Québec, samedi 6 juillet 1991
LES ARTS ET SPECTACLES
On l’aime ou on ne l’aime pas. Avec Richard Desjardins. les demi-mesures n’existent pas. On le prend comme un tout. Son « vol de nuit » qui a marqué l’envoi du Festival d’été international de Québec et qui prendra fin demain au bar le d’Auteuil en est une preuve éclatante.
une critique de RÉJEAN LACOMBE
LE SOLEIL
Desjardins apporte à la chanson québécoise un nouveau souffle. Même si la radio et la télé le boudent quelque peu, il n’en reste pas moins que beaucoup de Québécois ont découvert en Desjardins le chansonnier qui lentement forge, avec les mots du pays, la nouvelle ère de la chanson québécoise.
Certes, les puristes lèveront dédaigneusement le nez sur les paroles de certaines de ses chansons qui empruntent largement au «joual ». Mais quel sacrilège y a-t-il d’emprunter le langage des gens d’ici ? Quand il nous présente son bon gars qui « va mettre des bobettes, qui va lire la gazette, qui va checker les sports, qui va compter les morts, qui va passer son check-up, qui va faire son ketchup » : c’est un peu beaucoup notre image qui nous rebondit en pleine figure. Ce n’est pas tout à fait du « joual ». C’est un français puni, comme dirait Gilles Vigneault.
Mais il n’y a pas que des textes joualisants dans le spectacle de Desjardins. Que l’on songe à Nataq. Un tendre et merveilleux poème sur une musique unique. Il y a quelque chose d’envoûtant dans cette chanson. Nataq est autochtone et c’est son épouse qui lui parle : « Nous serons les premiers à goûter aux amandes. Traversons, traversons ! Amenons qui le veut. Aime-moi. Aide-moi. Car mon ventre veut fendre. Je suis pleine Nataq : il me faudra du feu. »
Desjardins manie également très bien l’humour. Il est parfois caustique. Mais il est surtout savoureux. Lui qui est originaire de l’Abitibi définira son coin de pays en disant « là où l’asphalte arrête ». Ou encore il constatera qu’il « y a tellement de polices, que ça va prendre des bandits ben vite ». Dans cette veine., Desjardins restera toujours un merveilleux « bum ».
Mais, ce soir-là, Desjardins avait attiré un nouvel admirateur. Nul autre que Renaud qui n’hésite pas à afficher son admiration pour Desjardins.
Si on ose dire que Desjardins est à la chanson québécoise ce que Renaud est à la chanson française, le plus Québécois des Français s’en défend bien. « Non, dira-t-il, il ne faut pas faire cette comparaison. Desjardins, c’est de la poésie qu’il fait… »
Une chose toutefois est certaine, Renaud, maigre son admiration pour Desjardins, éprouve une certaine difficulté à comprendre la poésie du Québécois écrite dans un français puni. A quelques reprises le journaliste du SOLEIL a dû servir (avec plaisir) de traducteur… Desjardins sait très bien que certaines de ses chansons sont difficilement « exportables ».
Sans pour autant lui en faire un reproche, Renaud lui indique que les Français éprouveraient certaines difficultés à situer la ville de Chibougamau. Qu’à cela ne tienne ! Desjardins est prêt à troquer Chibougamau pour un quelconque petit village français perdu dans les Alpes ou ailleurs.
Tout ce que l’on peut souhaiter maintenant, c’est que Desjardins ne mette pas à exécution quelques
paroles de l’une de ses chansons : « J’aurais donc dû fermer ma grande gueule. »
Source : Le Soleil