisaient plus, il conçut trois shows d’une autre ampleur durant cette décennie. Orchestres élargis, scénographie spectaculaire, décors pharaoniques, éclairages bluffants, tout ce que son succès d’alors lui permettait. C’était le moment où albums comme tickets vendus approchaient ou dépassaient le million. La Renaud-mania, l’apogée de son importance commerciale et, peut-être, artistique (en tout cas l’option est défendue par certains, dont le chanteur qui a toujours dit que son meilleur album était Mistral gagnant).
Le premier de ces spectacles, dans la foulée de Morgane de toi, bien qu’étant entré dans l’histoire pour avoir été le spectacle d’ouverture du Zénith parisien, n’a pas laissé de trace officielle. Entre nous, c’était un tour de chauffe. Le troisième, celui à l’arbre (Putain de camion), a lui été immortalisé par le premier album live de la période Virgin : Visage pâle rencontrer public. Mais c’était déjà la fin d’une époque, RENAUD en ayant un peu sa claque de tout ce cirque (il ne fit pas de tournée pour Marchand de cailloux avant de revenir à quelque chose de bien plus modeste pour La belle de mai). A dire vrai, le meilleur de ces spectacles, le plus abouti et le plus positif, en un mot ‘mythique’, fut le deuxième, celui de Mistral gagnant. Appelé Le retour de la chetron sauvage, il ne fut longtemps pas exploité par la maison de disque. Seule la VHS d’une captation pour la télé circula un peu.
C’est lors de la parution de l’intégrale de 1995 que fut publié l’album live. Comme Les Introuvables, sa rareté en fit un objet de convoitise, avant que les temps numériques ne le rendent plus facilement accessible. De son côté, la vidéo fut rééditée en dvd en 2005 (en même temps que celle de Visage pâle et de la mutualité – tournée 95, concert dont est issu le volet Paris de Paris-Provinces). Ces deux témoignages, audio et vidéo, sont parcellaires. Sans compter le pot-pourri, le disque compte dix chansons (trois ne sont pas sur la vidéo) mais garde une grande partie des interventions du chanteur entre chacune. Le dvd en propose quatorze (les mathématiques t’indiquent donc qu’il y en a sept qui ne sont pas sur l’album) mais coupe allègrement la partie parlée du spectacle. Au total, il y a donc dix-sept morceaux, pour approximativement 1h40, alors que le spectacle durait près de 2h30, avec quelques chansons supplémentaires.
Mais aussi lacunaires que soient ces publications (en attendant qu’un jour Virgin ait la bonne idée de s’aligner sur Polydor qui a récemment publié les versions intégrales de ses albums live), elles apportent tout de même un aperçu appréciable de ce qui fut le meilleur spectacle du chanteur énervant. Huit musiciens et trois choristes derrière lui, évoluant dans un décor portuaire. Ils arpentent le Karaboudjan en fond de scène (les lecteurs de Tintin connaissent) et boivent un coup au bistrot du port lorsqu’ils n’ont pas à jouer. RENAUD apparaît d’une écoutille, lanterne à la main, pour lancer la soirée avec « Trois matelots ». L’intégrale du nouvel album est jouée par la suite, le reste du concert faisant la part belle à Morgane de toi. La continuité avec le spectacle précédent est au cœur de la plupart des interventions du chanteur qui commence par expliquer ce qu’il a fait depuis. Il a vu plein de concerts, dont il a tiré quelques enseignements pour monter celui-ci (plus de mouvement notamment). Il finit par arriver au sujet qui fâche le public : comme il joue son nouvel album, il faut bien qu’il vire plein de vieilles chansons. Et comme personne n’est d’accord sur la liste, sa mère trouve la solution : le pot-pourri, fais ça je te dis. Tellement ringard que banco, c’est parti pour 20 min de « Renaud greatest-hits » ! Un peu le morceau de bravoure de l’album (avec une version très intense de « P’tite conne »), dont le concept sera régulièrement repris, plus modestement, lors des tournées suivantes.
Ce qui frappe dans ce concert, c’est l’énergie du moment. Une phrase de Frédéric Dard en ouverture du dvd résume bien le truc : Renaud, réjouis-toi : tu as pour ami tous les jeunes de la terre, les vrais, ceux qui ne deviendront jamais vieux. C’est son moment, ce qui se reconnaît entre autres à l’accueil fait à ses nouveaux morceaux, à peine sortis et déjà des classiques. On voit que le chanteur est au top de sa forme, à fond dans ses chansons. Le public est plus chaud que dans n’importe quel autre de ses live. Il y a un vrai échange avec l’homme du soir qui se fait un malin plaisir de brancher la foule à longueur de temps. Par exemple, l’orchestre lance « Miss Maggie », ce qui chauffe direct l’assistance, avant que RENAUD ne dise qu’il n’a pas envie de la chanter et n’embraye sur « Deuxième génération ». C’est aussi dans ce live qu’il fait mine de vouloir faire mieux que GOLDMAN, qui a invité JOHNNY sur scène récemment, en annonçant l’arrivée sur la sienne de Bruce SPRINGSTEEN ! Le papa de Lolita est plus motivé que jamais, hyper à l’aise et communicatif. Souvent dans sa position conquérante fétiche, quart de profil et guitare à la main – une telecaster cette fois-ci.
Pour finir, c’est un très bon concert car musicalement ça envoie (même si je pense que sur ce strict aspect il y a eu mieux avec Paris-Provinces). Mistral gagnant est malheureusement assez marqué par son époque. Cet orchestre, malgré la présence de deux claviers, réussit à ne pas trop sonner 80’s et à réchauffer tout ça sur scène. On voit bien qu’il est content d’y être, de faire partie de ce moment. Le rendu sur disque est dès lors tout à fait plaisant, malgré la courte durée. La frustration de ne pas en avoir plus reste le plus gros reproche à faire à l’album. Le dvd est plus satisfaisant sur ce point. Il offre en outre la possibilité de profiter davantage de la scénographie (vraiment inventive) ainsi que du solide jeu de lumière, signé déjà Rouveyrollis. Et de la Fin, avec une majuscule. L’une des meilleures que je connaisse, dans la démesure avec un passage à la Spielberg, mais aussi dans la simplicité avec RENAUD qui part comme il est venu, sac de marin sur l’épaule. A cette époque, il pouvait tout faire, cela marchait à chaque fois. C’était juste avant la mort de Coluche, qui cassa définitivement quelque chose chez son ami. Profitons donc de l’existence de ce live pour nous rappeler ces heures insouciantes, son zénith à lui.
LINE-UP
– Amaury Blanchard (batterie)
– Gérard Prévost (basse)
– Yann Benoist (guitares)
– Yves Choir (guitares)
– Jean-Louis Roques (accordéon, claviers)
– Hervé Lavandier (piano, claviers)
– Thierry Tamain (claviers)
– Pierre-Jean Gidon (saxophone, flûte)
TRACK LIST
– cd
1. Trois Matelots
2. Si T’es Mon Pote
3. Pochtron !
4. En Cloque
5. Deuxième Génération
6. Le Retour De La Pépette
7. Baston !
8. P’tite Conne
9. Medley
10. Baby Sitting Blues
11. Doudou S’en Fout
– dvd
1. Trois Matelots
2. Si T’es Mon Pote
3. En Cloque
4. Tu Vas Au Bal
5. Deuxième Génération
6. Miss Maggie
7. Baston !
8. P’tite Conne
9. Medley
10. La Pêche à La Ligne
11. Mistral Gagnant
12. Dès Que Le Vent Soufflera
13. Morts Les Enfants
14. Baby Sitting Blues
15. Fatigué
Source : Nightfall