Reportage au Point

Radio-Canada

Vendredi 31 mai 2002

Renaud : boucan d’enfer

Sept ans de silence musical à broyer du noir, mais Renaud se relève. Le vieux bum lançait le 28 mai dernier son nouvel album intitulé « Boucan d’enfer ».

Stéphan Bureau l’a rencontré à Toronto.

« Je reviens d’une période où j’allais très très mal. Une période de cinq ans où j’étais au fond du trou, je n’avais plus d’inspiration, plus une ligne de chanson, plus d’amour de moi-même, donc plus envie d’être aimé par les autres, plus envie de me montrer dans les médias, devant les caméras, plus envie d’écrire, plus envie de chanter, me nourrissant d’antidépresseurs, de saloperies de médicaments et d’alcool anisé, de pastis en l’occurrence. Dépression, chagrin d’amour, rupture conjugal, le fond du trou quoi … Et puis la renaissance l’hiver dernier. »

« C’est un disque très personnel, très introspectif où j’évoque beaucoup mon petit nombril de quinquagénaire plutôt, comme j’ai fait dans les albums précédents, de parler d’histoire du monde et de mes contemporains. »

Notes biographiques
extraits de La biographie de Renaud
de Didier Varrod
1952 Coup double pour maman Séchan qui donne à respirer à deux miniatures agitées. L’un d’eux s’appellera Renaud.
Mai 1968 Renaud déserte le berceau familial, fête ses seize ans sur les barricades, adhère au CRAC (Comité Révolutionnaire d ‘Agitation Culturelle)avant de fonder en alternatif énervant le groupe Gavroche Révolutionnaire. Gavroche en quête de romantisme, il crée sa première chanson teigneuse dans une Sorbonne occupée et tout à coup hallucinée.
1969-1971 Renaud quitte définitivement le lycée et goûte aux joies et solitudes des petits boulots. Il se distingue dans des emplois de magasinier puis de vendeur spécialisé dans les livres de poche.

1973 Suite de la saga des petits métiers. Pour arrondir ses fins de mois, Renaud fait la manche avec son poteau Michel, l’accordéon en sautoir. Paris sera toujours Paris pour ce couple de poulbots endiablés. Incursion maligne dans la cour du Café de la Gare où Coluche fait son premier spectacle en vedette. Lederman en quête de domination show-biztique repère les deux moineaux et les engage au Caf ‘Conc sur les Champs Élysées. Duo devient trio et par cette insondable magie qui n’appartient qu’au music-hall, nos héros panaméens se transfigurent pour la légende: « Les 3 p’tits loulous ».

1975 Renaud occupe désormais seul le Caf ‘Conc. Jacqueline Herenschmidt, productrice artistique chez Polydor, lui propose d’enregistrer son premier album. 13 chansons dont « Amoureux de Paname » et le subversif et légendaire « Hexagone ». Paroles et musique signées Renaud. Un premier disque qui lui vaudra un compliment lapidaire de la programmation d’Europe 1 : « C’est de la merde »,et une interdiction d’antenne de la chanson « Hexagone » sur France Inter. Résultat des courses : 5000 rondelles vendues (200 000 à ce jour…) et une première expérience scénique.

1977 En septembre, sortie du deuxième album intitulé « Place de ma mob » (Polydor -450 000 albums vendus).

1979 Au début de l’année, sortie du troisième album enregistré au Studio des Dames. Jacques Bedos, directeur artistique de l’entreprise. Des histoires encore dingues, celle du « Tango de Massy », celle de sa « Gonzesse » ou de « La tire à Dédé ». L’anarchiste au cœur noir se démasque dans une version plus tendre, bardé de sentiments exacerbés. La rage, ça donne parfois des bleus au cœur. Mais désormais, Renaud signifie profit. La preuve, 450 000 disques dans le cœur decible d’un public non formatable.

1980 « Marche à l’ombre » (Polydor) déferle sur les ondes en proie au syndrome disco. L’histoire d’un mec qui vit dans un H.L.M. ou peut-être d’une teigne qu’a les yeux qui saignent à cause que la société elle est pas bonne. Le cuir en étendard, la moue de celui qui se méfie des méchants, Renaud invente son frère de coeur, Gérard Lambert. Un disque tout en urgence, fléché par quelques mises au point bien senties. « It is not because you are » pour s’installer définitivement et avec fougue dans le nouveau paysage de la chanson française en quête de crédibilité. Et les ventes de disques qui gonflent à vue d’œil (650 000 double platine), ça commence à se savoir et à intriguer les marchands de bonheur …

1981 « Le retour de Gérard Lambert » ou le bouclier en double croche anti-blaireaux. Une arme de première nécessité. Tatouage et clé à molette pour s’affirmer musicalement. Sans prévenir, le loubard au coeur musette se rapproche du clan des rockers. Paname et son accordéon culbutent tout de même les facéties saignantes de Coluche le parrain, ou du professeur Choron. Catalogue presque exhaustif des faits et gestes de la France moyenne en plein chambardement électoral. Tiercé gagnant : « Mon beauf », « J’ai raté Télé Foot », « Banlieue rouge ». Et Coluche aurait dit : « Les couilles double platine ! », ce qui signifie plus poétiquement 600 000 albums vendus.

Septembre 1983 Almanach de secours pour chanter « Morgane de toi ». Renaud met du cambouis sur les layettes et gagne en puissance, refusant de jouer les éternels rive gauchards, babas-cool indécrottables, en se référant encore toujours à la tradition et à une certaine pureté. Il s’ouvre sur le nouveau monde et confronte sa bohème de naissance à la démesure rock californienne. Bruant traverse presque en solitaire l’Atlantique. Des tubes et le million et demi d’albums vendus. « Dès que le vent soufflera » (Aufray sorti des eaux, tatatatan …), « En cloque » (Rimbaud corrigé), « Doudou s’en fout » (ludique) et l ‘immortel « Morgane de toi », clipé pour la bonne cause par un autre papa atteint du noble virus « Lemon incest », Gainsbourg en personne.

Fin 1985 Retour en France et sortie de l’album « Mistral gagnant », enregistré aux U.S.A. sous la férule de Jean-Philippe Goude. Evénement national : la chetron sauvage est née et accroche un disque de platine dès le 10ème jour de la sortie du disque. « Miss Maggie » tétanise la perfide albion, « Baby sitting blues » émerveille Drucker, « Mistral gagnant » nique les dents de la génération morale. Renaud est le seul chanteur bien énervant à vendre encore une fois 1 million et demi d’albums sur son seul nom.

Docteur Renaud
Mister Renard *

Comme y’a eu Gainsbourg et Gainsbarre
Y’a le Renaud et le Renard,
Le Renaud ne boit que de l’eau
Le Renard carbure au Ricard,
Un côté blanc, un côté noir
Personne n’est tout moche ou tout beau,
Moitié ange et moitié salaud
Et c’est ce que nous allons voir.

Docteur Renaud, Mister Renard

Renard est un sacré soiffard
Renaud est sobre comme un moineau,
Quand Renaud rejoint son plumard
Renard s’écroule dans l’caniveau
Renaud se méfie des pétards
Et du chichon qui rend idiot
Renard se les roule peinard
Pour s’exploser le ciboulot

Docteur Renaud, Mister Renard

Renaud s’efforce, c’est son boulot
D’écrire de jolies histoires
Pour séduire les gens, les marmots
Pour amuser pour émouvoir
A la pointe de son stylo
Le Renard n’a que des gros mots
La parano et le cafard
N’lui inspirent que des idées noires

Docteur Renaud, Mister Renard

Renaud souffre de tous les maux
Qui accablent ce monde barbare
Il porte les croix sur son dos
Des injustices les plus notoires
Renard désabusé, se marre
Se contrefout de ce bazar
Le monde peut crever bientôt
Renard s’en réjouirait plutôt

Docteur Renaud, Mister Renard

Renaud a choisi la guitare
Et la poésie et les mots
Comme des armes un peu dérisoires
Pour fustiger tous les blaireaux
Renard, c’est son côté anar
Crache sur tous les idéaux
Se moque du tiers comme du quart
Des engagements les plus beaux

Docteur Renaud, Mister Renard

Renaud mérite les bravos
Car en amour et c’est sa gloire
Il est tendre comme un agneau
Pour une seule et même histoire
Renard se frotte à toutes les peaux
A que des aventures d’un soir
Avec des canons, des cageots
Renard s’rait-il un brin vicelard ?

