MONTRÉAL, SAMEDI 14 JANVIER 1989
CHANSON
Renaud : Au Québec avec sa « pomme » et ses chansons
DENIS LAVOIE
« Quand je voyage avec les copains (son équipe de musiciens), pour rester démocratique, je vais en classe économique. Quand je suis en famille je voyage en classe affaire. » Renaud assume ainsi ses contradictions de super-vedette de la chanson française, se pliant avec un brin de gêne à des signatures d’autographes, que viendront lui réclamer deux Français qui reconnaissent en lui l’idole de leurs enfants.
C’est dans ce contexte de soumission aux règles du jeu qu’impose le succès, tout juste après son arrivée du long voyage depuis Paris, que nous avons rencontré Renaud. Visiblement fatigué, mais courtois, sourire en coin, toujours très sérieux, l’artiste se livre facilement. Des grands artistes de la scène il dira d’ailleurs: « Ils donnent toute leur âme. Personnellement, j’essaie de donner la sève. »
Déchire dans sa fragilité d’artiste d’avoir à assumer les conséquences de « la rançon de la gloire », Renaud parlera avec quelque amertume de blessantes critiques. L’artiste, politiquement et socialement engagé, se sent comme un animal traqué, victime de ses prises de position, alors qu’il ne veut — surtout en venant au Québec — défendre que ses chansons.
« En France, je suis prisonnier de mes prises de position politiques et harcelé pour ça. J’ai du succès depuis des années en France. Or, le succès, contrairement à l’Amérique, y est toujours considéré comme assez louche. Depuis quelques mois, je suis donc devenu la cible des critiques. Tout cela depuis la sortie du dernier disque, où je me suis montré réfractaire à la presse et aux médias. Ils me le font payer. »
En venant au Québec, c’est une toute autre ambiance que compte un peu retrouver Renaud. Ici il se sent déjà plus libre et nous arrive surtout avec le goût de découvrir un nouveau public, de rencontrer de nouvelles gens. C’est un peu comme s’il quittait, pour un mois, le « climat très destructeur » qu’il sent en France, où on juge qu’il
est en perte de vitesse parce qu’il n’a attiré que 100 000 spectateurs à Paris contre 180 000 pour le précédent spectacle.
« Le Québec est un plus petit marché, avec un plus petit public, je suis donc ici un plus petit chanteur », dira-t-il simplement. Ainsi justifie-t-il la sobriété de son spectacle « québécois », qui tiendra davantage du récital que du spectacle à grand déploiement qu’il présente aujourd’hui en France.
« J’amène de belles chansons et, ma pomme, mais rien de spectaculaire », précise le chanteur dont la tournée québécoise débute à Amos ce soir. Il sera au théâtre Saint-Denis du 24 au 28 janvier, après avoir visité Val d’Or,
Rouyn, Québec et Chicoutimi. Il ira par la suite à Ottawa, Sherbrooke, Trois-Rivières, Joliette, Valeyfield et Laval.
« Ici, je retourne à mes premiers amours, le récital. Ça me permet de trouver des salles plus humaines, de voir les gens dans le blanc des yeux. » Pour bien faire, se plier au contexte, Renaud a dû repenser son spectacle en fonction du public québécois, et des souvenirs qu’il a des chansons qui ont plu ici quand il a chanté au Spectrum, à la Place des Arts mais aussi aux festivals de la gibelotte à Sorel et de la crevette à Matane.
La référence à Coluche
« J’élimine les chansons dont les références au contexte social français risquent d’échapper au public. Je reprends par ailleurs des chansons que je n’ai pas faites depuis quatre ans », précise Renaud. Il ne devrait donc pas chanter En cloque ni Putain d’camion (la chanson-titre de son dernier album) à cause de la référence à Coluche qui lui parait trop mal connu au Québec.
Renaud avait l’intention d’interpréter une chanson de Félix Leclerc, mais là encore, il craint « d’être taxé de démagogie. Je ne me prétends pas être le plus pur ni le plus honnête, mais des fois on voudrait faire des choses qui nous font plaisir. »
Ce disant. Renaud nous apprend qu’il aimerait bien devenir, pour un spectacle un de ces jours, l’interprète de quelques-unes de ces grandes chansons françaises qui constituent le trésor du répertoire. Il y chanterait Trenet, Brassens (comme il le fit à ses débuts), Vian, Le Temps des cerises, et Petite vie de Michel Rivard. Il a d’ailleurs, à ses tout débuts, chanté quelques bonnes vieilles chansons françaises.
Se disant, à 36 ans. aussi vieux que Léo Ferré, l’artiste qui est l’idole de jeunes de 14 à 18 ans se sent comme mal à l’aise d’agir humainement dans sa vie privée, même si cela va à rencontre de certaines de ces opinions publiques. Ainsi a-t-il accepté le Grand prix de la chanson du ministère de la Culture. On a critiqué le geste de la part d’un « anarchiste » qui a refusé à deux occasions de devenir « chevalier de l’ordre des arts et des lettres », parce que Brassens avait refusé cet honneur. C’est parce qu’il aimait bien le ministre Jack Lang et pour faire plaisir à ses parents « âgés et fiers, et surtout mon père qui est écrivain », que Renaud a accepté de recevoir un « diplôme », sans doute bien mérité.
« La gloire, si on l’a, c’est qu’on la mérite, par le talent sans doute, mais qui s’accompagne le plus
souvent de beaucoup de travail, affirme d’ailleurs l’artiste. Je fais le plus beau métier du monde, mais c’est aussi épuisant. Les gens nous donnent leur présence, nous en échange on donne tout. »
Sentimental, se disant « bon père », Renaud avoue ne jamais s’éloigner de sa femme et de sa fille plus de quinze jours, aussi viendront-elles le rejoindre en cours de tournée au Québec. « Je suis un bon père », se contente de dire l’artiste. C’est aussi un peu par sentimentalisme qu’il a débuté sa dernière série de spectacle à Montpelier, la ville natale de son père.
Quant à l’avenir, Renaud parle de son prochain microsillon comme d’un disque qu’il voudrait très acoustique, ayant suffisamment goûté aux spectacles éclaboussants d’effets d’éclairages. Mais, il ne s’y mettra résolument que dans plusieurs mois. Il doit en effet effectuer une nouvelle tournée en France après son séjour d’un mois au Québec.
« Deux heures de chansons, de bonheur, de plaisir, c’est finalement ça l’essentiel de mon spectacle. J’espère donc faire rire les gens en faisant des références à la vie, quelques allusions à « la langue de chez nous » comme dirait l’autre, et là où je ne suis jamais allé, je vais leur dire qu’un jour je chanterai peut-être… au Canada. »
Source : La Presse