N° 75, 1er décembre 1993
Cette semaine, je m’étais juré de parler de l’Actualité. Avec un grand A comme « tas de merde ». Pas parce que des lecteurs se plaignent de pas lire assez souvent sous ma plume des brûlots-réquisitoires-coups de gueule, non, juste pour faire plaisir à Philippe Val, qui m’a demandé la même chose. Parce que lui, je l’aime beaucoup, alors que vous, je vous connais pas. Je m’étais dit que j’allais traiter d’un sujet vachement grave, vachement scandaleux, ou, en tout cas, vachement important. Genre les SDF, le chômage, la drogue, la pollution, le sida, la guerre ou le football. J’avais décidé d’oublier que Val, Charb, Siné, Pasquini, Oncle Bernard et les autres font ça très bien, j’avais essayé de me convaincre que j’avais peut-être un avis différent du leur (et du vôtre), une opinion encore meilleure et, pour les exprimer, un talent forcément pas dégueulasse sinon vous pensez bien qu’à Charlie y m’auraient viré depuis longtemps, à moins qu’ils ne me gardent que pour ma signature, ce qui serait très con.
Et pis j’ai pas réussi. J’ai eu beau chercher, rien dans l’actualité du monde ne m’a inspiré la moindre ligne. Du dégoût, de la déprime, de la colère, oui, mais pas l’ombre d’une envie de les exprimer. C’est du bel espace journalistique perdu, vous vous dites. Une belle tribune désertée, du papier gâché, de la liberté d’expression autobâillonnée… Ben peut-être. Mais c’est surtout une grande lassitude, un sentiment d’impuissance, et la conviction désarmante de la futilité, du dérisoire qu’il y a à formuler chaque semaine ses indignations, à exprimer encore et toujours son désir de transformer radicalement cette société à la con, à défaut de pouvoir la détruire une bonne fois.
Deux choses ont retenu mon attention malgré tout, au point que j’ai envie d’en faire quelques lignes ici. Deux petites infos glanées au hasard dans le cloaque quotidien des nouvelles du monde et des gens : Achille Zavatta s’est suicidé d’une balle de revolver dans la tête ! Le suicide m’a pas étonné plus que ça, mais le revolver, oui. Ça vous a pas fait bizarre, à vous ? Moi, je me suis vraiment demandé pourquoi un monsieur avec un nez rouge, des chaussures trouées, un manteau à carreaux, un chapeau en chiffon et un violon cassé, un monsieur dont la vie n’a, apparemment, obéi qu’à une règle : faire rire les enfants, pourquoi ce monsieur si gentil avait un flingue chez lui. Je serais clown, il me semble que j’aurais un pistolet à eau ou une carabine à flèches, pas un 357 Magnum, non ?
Ah bon…
Je sais pas pourquoi, mais je me dis que si Zavatta avait un vrai revolver-à-mort, un mec comme, par exemple, Charles Pasqua, a probablement chez lui une bombe thermonucléaire.
Pis la seconde chose qui m’a étonné dans l’actu, c’est ce sondage fait auprès des 11-17 ans. « Qui aimeriez-vous avoir comme parents ? » Sondage vraisemblablement un peu manipulé, comme c’est souvent le cas, puisque j’imagine qu’on a soumis aux mômes une liste de « personnalités » plutôt que de les laisser répondre spontanément. Comme maman, c’est Balasko qui arrive en tête. Pour les papas, c’est Dechavanne. Je rigole parce que ça doit énerver Nagui. Depardieu est troisième, ce qui est marrant, aussi, son fils Guillaume, un petit peu enchristé, sera sûrement ravi de savoir que sa place est enviée. Moi, je suis quatrième. Sympa… Quand j’ai vu ça, je me suis demandé si j’avais bien lu et si on ne me plébiscitait pas plutôt comme grand-père, mais non. Pour voir, j’ai demandé à ma fille ce qu’elle aurait répondu, comme je m’y attendais, elle a sorti Clark Gable et Vivien Leigh. Pis du coup, elle m’a posé la question. J’ai dit Brassens comme papa et heu… comme maman, heu… allez, Charles Trenet !
Avec des parents comme ça, à tous les coups j’aurais fait chanteur. Pas chroniqueur à Charlie Hebdo…
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud