Séchan séché

Libération, le 

Si Renaud Séchan est si déplorable, ce n’est pas parce qu’il joue au rouge, ni parce qu’il est esthétiquement trois fois nul et non avenu (auteur compositeur interprète), c’est parce qu’il est faux comme les blés (qu’il ramasse) : de la pointe des cheveux à celle des santiags, en passant par « l’accent »

Il y a quelque chose qui ne va pas avec Renaud. Renaud Séchan. C’est l’accent. Selon des témoins indiscutables – dont on comprendra aisément qu’ils conservent l’anonymat – Renaud n’avait pas du tout l’accent lorsqu’il a fait ses débuts discrets à la Pizzeria du Marais.

C’était juste un chanteur « à texte », violemment influencé par Pierre Perret (et Pierre Perrin aussi d’ailleurs : le Clair de lune à Maubeuge) qui avait constaté qu’en jouant deux accords de guitare derrière ses poésies, il arrivait au moins – phénomène – à capter l’attention de trois consommateurs le temps d’une « Quatre saisons ». Un Duduche à sa gragratte, comme il y en avait tant à l’époque, qui, en toute logique esthétique, aurait dû en rester là ; au chaud entre Montparnasse Bienvenüe et Strasbourg Saint Denis (la ligne des Miracles), avec ses bouts rimés et ses copains et sans accent.

Quand il ne déclinait pas à la Pizzeria du Marais, il poursuivait Hugues Aufray, son idole, pour lui caser ses « compositions » (anecdote croustillante attestée par le découvreur de Dylan en France lui-même) ; il envoyait des lettres de menace à Champ Libre qui avait eu le culot de refuser ses poèmes et, à l’occasion, il servait de faire-valoir à Henri Guybert, Miou-Miou, Coluche son ami, Romain Bouteille ou, bien sûr, Patrick Dewaere, la vraie star, du Café de la Gare : hallebardier, corbeau au petit pied, chanteur à sébile, selon la saison… Mais d’accent, point !

C’est un vrai problème, ça ! Prenez Béranger, Leny Escudero, Philippe Clay : eux, ils ont vraiment l’accent. Celui de Paname le vrai, mon pote, l’héréditaire ! Comme Dutronc, le maître, et même la mère Mitchell, tiens ! Ou Guichard cœur de lion, prêcheur dans le désert… Paris, tout ça ! Vrais gosses des faubourgs, rejetons de la môme Piaf et du preux Chevalier… Ah dis-donc, s’ils avaient un peu l’accent, cézigues ! S’ils te le faisaient chantonner l’accent « atmosphère », hein ? ! Mais Renaud, l’accent, taratata, l’avait pas !

Et pour cause : à la maison, on mangeait plutôt le petit doigt en l’air. C’était déjà une autre chanson que ce style Ténardier-Légo (via Higelin / Capdevielle et autres ravaudeurs de Java des chaussettes à clous recyclés dans la goualante pseudo-rock) une autre rengaine que ce genre néo-rue de Lappe encanaillé sur mesures, que le gars affiche aujourd’hui, à plein Zénith. Surtout pas l’accent ! (- Et tes mains sur la table, s’il te plaît !)

Petit-bourgeois moyen quoi ; classique. Le papa enseignant, la mère… de famille. Là-dessus, histoire de s’émanciper, toujours normal, on se laisse pousser le cheveu (rigoureusement marron à l’époque et pas péroxydé chochotte à la Sting, comme aujourd’hui : autre problème, ça tiens, le mèche à mèche !). Et pour faire beatnick, comme Polnareff, avoir la cote avec les touristes du « Luco » des monômes, on traîne savates et guitare sur les marches du Sacré-Cœur : mais l’accent, eh bien, désolé, il tire le nez vers N.A.P. (Neuilly Auteuil Passy), pas vers la Butte ! Rien à faire. Gros lézard, là…

En fait, c’est avec les disques que ça lui est venu. Pouf ! Une éruption, comme qui dirait : poussée de fièvre communard-titi qui aurait, chez lui, rapidement dégénéré en poulbotite aigüe de banlieue-dortoir… Tout allait pourtant à peu près bien dans la périphérie, et puis Laisse Baston (« m’a filé une mandale, marron, châtaigne, blouson, santiags etc. ») est arrivé dans les juke-box. Calamitas et tasmilacas : la chetron des teurmasoncos au toircom du bactabar du mercoço, heu donpar, su cemercoco ! Tomber de Ca plane pour moi en Laisse béton : dur dur, l’accent ! Titi au menu, verlan avec supplément.

Et dans la foulée, la fameuse « zone » des mythologies BD à cent balles à trouvé son « musette » en option : Reuheunôô ! Ce prénom on ne peut plus huppé, par un de ces tours de passe-passe radiophoniques admirables, à base de poudre de perlimpinpin franchouille de derrière les Poulbots, est devenu presto-subito le Plus Petit Dénominateur Commun Loubard.

Sur quoi, fort de son super-accent pointu « la Mouffe » en kit flambant-neuf ainsi testé (cling-clong), l’ancien bourge schizophrénisé Gavroche, l’ex-animateur de pizze improvisé « éducateur de rues » par voie d’ondes, a lancé son deuxième manifeste : Gérard Lambert , super héros zéro (mob, baston, bandes de jeunes, etc.) de Billancourt accentué.

Depuis, potentialisant au delà du concevable les pires tares du genre accablant « chanson française » (enterré avec le grand Jacques), la rengaine gnan-gnan a résolument creusé sa tranchée : celle du nivellement par le bas (le sous-sol ?), la gouaille tocarde en préfabriqué, le simili-popu, le beauf-fixe avec circuit touristique funiculaire / Place du Tertre, et la charité bien ordonnée : des baleines à l’Afrique, de La Courneuve aux restos du cœur, en passant par les royalties (air connu).

Jusqu’au plafond d’absurdité nullarde, jamais imaginé dans l’histoire, inanalysable et exténuant, de Morgane de toi : même accent, nouveau son de cloche. Pantruche sur Los Angeles, via clip pédéraste complaisant de la rue de Verneuil. Toujours plus rase-béton, si possible, le niveau, de Déserteur revisiteman (rédigé avec les pieds), en Baby Sitting Blues infantile (chanté avec les genoux) ; toujours plus hauts les scores (ventes au-dessus du million, contrat au-dessus du milliard). Et ce n’est pas fini-Nini (ça recommence !).

Aux dernières nouvelles en effet, l’ex-pizzeriste troubadour, à qui, après tout le monde, Bernard Pivot, fidèle à son personnage démago-suiviste de porte-parole officiel de la médiocratie littéraire, léchait récemment les santiags en public, de manière si dévotieusement flagorneuse, notre Prix Renaud donc, ainsi officialisé Victor Hugo des HLM, fort de son tout nouveau tobacco à fumet de scandale programmé outre-manchot : Madame Thatcher (« Il a osé insulter la Meuf de Fer, dis donc ! – Non ? ! ») envisagerait d’enregistrer un skeud en angliche (cookney-rebel ? ) de ses phénoménales french poetries.

Et l’ééééhcceennt éééééhllleurrr ? ! 

BAYON / Serge LOUPIEN

 

Source : Le HLM des Fans de Renaud