—
La chanteuse, ex de Renaud et mère de son fils, Malone, raconte ses passions musicales, son cœur vagabond et ses remises en question.
LE PORTRAIT
Longtemps Romane Serda a cru qu’elle ne pouvait exister que dans le regard des hommes. «Un regard qui me renvoyait l’image d’une poupée obéissante et sans défense. Mais cette poupée, ce n’était pas moi.» Dans cette ronde toujours plus grande des chanteurs passant au clavier de l’azerty, à la confesse de l’autobio, elle va sans contrition et prévient : «Ce livre n’est pas celui de l’ex de Renaud, mais le mien.» La sourdine collée à la trompette de l’autosatisfaction, on sait vite que, petite, cette «sensation d’avoir un QI de portemanteau» la hantait. Qu’elle préfère, se pensant une «culture de sole meunière», avaler en silence les hésitations de son ciel de traîne que de la ramener sur tout.
Boussole à l’ouest pour explication de texte, direction Meudon, dans les Hauts-de-Seine. Ses croquenots noirs dans l’entrée, elle va les pieds nus dans son vaste salon blanc. Côté fourneaux, Bowie en portrait observe cette propriétaire végétarienne au vote écolo, ni alcool ni tabac, toujours cuisiner bio. Côté canapés, poêle à bois, trois pièces d’art contemporain. Quelques livres, dont l’Eloge de la fuite de Laborit, se disputent une fine étagère murale avec des terres cuites d’elle et de Malone, son fils de 14 ans. Tisane infusant, Romane Serda a le tutoiement rapide, la nature à l’image de ses cheveux ballots de pailles, terrienne. Malone rentre du collège, oui, il a de quoi goûter. «Mère louve», elle le suit du regard monter déposer ses affaires, redescendre dans le jardin et disparaître, laissant Coco et Canelle, leur deux poules pondeuses, gratouiller leur lopin de terre sans pesticides.
Au même âge que son fils, Romane Serda, commençons comme ça, est une timide à la maigreur de phasme, jouant les dures au collège, qu’elle abandonne avant le brevet. «Rejetons du grand barnum post-soixante-huitard et de la libération sexuelle», fille unique d’une mère secrétaire à Radio France, retraitée, et d’un père au sang catalan et aux cendres dispersées dans le sable de la Méditerranée. Elle s’est construite avec l’image floue de se père aux pieds nus, posant pour trois ronds comme modèle aux Beaux-Arts, réfugié dans l’indifférence et l’absence quand sa mère s’installe avec celui qui devient son beau-père. Sauvageonne et inquiète, Romane Serda grandit avec l’ennui, «à en deviner, les yeux fermés, le nombres de mouches contre les vitres et, à l’oreille, le trouver». Ad nauseam elle garde «la peur viscérale de l’abandon et du rejet». Elle croît être une «entrave» à la vie amoureuse de sa mère, s’efface en caméléon. En guise d’heureuses madeleines, on repêche: l’odeur du plâtre et du ciment de l’habitat en perpétuels travaux, le soleil de sa Drôme d’enfance sur l’écorce des résineux, les vacances avec les filles de son beau-père, «[s]es sœurs». Le noyau familial emménage à Montpellier, chacun son studio sur le même palier. Elle fait la manche dans les rues et les Beaux-Arts un an, chaparde «pour l’adrénaline», qui redescendra fissa quand elle se fera gauler avec l’intégrale de Bob Marley. Elle se rêve technicienne du son, se débrouille pour être pousseuse de disques dans les stations de radio, vend des objets pour fans dans les concerts de Goldman et autres. Les rencontres l’amène backstage, à la régie des concerts. Elle vise Paris, y arrivera.
