N° 67, 6 octobre 1993
Renaud : Bille en tête
Et l’homme créa le short…
Constatant la cruelle absence de pages sportives dans mon hebdo préféré, pages que tout journal digne de ce nom se doit d’offrir à ses lecteurs, j’ai décidé, ami de la presse libre à 10 francs, de m’autoproclamer pour quelques semaines chroniqueur sportif à Charlie Hebdo, décidé de te faire découvrir, grâce à ma parfaite maîtrise du sujet, ce monde merveilleux de l’olympisme, cet univers magique de la compétition, parfois mal compris, souvent décrié, toujours réduit à des images caricaturales d’argent sale et de sueur dégueulasse alors que c’est le contraire.
Gloire donc aux dieux du stade, gloire aujourd’hui aux footballeurs, dieux dont la religion fait le plus grand nombre de victimes, je voulais dire d’adeptes.
La légende dit que le football fut inventé en France en l’an 11, ni avant Jésus-Christ, ni après, mais pendant, par un certain Bernartapus, copain d’école dudit Jésus. Ce n’est pas tout à fait vrai, comme nous l’allons voir…
Le petit Bernartapus s’ennuyait ferme dans sa petite ville de Nazareth, où, hormis les bastons quotidiennes entre la bande à Yasseraratus et celle à Shimonperus, qui, à coups de cailloux, se disputaient la possession de la cour de récré, les activités ludiques étaient rares. Un jour qu’il en eut assez de voir ses copains s’étriper, il s’en alla trouver le petit Jésus et lui parla ainsi :
« Gégé, mon ami, il faut faire quelque chose ! Les hommes s’entretuent par désœuvrement, n’as-tu pas une idée pour les distraire et, tout en leur permettant de défouler leurs pulsions belliqueuses, les réunir dans la fraternité autour d’une même passion ? » Comme c’était joliment formulé, Jésus comprit tout de suite, un peu comme vous, et répondit à son ami:
« OK, Nanar, pas de problème, je vais leur inventer le football ! » L’invention était belle, Bemartapus en racheta les droits, s’en attribua la paternité et toucha les royalties sur les droits dérivés.
Aux siècles suivants, le football ne cessa de se développer un peu partout dans le monde, mais, bizarrement, il ne contamina que les populations masculines, épargnant les femmes. Celles-ci mirent à profit cette immunité pour, tandis que leurs maris vociféraient dans les stades, s’en aller copuler avec des pêcheurs à la mouche. Au XXe siècle, le football atteignit son apogée avec, notamment, ce match resté dans les mémoires, « Allemagne-Reste du monde », qui vit la défaite des Teutons par dix millions à cinquante millions, match au cours duquel six millions de cartons jaunes furent distribués et dont ceux qui en écopèrent ne revirent jamais un ballon.
Aujourd’hui, le football est devenu un véritable phénomène de société, et il n’est pas un village qui n’ait son équipe, ses supporters, ses dirigeants sportifs, au point qu’on envisage de construire des maisons d’arrêt supplémentaires pour récompenser de leurs ardeurs tous ces vaillants sportifs.
Comment ça se joue, le football ? Bonne question. Le football (professionnel) se joue à onze milliardaires contre onze, plus trois RMistes tout de noir vêtus. Le rôle du premier de ces trois-là consiste à courir entre les boulons et les canettes de bière que les supporters des deux camps (plus communément appelés « connards ») lui balancent selon qu’il a sifflé penalty ou pas, c’est-à-dire, souvent, selon qu’il a touché ou non une enveloppe, celui des seconds se limitant à soulever un petit drapeau au bord du terrain, tantôt à gauche, tantôt à droite, en se faisant traiter d’enculés dans les deux cas. Pour le joueur proprement dit, le jeu consiste à essayer de casser la jambe à son adversaire direct pour lui voler son ballon et le lancer avec mépris dans les filets ennemis, mais sans les mains, parce qu’avec les mains, c’est dégueulasse. L’équipe qui a gagné est celle qui a trois, ou alors j’ai rien compris. Quand il n’y a pas de bagarre à filmer dans les tribunes, TF1 appelle ça un « match nul ». Par contre, quand il y a des morts, on renouvelle son abonnement à Canal+.
Hormis la couleur du maillot, les deux équipes se distinguent généralement l’une de l’autre par le nom du marchand de poulets ou de petits pois écrit en gros dessus.
En France, on n’est pas terribles, question football, mais, comme disait Pierre de Coubertin, célèbre fossoyeur du sport français, avec ses slogans à la con, « l’essentiel est de participer ».
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud