N° 36, du 1er au 30 juin 2002
Rencontre : Renaud.
Enfin des (bonnes) nouvelles de Renaud. Tout à son chagrin d’amour, il ne parvenait plus à écrire et il nous manquait. Son retour est triomphal et son album, Boucan d’enfer, flamboyant. C’est d’un album grave dont il s’agit : celui d’un homme que la vie a blessé jusqu’à … la rédemption. Le Boucan d’enfer d’un poète.
Les dernières nouvelles discographiques de Renaud remontent à 1996. Et encore, il ne s’agit alors que d’un disque d’hommage, Renaud chante Brassens. Il faut remonter à 1994 pour retrouver trace du Renaud auteur avec l’album A la belle de mai. Depuis, on attendait son retour, se consolant comme on pouvait avec sa tournée en tête à tête avec le piano en 1999 et 2000. La vérité, c’est qu’on s’inquiétait pour Renaud. Un chagrin d’amour terrible faisait souffrir l’homme reléguant l’artiste dans le gouffre de l’impuissance. On savait que l’alcool était devenu son plus fidèle et peut-être son seul compagnon, enfin celui de Mister Renard, face obscure de Renaud, à la manière du Gainsbarre de Gainsbourg. Et puis voilà que l’homme et l’artiste, réconciliés à l’aube de l’an 2002, se jettent à nouveau, à cœur perdu, dans la bataille de l’imaginaire et de la création. Boucan d’enfer est le résultat de ce conflit intérieur. Quatorze chansons en forme de bulletin de santé d’un des artistes majeurs de notre époque. Renaud était malade et c’est nous qui avions mal. Mal d’une absence qui nous privait d’une poésie rare, miroir de nos fragilités, de nos colères, de nos défaites, en un mot : de notre humanité. Renaud n’est pas de retour. Il continuait d’avancer à la manière d’un sous-marin, en eaux profondes, en eaux troubles, de celles qui auraient pu se transformer en au-delà. Mais Renaud est vivant, bien vivant et son album fait un Boucan d’enfer. Un boucan rassurant comme celui que font les enfants en rentrant dans une maison vide. La maison chanson était désertée, froide et orpheline. Son enfant terrible est de retour. Bienvenue au paradis.
Comme autant de miroirs de l’âme, les nouvelles chansons de Renaud reflètent toutes les épreuves qu’il a traversées. Pour Carrefour savoirs, Renaud fait le tour du propriétaire de ce Boucan d’enfer.
Docteur Renaud, Mister Renard
J’ai pris ça comme une mise au point. Je suis un homme double et je me présente comme tel. Tout le monde a sa part d’ombre et son côté lumineux. Tout le monde a un côté clair, un côté obscur, tout le monde a des défauts, des qualités. Tout le monde a des comportements magnétiques, angéliques, positifs et d’autre plus noirs, plus cyniques plus désespérés. Je voulais expliquer que les artistes sont des êtres humains comme les autres et que ce ne sont pas seulement des anges qui brillent dans la lumière des projecteurs. Ce sont des hommes comme les autres. En l’occurrence, moi, j’ai pas mal de défauts et je voulais en parler.
En public, sur scène, avec les médias, j’essaie de montrer le côté le plus angélique, le plus positif, le plus fraternel, le plus chaleureux mais dans ma vie privée ce n’est pas toujours comme ça. Mes copains, mes proches m’ont surnommé depuis quelques années « le renard». C’est moi qui leur ai soufflé ce surnom parce que j’aime bien cet animal. J’aime bien parce que ça renvoie le côté justicier et j’ai un côté justicier, redresseur de torts, grande gueule. De fil en aiguille, mes proches se sont rendu compte que j’avais une double personnalité. Que Renaud c’était l’artiste que tout le monde aime avec ses qualités et Renard c’est plutôt le côté noir du personnage. Depuis quelques années, j’ai exprimé ce côté noir par une forte tendance à la pochetronnerie, au désespoir, à la dépression, à la cessation de toute activité médiatique et même de l’écriture, j’étais en panne sèche. A partir du moment où je n’écrivais plus, je ne chantais plus et si je ne chante plus, je n’ai plus de vie sociale, je n’ai plus d’identité. Je n’ai plus de sens à ma vie.
Petit pédé
La liberté homosexuelle est toujours victime en France, comme partout ailleurs, d’homophobie et de rejet. C’est une minorité non pas opprimée mais pas tellement bien tolérée, même si les choses ont un peu évolué depuis quelques années, paraît-il. C’est une chanson que j’ai écrite à la demande d’un ami homosexuel qui me harcelait depuis quelques années pour que j’écrive une chanson sur ce sujet. Je lui répondais à chaque fois qu’après la chanson d’Aznavour, Comme ils disent, le sujet était inattaquable : il a tout dit et je ne pouvais plus rivaliser avec lui, sauf à faire moins bien. Mon ami me répondait, à juste titre, qu’Aznavour avait traité le sujet sous l’angle d’un travesti. Il pensait que je pouvais écrire une chanson sur le pédé de base, anonyme, employé de bureau, qui a du mal à vivre sa différence et à se faire accepter par son entourage. Et puis un soir, j’étais ici, dans ce lieu que je fréquente assidûment. (NDLR. La Closerie des Lilas.)
Pour l’anecdote, j’avais cessé de boire depuis quelque temps et j’étais en manque, je souffrais intensément de cette drogue. Il n’y a aucune honte à dire ça. Qu’il me jette la première pierre celui qui n’a jamais été pochetron ! Il m’a dit : « Je sais que tu souffres du manque d’alcool. » Il souffrait lui de mon manque d’écriture et de me voir, ma plume asséchée et l’inspiration en berne. Mon ami m’a dit : « Si tu écris une chanson, je t’autorise une mufflée. » J’avais tellement envie de boire j’ai pensé que j’étais assez grand pour m’autoriser tout seul de boire un coup, mais j’ai pris ça comme un challenge. En une heure j’ai écrit la chanson et ensuite, j’ai commandé moult boissons alcoolisées. Dans les jours qui ont suivi, le processus de l’écriture étant réenclenché, du jour au lendemain, l’inspiration était revenue.
Elle a vu le loup
Ma fille Lolita, qui est l’être que j’aime le plus au monde, m’a toujours inspiré. Elle a toujours été un peu ma muse et j’ai toujours eu envie de chanter sa vie, de chanter ses joies, ses souffrances, ses peines. De chanter l’enfance, l’adolescence et maintenant l’âge adulte. Je tiens un peu une chronique de la vie de ma fille à travers ma chanson. Donc, Elle a vu le loup que j’ai écrit il y a six ans quand ma fille avait quinze ans, c’est l’âge de la puberté, de l’adolescence. L’âge des premiers émois amoureux. Pour certaines jeunes filles, à quinze ans, c’est l’âge des premières amours. C’était le cas de l’amie de ma fille qui, à quinze ans, a « vu le loup. » J’avais envie de parler de ça.
Cœur perdu
C’est une chanson d’amour des plus banales qui concerne des milliers d’individus en France, hommes ou femmes. Des gens qui souffrent d’un chagrin d’amour, d’une rupture, d’une séparation. Donc, c’est du vécu 100%. Dans cette chanson, je suis totalement sincère.
Bizarrement, les chansons d’amour les plus tristes sont celles qui font le plus de bien aux gens. J’ai beaucoup de témoignages du public qui disent que mes chansons tristes leur remontent le moral quand ils ne vont pas bien. De savoir que l’artiste qu’ils aiment souffre aussi, ils se sentent moins seuls.
Manhattan-Kaboul, en duo avec Axelle Red
C’est une de mes artistes francophones préférées. C’est pour ça que je l’aie choisie. J’ai un peu sacrifié à la mode des duos. Ce n’est pas une chanson partisane, c’est une chanson sur la violence, la guerre, le terrorisme qui montre que ce sont toujours les populations civiles innocentes qui morflent. J’ai voulu faire le parallèle entre un pauvre Américain qui meurt dans un conflit qui nous dépasse et une pauvre victime afghane qui meurt aussi sous les bombes. Mon ami Jean-Pierre Bucolo m’a fait une belle musique. Je pense qu’elle va toucher un public plus large que mon public habituel.
Baltique
Je l’ai écrite en 1996 suite aux images que j’ai vues aux obsèques de François Mitterrand. J’ai vu ce pauvre chien que j’imagine si fidèle et si aimant pour son maître. Le voir interdit d’accès à l’église, seul sous la pluie, tenu en laisse m’a touché. Avant, je n’avais jamais traité le thème des animaux dans mes chansons. J’avais à l’époque un chien de la même race, un labrador à poils longs, et j’ai eu envie de parler de cet amour extraordinaire que peut éprouver un chien pour son maître.
L’entarté
C’est le Renaud qui n’a jamais craint de s’en prendre aux puissants, après Margaret Thatcher que j’avais allumée, après Bernard Tapie dans mon dernier album, j’ai pris pour cible un autre puissant (ses initiales sont dans la chanson, BHV, ndlr). Un mec qui a la parole et qui ne se gêne pas pour l’utiliser à tort et à travers et qui envahit les écrans de télévision, la presse, la radio. Je le trouve particulièrement imbu de lui-même, sans humour, donneur de leçons et doté d’une volonté d’arriviste. J’avais envie de lui tailler un petit costard, d’une façon moqueuse et vacharde.
Boucan d’enfer
C’est vrai que c’est quand l’amour s’en va qu’on réalise tout ce qu’on a perdu. On réalise qu’on aurait dû en profiter plus et le protéger plus aussi. C’est une chanson que j’ai écrite à la suite de ma séparation, dans les semaines, les mois qui ont suivi. Je l’ai chantée sur scène pendant deux ans durant ma dernière tournée qui s’intitulait : Une guitare, un piano et Renaud. Je ne vous cache pas que le silence quasi religieux à l’écoute de cette chanson était impressionnant. Il m’est arrivé de la chanter avec un nœud dans la gorge et des larmes plein les yeux.
Mon bistrot préféré
C’est le bistrot de ma tête, le bistrot symbolique où se réunissent tous les gens que j’ai aimés. Enfin pas tous car j’étais limité dans l’écriture. Chaque jour, je me dis : tiens, j’ai oublié untel. Dans mon bistrot préféré me sont revenues en mémoire l’affection et l’admiration que je portais à des gens comme Goscinny, Jean-Roger Caussimon, Mouloudji. Dans les contemporains, j’ai cité ceux que je connaissais et avec lesquels j’ai eu la chance d’avoir des relations amicales et affectueuses. Serge Gainsbourg, Coluche, Pierre Desproges, Tonton (François Mitterrand, ndlr.), Patrick Dewaere, etc. Et puis j’ai cité ceux qui ont bercé ma culture, les écrivains, les artistes que j’ai aimés, que j’ai lu comme Boris Vian, Guy de Maupassant, Aristide Bruant et puis les Brel, Ferré …
Repères
– 11 mai 1952 : Naissance.
– 1971 : Renaud fait ses débuts de comédien au Café de la Gare dans « Robin des quoi ? » de Romain Bouteille.
– 1975 : Premier album avec Hexagone.
– 1977 : Enorme succès avec Laisse Béton.
– 1980 : Marche à l’ombre.
– 1983 : Morgane de toi.
– 1993 : Acteur dans Germinal de Claude Berri.
– 1999 : Tournée Une guitare, un piano et Renaud.
Source : Le HLM des fans de Renaud