Les cours de théâtre et de chants n’étant pas gratos, elle est mannequin pièces détachées pour ses fesses pommelées, actrice de campagnes télé pour une marque de cahiers scolaires, démonstratrices de plats cuisinés dans les hypermarchés. Elle écume les castings. Recrutée danseuses au Crazy Horse, elle ne signe pas le contrat, enrôlée au même moment actrice de sitcoms, début 90 dans la série l’Annexe. A elle le vedettariat. Si les passages télé ont décapsulé sa timidité, seule parviendra à la soigner sa voix s’aventurant par hasard devant un micro. Lestée de ses paradoxes, de ses démons, de ses embardées sentimentales soldées en fiascos, Romane Serda va, avec une détermination de fourmi, drelin-drelin, sonner aux portes des maisons de disques avec les morceaux qu’au fil de ses rencontres, souvent amoureuses aussi, elle a enregistrés.
A Londres, elle se met sous l’aile de l’Irlandais John Reynolds, producteur artistique de Sinéad O’Connor, arrangeur pour U2, Björk ou Dido. Idem à Cologne, avec Rudolf Schenker, leader du groupe Scorpions, en poster dans sa chambre, qu’elle suit pour de vrai après un concert. «John m’a fait progresser, m’a appris beaucoup, mais j’étais française et, pour percer en Angleterre, je devais m’effacer au profit d’un personnage. Ce que je n’imaginais pas.» Elle poursuit : «Rudolf, lui, m’a composé et écrit des textes en anglais. C’était très commercial, je m’appréciais pas le producteur, j’ai tergiversé et n’ai pas signé le contrat.» | 1971 Naissance à Paris. 18 octobre 1993 Première diffusion de la série l’Annexe. 14 juillet 2006 Naissance de Malone. 16 décembre 2015 Crémation de son père. 7 octobre 2020 A la vie à l’amour (HaperCollins). |
A scruter les météos de son palpitant, le vent d’autant l’a toujours électrisée. Elle a senti le souffle doux du zéphyr jusqu’à la gueule de bois enivrée, avant qu’un mistral gagnant ne vienne tout emporter. Depuis, la guitare en embuscade, Romane Serda a quatre albums à son actif, le cinquième en gestation. Pour cela, comme en tout, l’énergie d’une centrale électrique, la niaque du piranha. «Je vis de ce métier aujourd’hui, mais c’est chaud. Le dernier concert était l’année dernière à Troyes. Avec la pandémie, nous en sommes tous là.» En écrivant, Romane Serda voulait simplement signifier qu’elle existait avant d’amarrer son myocarde à celui du docteur Renaud. Avec lui, elle s’est mariée trois fois. En Provence, à Los Angeles et à la mairie. Lui, ce Mister Renard qu’elle est parvenue à mettre à l’eau, à faire emménager le plus loin possible du bar de la Closerie des Lilas, et à remettre au turbin. Celui qui l’encense sur l’album Rouge sang. Lui qui a produit son premier album et les deux suivants. Ecrit ses chansons, «à toi la mélodie, à moi le crayon». Le père de Malone, dont elle a divorcé et avec lequel elle posait en une de Paris Match dernièrement à la rentrée. «Je suis perçue comme la profiteuse. J’entends toujours, et c’est violent, que sans Renaud, je ne serais rien. Si j’avais été si intéressée, je n’aurais pas divorcé. Maintenant, je pilote mes projets en j’en suis plus épanouie. Mais en dépit de cette séparation, ce lien indéfectible entre nous continue de survivre à tout.»
Son caractère, elle le définit ainsi : «L’attention à l’autre jusqu’à l’effacement de soi. Quand je m’ouvre, je laisse tomber ma carapace joyeuse. Mais mon côté dark, personne n’a envie de le voir. Alors je reste solaire. J’ai du mal avec le déclin et les sarcasmes. La colère me barre le plexus, me rend mutique. Mais je pardonne et tâche d’apprendre de mes erreurs. Je suis une fidèle que la trahison et les promesses non tenues font fuir. Je peux me lasser de ce qui semble acquis. Dans toutes mes histoires, je suis la première à partir.» Qu’importe ce que lui réserve le verso de ses libertés.
Source : Libération