Montréal
Mercredi 15 décembre 2004
Arts et spectacle
Nathalie Petrowski
Saint-Alexis-des-Monts : Johnny est arrivé le dernier, comme il se doit. Dans le ciel pur surplombant le lac Sacacomie, on a vu son hélico vert en provenance de l’aéroport de Saint-Hubert tourner autour de l’immense chalet en bois rond puis se poser délicatement comme un grand oiseau dans le stationnement. Il était environ midi et la grande famille franco-québécoise réunie à l’Auberge Sacacomie le temps d’enregistrer une émission spéciale de Noël pour TQS et pour France 2 était désormais complète.
Dans le hall où flambait un immense feu de foyer, les assistants se sont énervés. Johnny arrive, ont-ils chuchoté en commençant à faire le ménage comme si Johnny Hallyday était non seulement la plus grande, mais l’unique vedette au monde. Pourtant, les vedettes ne manquaient pas hier midi à l’Auberge Sacacomie, joyau de la Haute-Mauricie. Là dans le bar, Renaud et Romane couvaient un Perrier en discutant avec Françoise Hardy. Plus loin, Daniel Lavoie enlevait ses pelures en saluant Laurence Jalbert et Sylvain Cossette. Ailleurs dans l’auberge de 110 chambres, Henri Salvador soignait son décalage horaire pendant que Bernard Lavilliers s’épivardait dans la neige. Dos à l’immense baie vitrée, Stéphane Rousseau, l’animateur de la soirée, prenait un café, tandis qu’Isabelle Boulay, l’hôtesse de l’événement, se réjouissait d’avoir enfin le droit de porter une tuque, accessoire interdit dans les salons de Paris. Bref, des vedettes, il y en avait à la pelle dans la cabane au Canada d’Yvon Plante, le proprio. Mais Johnny, c’est Johnny. Après plusieurs fausses alertes, Johnny est enfin entré, avec à sa suite une équipe de film, quelques assistants et son vieux pote Eddy Mitchell. Les deux ont immédiatement pris la direction du bar et se sont commandé une bière. À la guerre comme à la guerre. La fête pouvait commencer.
Dans les faits pourtant, la fête n’a pas commencé hier. Elle a commencé il y a plus de deux ans dans les bureaux de la Commission canadienne du tourisme à Paris qui cherchait un moyen de vendre l’hiver canadien aux Français autrement qu’avec des affiches et des pubs à la télé. Pourquoi ne pas monter un spectacle avec des vedettes ? proposa Yvon Plante, qui travaille étroitement avec l’organisme fédéral pour attirer les Français dans sa célèbre cabane au Canada.
L’idée a fait son chemin. Sa réalisation a été confiée au producteur québécois Jean Lamothe, qui a contacté les agents des artistes, mais aussi les diffuseurs. Une entente de coproduction a été conclue entre TQS et France 2 pour la production d’une émission de Noël avec Isabelle Boulay dans le rôle de la chanteuse qui reçoit ses amis français et québécois, tous chanteurs, dans un chalet en rondins de pin blanc québécois.
Une entreprise d’une telle envergure n’est pas sans difficulté ni péril.
Évidemment, une entreprise d’une telle envergure n’est pas sans difficulté ni péril. Côté difficultés, il a fallu aménager la salle de congrès de 5000 pieds carrés pour qu’elle ressemble à un plateau de télé parisien qui ferait le bonheur de Gérard Pullicino, le réalisateur de la partie française du show. C’est ainsi que 10 camions de chez Solotech, transportant autant de consoles, de files et lumières que pour le show de Céline au Centre Bell, ont dû gravir la route cahoteuse et escarpée du rang Sacacomie. L’installation a duré une semaine, mais le résultat est des plus concluants. Si on ne se savait pas au bord du lac Sacacomie devant les montagnes de la réserve faunique, on se croirait à Las Vegas. Même Yvon Plante, qui a pourtant accueilli pendant un mois l’équipe et l’équipement quasi militaire du film américain Secret Window, n’en revient pas.
Côté périls, il y a l’arrimage pendant trois jours de 22 artistes, 22 attachés de presse et autant d’ego et de besoins contradictoires. Prenez Johnny, qui a passé la fin de semaine à magasiner des ranchs dans les Cantons-de-l’Est. En débarquant à Sacacomie, lorsqu’il a appris qu’on l’attendait pour une randonnée en motoneige avec Isabelle Boulay, il s’est mué en Monsieur Bougon. La motoneige, j’en fais pas plus de 10 mètres, a-t-il lancé à Mario Mercrier, le réalisateur québécois qui coordonne la partie sur film, mais qui montera aussi l’émission québécoise. Contre toute attente pourtant, Johnny s’est pris au jeu et a filé sur la neige pendant plus d’un kilomètre, sans casque, sans combines et avec ses bottes de cow-boy.
Tous ses compatriotes ne sont pas aussi entreprenants. Plusieurs d’entre eux se plaignent du froid, même s’ils sont tous équipés de manteaux Kanuk. À l’inverse, certains Québécois trouvent qu’il fait trop chaud. Pendant la répétition en fin d’après-midi hier, certains ont même baptisé le plateau « mon sauna au Canada » tant la chaleur de 250 projecteurs marchant à plein régime était insupportable.
Au fur et à mesure que la soirée a progressé, la chaleur est devenue si étouffante qu’on a cru que certains chanteurs, surtout les plus âgés, allaient s’évanouir. Il n’en fut rien. Dans la salle bondée — où étaient rassemblés les gagnants d’un concours organisé par Rythme FM, la radio officielle de l’événement — Johnny, Eddy Mitchell et Bernard Lavilliers s’en sont donné à coeur joie.
Chose encore plus étonnante, l’enregistrement n’a commencé qu’avec une demie heure de retard et s’est déroulé à un train d’enfer. À 23 h, on avait déjà enregistré huit chansons sans presque jamais rien recommencer. Le clou de cette première partie fut le medley de blues réunissant Isabelle Boulay, Johnny et Eddy Mitchell sans ses chaussettes noires, mais avec sa chemise rose. Même si le trio ne savait pas toutes les paroles de Lèche-bottes blues et de Toute la musique que j’aime, au moins ils ne chantaient pas en playback, ce qui est en soi un exploit. Zazie a enchaîné avec Rodeo, Lavilliers avec On the road (en duo avec Boulay) et Françoise Hardy, tout de noir vêtue sauf pour ses cheveux blancs comme la neige, avec Tant de belles choses tirée de son nouveau CD.
Bref, à 23 h, malgré le décalage horaire, la fatigue et la chaleur écrasante, tout baignait dans la cabane au Canada. Seule ombre au tableau : à cette heure tardive aucun des invités québécois, les Éric Lapointe, Laurence Jalbert, Sylvain Cossette, Nicolas Ciccone, Corneille et compagnie n’avaient encore chanté, signe que Sacacomie, c’est un peu comme la France et que, pour certains, l’hiver est toujours un peu plus long.
Source : La Presse