N° 162, 2 août 1995
Envoyé spécial chez moi
« L’envoyé spécial chez moi » n’est pas chez lui, il est à l’étranger. Il a pas lu un journal, pas écouté une radio, pas vu une chaîne de télé française depuis deux semaines. Il est au courant de rien. Si, quand même… Par le téléphone, il a appris l’attentat dans le métro parisien. Comme il est d’un naturel soupçonneux, qu’il a tendance à ne faire confiance ni aux flics, ni aux journalistes, ni aux politiciens, il s’est dit : « Ça, c’est un coup des barbouzes français ! » Quel meilleur moyen de justifier les contrôles musclés, le flicage des citoyens, les charters pour les immigrés et la poursuite des contrôles aux frontières de l’espace Schengen ? Là, vous pensez : « Il exagère, l’envoyé spécial ailleurs ! » Allons, allons… Le terrorisme d’État, ça vous dit rien ? Il a pourtant merveilleusement fait ses preuves en Italie, en Espagne, en Allemagne, manipulant, infiltrant, manœuvrant ici et là différents groupuscules terroristes, commettant en leur nom ou les poussant à commettre nombre d’attentats sanglants justifiant par la suite l’instauration d’États policiers et la remise en cause des libertés individuelles. Comment ça, je « déraisonne » ? Vous allez pas me faire croire que vous avez vraiment été dupes de l’enlèvement et de l’assassinat d’Aldo Moro par les brigades rouges ou de celui de Hans Martin Schleyer, patron des patrons allemands, par la Bande à Baader ? Si ? Bon… Vous avez peut-être raison… Mais moi je crois que ces groupuscules faisaient précisément ce que l’État attendait d’eux. Quand je dis « État », je pense à des lobbies industriels et financiers, des groupes politiques, des mafias et des flics. Pour éliminer un parti communiste trop puissant, pour prendre le contrôle de secteurs économiques et pour légitimer la flicardisation de la société. Remarquez, je pense un peu la même chose pour les attentats attribués à notre hexagonale Action directe. L’assassinat de Georges Besse, P-DG de Renault, celui du général Audran, bizarres, bizarres… Le premier menait, paraît-il, une politique pas trop « libérale », refusant les licenciements massifs dans le groupe, le second gênait le lobby militaro-industriel par son refus d’exporter armes et nucléaire au Moyen-Orient chez les Kadhafi et autres Saddam Hussein. Voilà deux hommes qui, alors qu’ils auraient dû bénéficier d’une protection digne d’un chef d’État, se sont fait abattre comme des lapins. Je n’arrive pas à croire que leur « élimination » ne conforte que les intérêts idéologiques de quelques allumés et pas ceux « supérieurs de la nation », comme dit l’autre…
Remarquez, je pense pareil du « suicide » de Pierre Bérégovoy… Je n’arrive pas à croire qu’un garde du corps chargé de la sécurité d’un ex-Premier ministre laisse traîner son 357 Magnum dans sa boîte à gants. Moi, je pense qu’il y a du « délit d’initiés » derrière tout ça, qu’une enquête, un procès, des aveux, auraient éclaboussé des personnages haut placés dans l’entourage du Pierrot…
Finalement, je vais peut-être rentrer chez nous, écouter les infos et lire les journaux, non ? Quand je me fais mon opinion tout seul, l’actualité est encore plus dégueulasse… C’est parce que je crois que, des gens capables du mauvais, il vaut toujours mieux penser qu’ils sont capables du pire.
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud