Siné, si tu veux, il est poète

Siné Mensuel

Hors-série n° 4, mai 2016

PAR RENAUD

Petit historique sur l’amitié qui nous unir, Siné et Moi, surtout moi.

La première fois que j’ai vu Sinuche, c’était chez Colé. Je l‘ai tout de suite trouvé très beau avec ses verres de lunettes qu’on dirait des glaçons, avec sa silhouette gracieuse quoique quelque peu bedonnante d’anarchiste « tendance Kanterbraü », avec sa femme surtout qu’est beaucoup plus belle que lui, malgré son type slave très prononcé et sa mentalité féministe « tendance Epeda multispires », si tu vois ce que je veux dire.

Lui aussi, ce jour-là, m’a sûrement trouvé très beau, surtout ma femme, mais il n’a pas osé me l’avouer.

En fait, tous les gars qui ne me disent pas qu’ils me trouvent très beau sont, comme Siné, des gens hypersensibles dotés d’une pudeur qui les honore.

Par contre, ceux qui me trouvent très moche sort des fascistes à « ten­dance aveugle » et je tes emmerde !

La formidable amitié « tendance virile » qui devait naître de cette rencontre inoubliable et qui, au fil des années, ne fit qu’empirer était basée sur une contradiction fondamentale entre son caractère et le mien : alors que Siné déteste tout le monde, moi, par contre, je n’aime personne !

Ainsi, musicalement, Siné m’avoua un jour n’aimer que la Salsa et moi. Aussitôt, surpris, je lui demandai « Mais  pourquoi la salsa ? » Il se mit en devoir de me faire découvrir cette musique barbare « tendance la salsa »… et m’entraîna dans une boite de nuit où un délicieux orchestre de musiciens cubains « tendance restau-au » enchanta mes oreilles de douces mélopées tropicales « tendance Bernard Lavilliers » et de rythmes endiablés.

Notre amitié était basée sur une contradiction
fondamentale : alors que Siné déteste tout le
monde, moi, par contre, je n’aime personne.

Je ressortis à l’aube, ivre mort, déchiré, ruiné, allumé, torché au punch, et je fis à Siné cette remarque judicieuse : « Dans ce genre de lieu, avec ce genre de musique et ce genre de boissons, et qui est bien, c’est que même les Blancs ressortent noirs ! »

Puis, il me demanda si j’avais été conquis par la salsa.» Alors je lui ai dit que j’adorais, que vraiment j’trouvais ça super, que j’aimais beaucoup ça… sauf, peut-être, tes cuivres et les percussions.

Il me dit : « Mais, tu comprends Renaud, la salsa c’est une musique de sous-dév. » Alors je lui ai répondu que la bourrée et le folklore breton aussi mais j’aimais pas quand même !

On s’est pas fâchés pour autant, au contraire, j’l’aime encore plus ! Je l’aime parce que c’est un mec, si tu veux, c’est un mec formidable.

Tiens, je vais prendre un exemple : Si moi je croise un flic dans la rue, moi je change de trottoir. Siné, lui, il ne change de trottoir que si le flic est sur le trottoir d’en face, tu vois, pour se retrouver en face de lui.

Et au lieu de lui demander : « Pardon m’sieur l’agent, s’il vous plaît, pardon m’sieur l’agent, est-ce que vous savez où ça se trouve la rue Marbeuf, s’il vous plaît m’sieur l’agent ? » Lui, il dit : « Casse-toi connard. casse-toi de mon chemin, ôte-toi de là sale flic, pédé, ta gueule, j’t’emmerde, je vous déteste. souvenez-vous, Charonne, métro Charonne, assassins, j’vous pisse à la raie, espèces d’enculés sexuels… »

Je suis témoin… enfin… il était bourré ce soir-là !

Siné, si tu veux, il est poète.

Il dit pareil des juges, des notaires, des bourgeois, des dentistes, des curés, des rabbins. des ayatollahs, des krishnas, des militaires, des politiciens et des marchands de couleurs.

Siné, il est très franc : il appelle un chat un chat et un stalinien tête de chien. Il appelle un chien Rintintin, Rex ou Pif selon qu’il est chien militaire, chien policier ou chien de communiste.

Je conclurai en disant qu’outre toutes ses qualités fondamentales, Siné est fidèle en amitié comme en amour. En amour surtout…

La preuve, c’est qu’à chaque fois qu’il se barre tout seul à Bangkok pour se refaire une santé, eh bien, il descend toujours dans le même hôtel.

Super fidèle en amour, j’vous dis. C’est pas sa femme qui va me contre­dire, hein… chérie ?


Pourquoi tant de haine ? Quarante ans de noirs dessins. Siné, La Découverte, 1989.

  

Source : Siné Mensuel