Docteur Renaud, Mister Renard

C’est à cause du désespoir
Qui tombe à 50 ans bientôt
Que le Renard, tôt ou tard
Prendra le dessus sur Renaud
Aujourd’hui son amour se barre
Son bel amour, sa Domino
Elle quitte le vilain Renard
Mais aimera toujours Renaud

Docteur Renaud, Mister Renard

* Extrait du nouvel album
« Boucan d’enfer »

1988 Silence rompu. « Putain de camion ». Cette fois, y’a du sang sur les layettes et la teigne aux cheveux jaunes donne sa langue au chagrin. L’émotion est à l’ordre du vinyle pour Coluche en fuite. La tendre gouape arc-boutée sur sa méfiance chante mais ne parle plus. Il se trouve que ce chanteur est toujours énervé et préfère rejoindre les enfants et les baleines dans le silence de l’innocence. 750 000 fidèles vont respecter ce silence.

1991 Renaud n ‘est pas rancunier. La preuve, il enregistre son « Marchand de Cailloux » (650 000 exemplaires vendus) dans la perfide Albion, certes désormais en vacances de « Maggie ». Les bras en croix dans le dos, une caillasse dans les poings toujours serrés, les barricades de 68 sont loin, mais les intifadas de tout l’univers démontent nos dernières certitudes. En verve plus que jamais, notre gavroche loin d’être bionique fait résonner l’amertume des soirs de blues en Irlande et lorsqu’il parle de nous, il n’oublie pas de dénoncer les belles de printemps qui s’oublient en ferias, de plaindre un patriarche fatigué de rêver que la gauche reviendrait, et qu’il y a toujours cinq cents connards sur la ligne de départ. 

1993-1994 Sans prévenir, et sans les habituelles trompettes de la renommée, Renaud grave sur le vinyle à papa les chansons qui réchauffent le coeur des ch’timis. « Renaud cante el ‘Nord ». De la world musique qu’ils disent dans les couloirs du show-biz, vendue à 300 000 citoyens du monde. Sur le tournage de « Germinal », rencontre attentive et bouleversée avec les figurants, grillots du Nord, porteurs de l’histoire chantée des gueules noires. Surprise, émotion, et ralliement public aussi puissant qu’une manifestation réussie. Les boudeuses « Victoires de la Musique » plieront enfin sous le joug de la séduction. Pour la peine, Renaud annonce à Virgin qu’il rentre chez lui pour enregistrer son prochain disque à la maison : « À La Belle de Mai » (novembre 94). Et toc, 500 000 albums dans la cible pour celui qu’on retrouve accoudé à un stand forain et qui pose cette question essentielle : « C’est quand qu ‘on va où ? ».

2002 C’est l’heure de la renaissance. Renaud patraque du cœur, tout le monde l’avait senti puisque lui et l’hexagone, ça fait presque un tout. Notre frêle tatoué revient nous donner des nouvelles. Encore au mois de mai (le 28), parce que lui c’est un peu le printemps, les sursauts romantiques, les grands soirs, la fête du travail et les révolutions à lui tout seul. Avec 12 millions de disques vendus au compteur, Renaud, peut-être plus seul qu’il ne l’a jamais été dans sa vie à lui, revient faire ses passements de mots dans la première division. Et un et deux et trois zéro. Renaud, champion des mots et du monde, marque la victoire des nostalgiques, de ceux qui en ont dans le cerveau et de ceux qui ne renoncent pas devant les gourous et argentiers de la mondialisation. On est d ‘accord pour en reprendre pour vingt ans.

Discographie

Amoureux de Paname (1975)
Laisse béton (1977)
Ma gonzesse (1979)
Marche à l’ombre (1980)
Le retour de Gérard Lambert (1981)
Morgane de toi (1983)
Mistral gagnant (1985)
Putain de camion (1988)
Marchand de cailloux (1991)
Renaud cante el’ Nord (1993)
A la belle de Mai (1994)
Renaud chante Georges Brassens (1994)

source : Virgin


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Source : Radio-Canada