Je reviens du dernier Réjean Ducharme comme on revient d’Irlande pour la dixième fois, en se demandant pourquoi, cette fois, le charme n’a pas opéré. Est-ce l’Irlande, est-ce moi, est-ce parce que cela fait dix fois?
Je parle de l’Irlande parce que c’est un pays qu’on peut facilement visiter sans mettre le nez dehors.
Réjean Ducharme était un de ces pays où, à peine arrivé, je m’enfermais dans une chambre d’hôtel pour lire. J’en revenais extatique et incapable de dire où j’étais allé.
Cette fois je sais. C’est peut-être pour cela.
Tout le monde me l’avait dit, cette fois Ducharme raconte une histoire. Bon, j’aime les histoires. Sauf que ce n’est pas vrai. Dans Va Savoir, Ducharme ne raconte pas une histoire. Dans un lieu peuplé de femmes — on pense à des arbres la nuit, on pense à un square peuplé de spectres — dans un lieu où personne ne bouge sauf un chien et une petite fille, Ducharme jongle avec des mots qui ne finissent jamais par faire une histoire. II n’y a pas d’histoire. À peine commencée, les mots la défont. À peine recommencée, l’auteur va se coucher en lisant Balzac, et les personnages s’en foutent. Comme les arbres dans les squares, il attendent le lendemain matin. Et le lendemain matin, rien.
Vous me direz que c’est tout le génie de Ducharme de jouer avec les mots. Oui mais pas comme ça. Pas comme un amuseur. Pas comme Sol ou Raymond Devos. Pas comme Romain Gary-Ajar qui semble être le grand-père putatif de l’enfant putassière, au centre du roman.
Le génie de Ducharme n’était pas de jongler, ni de rimailler ses rimes cachées pour faire chanter la phrase. C’était de torpiller l’épaisseur du langage. D’allumer le délire. D’induire du sens dans l’insensé. Enfin quoi, merde, de nous faire tripper.
Le génie de Ducharme n’était pas celui du chroniqueur. Or en lisant Va Savoir, il m’est arrivé de penser que je pourrais presque, en remettant cent fois sur le métier que je n’ai pas, que je pourrais presque écrire un truc comme ça.
Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la littérature.
C’est un livre important. Sur la façon dont on meurt. Il paraît qu’on a perdu contact avec la mort qui, jusqu’au début du 20e siècle, faisait partie de la vie de famille. On savait le bruit qu’elle faisait en descendant du toit où elle se tenait. On connaissait son odeur. Maintenant qu’on meurt à l’hôpital, on ne sait plus. On ne veut plus savoir…
J’ai reçu ce livre-là d’un agent de presse qui m’a dit au téléphone, écoutez, je sais que vous préférez acheter vos livres, mais celui-là vous ne l’achèteriez jamais de toute façon. Je vous l’envoie. Faites un effort, c’est un livre important.
Je l’ai reçu par la poste, assez longtemps après, l’avais oublié, je ne m’y attendais plus. J’allais chercher la malle en chantonnant, badadou-doudou, ciel bleu, soleil blanc, la chienne de la voisine est venue quémander une caresse, une élégance légère flottait dans l’air, une harmonie que rien, me semblait-il, ne pourrait détruire. J’ouvre la boîte aux lettres: tiens un livre. J’ouvre l’enveloppe brune, le titre énorme, vulgaire, me saute dans la face: Mourir
Fuck.
Je ne l’ai pas ouvert. Je l’ai caché quelque part dans ma bibliothèque après avoir noté le nom de l’auteur : Sherwin B. Nuland, prof de chirurgie et d’histoire de la médecine à l’université Yale.
Un livre important, sans doute. Pas pour moi.
Je veux bien savoir que je vais mourir, mais seulement pour aiguiser mon plaisir de vivre.
De temps en temps je donne un coup d’oeil à la rubrique nécrologique dans La Presse, pour rire. C’est plein de drôleries là-dedans, je vous assure. Tiens l’autre jour, l’avis de décès d’un jeune homme précisait : « Fleurs exotiques seulement »…
Vous n’aimez pas les pompons ou quoi ?
Nigel Barley est un anthropologue anglais, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest qui s’est retrouvé un jour chez les Dowayos, une tribu montagnarde du Cameroun.
Nigel Barley est un vrai anthropologue, (actuellement à l’emploi du British Museum), un vrai universitaire aussi, un peu pédant et pas très pressé d’aller éprouver sur le terrain les postulats qui fondent son savoir.
Mais Nigel Barley est aussi un vrai Anglais qui ne cesse de pincer sans rire l’anthropologue qui pontifie en lui. C’est ce double énergumène qu’ont vu débarquer un jour les Dowayos, peuplade sauvage et néanmoins facétieuse. Us se sont bien amusés, plus qu’avec les missionnaires protestants qui vont les évangéliser régulièrement.
Nigel Barley raconte son séjour chez les Dowayos dans Un anthropologue en déroute (Payot-Voyageurs). L’anthropologue s’est réservé quelque pages, les moins bonnes, mais heureusement c’est presque toujours l’Anglais qui raconte. C’est drôle. Pas ah ah ah. Pas pour rouler à terre. Just funny.
Et en plus de sourire on apprend des choses. Par exemple que le langage des Dowayos est sifflé et qu’ils célèbrent le culte de l’anus. Imaginez leur plaisir de voir débarquer un authentique trou du cul blanc. Enfin rose.
Donc vous aimez les chroniques? Ah non, vous n’aimez pas? Vous vous êtes égaré dans celle-ci alors? Vous cherchiez les cours de la bourse et… Arrêtez donc de faire le con. Puisque vous aimez les chroniques un peu débiles, vous devriez essayer celles que le chanteur Renaud a écrites dans Charlie-Hebdo. Elles sont réunies dans un recueil public chez Point Virgule, Renaud bille en tête.
C’est mieux que du Desproges.
On devrait les faire lire dans les écoles pour montrer aux enfants comment écrire sans se faire chier.
Pas convaincu? Et si je vous dis que Suzanne Lévesque a détesté ? Ah, ah. Je savais que je vous aurais.
Denis Vanier vous connaissez? Il vient de publier aux Herbes Rouges, Le Fond du Désir. Entre des poèmes dont je vous parlerai une autre fois, (je vous parlerai aussi du poète) ces quelques citations…
-
- Le poète est ce jeune homme que la mère conduit à s’exhiber à la face du monde, et dans lequel, il n’est pas capable d’entrer (Kundera)
- Personne n’a le droit de choisir d’aller en enfer (Ayatollay Zedi)
- Cette cicatrice que vous voyez sur mon front est un oubli (Pauline Harvey)
- Je suis un être sans légèreté, parce que je ne sais pas (Jean-Marc Desgent)
Celle-ci enfin :
-
- C’est vachement dur de chroniquer en regardant le Super Bowl (Pierre Foglia)
Source : La Presse