SOUS LES SAPINS DE LEYSIN Renaud tendresse

La Suisse, le 2 juillet 1989

SOUS LES SAPINS DE LEYSIN Renaud tendresse

LEYSIN – Hôte d’honneur du 3ème Festival rock de Leysin, Renaud s’est prêté au jeu de l’interview. En toute simplicité et surtout en toute décontraction. Mais quelle timidité ! Une première, puisque notre loubard au grand cœur avait décidé, il y a quelques années, de bouder les médias, Français surtout.

Ambiance calme dans un grand hôtel de la station. Renaud caresse les cheveux de sa fille, Lolita. Affairée à la lecture de Pif Gadget, le petit bout de chou s’impatiente : « Dis papa, c’est long … »

« C’est la première fois que j’emmène ma fille en concert » souligne le célèbre père. « Je tiens avant tout à préserver mon intimité familiale et je ne veux pas qu’elle serve de pâture aux médias. »

Affligeant

Il y a un an, Renaud pique la mouche. Le PAF le déprime. Les médias l’assassinent. Ras-le-bol et basta. Bouche cousue.

« J’en avais marre de me justifier sur tout ce que j’entreprenais. Contre mon gré, on m’embarquait dans un système politique. J’ai mes idées, mais je suis avant tout un chanteur. En plus, la télé française devenait de plus en plus racoleuse. Des émissions affligeantes pourries par le fric où je n’avais plus rien à faire. Maintenant, je suis prêt à revenir sur ma décision mais avec beaucoup plus de rigueur dans le choix. Drucker et Denisot m’intéressent. »

Alimentaire

Au fil de sa carrière, la vague du show-biz l’emporte. Une ascension fulgurante le pousse au pinacle de la notoriété. « C’est aussi pour cette raison que j’ai rompu les ponts. Il a fallu que je me vende en promotionnant mes disques, mes spectacles et tout ce qui gravite autour. Du reste, le Top 50 me gonfle. Le talent fout le camp. On vit en pleine période alimentaire. »

Voile, pêche et jardinage

Si Renaud décompresse, il n’y a que l’appel de la nature qui puisse le remettre d’aplomb. Voyage en mer et campagne se révèlent des moments privilégiés.

« Mon bateau, actuellement amarré aux Antilles m’attend, mais pas dans l’immédiat. En août, je pars me mettre au vert en compagnie de ma femme et de Lolita dans ma maison du sud de la France. J’adore jardiner, la greffe des arbres et la pêche à la ligne sont mes loisirs préférés. Quelle magie de se trouver au bord de l’eau et d’imaginer toute cette faune aquatique. Oh ! Je ne fais pas beaucoup de mal aux poissons. Les prises ne sont pas légion. »

Anti-14 juillet

Avant cette échéance, Renaud organise, samedi prochain, un grand concert à Paris, place de la Bastille. Lui-même, Johnny Clegg et Mano Negra seront de la partie. Il veut ainsi manifester son mécontentement pour la fête du 14 juillet à laquelle sont conviés les représentants des sept plus grands pays industrialisés de la planète.

« J’espère qu’il y aura au moins 200 000 personnes. C’est une honte de fêter de la sorte deux cents ans de lutte en compagnie de nations qui écrasent les trois-quarts du globe. Du reste, tous nos idéaux sont bafoués, les droits de l’homme n’ont jamais existé et la liberté s’étiole. »

Suisse sans armée

Si la Suisse ne se révèle pas comme son pays de prédilection, il en admire toutefois le système politique et surtout le droit de référendum.

« C’est génial de demander aux citoyens s’ils veulent supprimer leur armée. » Mais lorsqu’on lui dit qu’un petit 25 pour cent se prononce favorablement, une moue dubitative se dessine sur son visage. « Ouais, vous êtes aussi fliqué que chez nous. »

Nouvelle orientation

Cet automne, un double album enregistré au Printemps de Bourges sortira de presse, mais Renaud lorgne encore plus loin. Il souhaite changer d’orientation musicale.

« Je vais virer tous ces synthés et me pencher sur des musiques beaucoup plus acoustiques. Bien sûr, je ne changerais pas d’une once mes messages. Je reste dans l’idéologie rock, mais avec des sons plus purs, donc plus forts. Bruce Springsteen, dans Nebraska est tout simplement géant, seul avec sa guitare et son harmonica. »

Renaud caresse Lolita et se prête avec bienveillance aux objectifs des photographes. « Pas de photos de ma fille, sa mère m’écharperait si elle le savait ! »

J. Des.

MOI, RENAUD

1952 : Je pousse mon premier cri. Coup de bol, mon jumeau nommé Thierry m’accompagne dans mes gazouillis. Dans la vie, ça peut toujours servir. Trente-six ans plus tard, il écrit un bouquin me concernant.

1968 : Je fête mes 16 ans sur les barricades, Gavroche en quête de romantisme, je crée ma première chanson teigneuse dans une Sorbonne occupée et hallucinée.

1969 : Exit le lycée ! Je me distingue dans des petits boulots. Plus tard, je me retrouve magasinier, puis vendeur spécialisé dans les livres de poche.

1971 : Je rencontre Patrick Dewaere. Du même coup, on m’entraîne dans le Théâtre du Café de la Gare. Romain Bouteille m’enrôle dans la pièce Robin des Quoi ?

1975 : J’enregistre mon premier album. Cette expérience me vaut la censure des programmateurs d’Europe 1. Hexagone ne glorifiant pas particulièrement notre France chaotique.

1978 : On m’appelle le chantre du verlan et le dernier apôtre de la zone. Laisse béton, La boum, Adieu minette brillent sous les feux des médias. Et Bourges m’offre son Printemps.

1979 : Je me démasque. Anar au cœur noir, je prends la tangente et milite dans des chansons sentimentales. La rage, ça donne parfois des bleus au palpitant. Ma gonzesse, La tire à Dédé s’affichent en lettres d’amour sur mon troisième album.

1980 : Avec le cuir comme étendard et la moue de celui qui se méfie des méchants, je me fonds dans Gérard Lambert, mon frère de cœur. Il sillonne les banlieues grises sur sa Mob pourrave. Je suis un rocker.

1982 : Je me paye mon premier Olympia. Mais la rencontre avec les fantômes du music-hall n’aura pas lieu. Alors, je m’improvise loup de mer et jette l’ancre en goûtant à l’immensité des espaces écumeux.

1983 : Je mets du cambouis sur les layettes. Lola, ma p’tite gonzesse m’illumine la vie. Avec Morgane de toi, je verse dans les couches-culottes bien avant de tomber En cloque. Cette douce euphorie me pousse en Californie. Il fallait bien que les Ricains connaissent Bruant.

1985 : C’est beau l’Amérique ! J’y retourne enregistrer Mistral gagnant. On me surnomme la chetron sauvage et on m’offre un album de platine dès le dixième jour de la sortie du disque. Miss Maggie tétanise la perfide Albion et Baby Sitting Blues émerveille Drucker.

1987 : Je prends la peau d’un journaleux et pars à la rencontre de Johnny Clegg, en Afrique du Sud. Dans la foulée, je lance un message à mon président préféré : Tonton, laisse pas béton ! juste pour affirmer que mon cœur de huguenot reste toujours le plus tendre.

1988 : Cette fois, il y a du sang sur ma layette, Coluche, mon pote de toujours, me manque terriblement. Je lui dédie Putain de camion et plante un chêne sur la scène du Zénith. Loubard, je reste. Ecolo, je deviens.

1989 : Je ne boude plus les médias et décide de raconter tout ce que j’ai sur le cœur. Ça me fait du bien.

(Par Intérim : J. Des.)

 

Source : Le HLM des Fans de Renaud