Spéciale Renaud sur France 2

TV Magazine

Le 24 mars 2003
Par Elisabeth Perrin

Renaud : « Plus on se met à nu, plus les gens le reconnaissent ».

Son retour à la musique fait décidément un boucan d’enfer : Deux millions d’albums vendus et « Manhattan-Kaboul » chanson emblématique de l’année. Un succès public autant que professionnel qui a rassuré l’artiste Renaud. Encouragé par une pluie de récompenses, il revient chanter sur France 2, en duo avec plusieurs artistes.

Propos recueillis par Elisabeth Perrin
Photos : Claude Gassian pour TV Magazine.

Cette émission de duos, vous la préparez depuis longtemps ?

On me l’avait proposée avant même le documentaire de France 3. Mais je l’ai repoussée à cause de ma tournée. En fait, j’étais gêné d’un tel hommage. Je me disais que je ne méritais pas ça.

Les artistes l’ont-ils été selon vos vœux ?

Ceux qui sont là, je les ai souhaités, je les aime. D’autres, que j’aurais aimé avoir également autour de moi, n’ont pas pu ou pas voulu venir. Comme Cabrel ou Goldman. Je ne saurai jamais.

Cette idée de duos c’est de vous ?

Pas vraiment non ! Je ne me sens pas à l’aise dans les duos. C’est une façon de rendre hommage à mes chansons bien sûr, mais ça me panique. J’ai peur de ne pas être à la hauteur. Que les « collègues » soient meilleurs. Je suis très timide, très inquiet. En plus je ne me sens pas à l’aise sur un plateau de télévision.

Pascal Sevran présente l’émission en compagnie d’Ariane Massenet. Que pensez-vous de cette idée ?

Anne Marcassus me l’a proposée et j’ai accepté avec plaisir. Pascal Sevran est un grand écrivain qui aime les artistes, quelqu’un de fidèle qui m’a souvent reçu dans ses émissions. Et l’idée du tandem Sevran – Massenet me plaît bien. On dira peut-être que c’est ringard. En tout cas, ça change de Drucker – Delarue.

La presse, les télés, les hommages du public et de la profession, vous les vivez comment ?

Je ne me lasse pas des marques d’affection. Je dois dire que la reconnaissance du métier lors des dernières Victoires m’a beaucoup touché. Je savais que le public ne m’avait pas abandonné, mais je croyais que les professionnels dans le milieu artistique ne m’aimaient pas.

Qu’est-ce qui vous faisait penser cela ?

Des critiques plus ou moins bien intentionnées. Je me pensais jalousé, je croyais qu’on me prenait pour une girouette, un inconséquent. Je suis trop sensible. Tout me choquait. J’étais persuadé d’être mal aimé, mal considéré. J’avais, à une époque, déterré la hache de guerre avec la presse. Maintenant, je suis surpris et rassuré. J’ai moins peur des gens.

Et maintenant, il y a des tonnes d’articles sur vous, tous plus élogieux les uns que les autres.

Oui, mais je ne lis plus la presse. J’ai peur de l’overdose du compliment !

Votre résurrection rassure les médias qui hésitent moins à inviter des chanteurs plus confidentiels…

C’est bien, pour les Delerm, Bruni, Bénabar, Sanseverino, tous ces artistes qui ont du sens et que le public semble effectivement apprécier. Cela montre qu’il n’y a pas que Star Academy dans la vie.

Que pensez-vous de ce type de programme ?

Je trouve cela affligeant. Je ne parle pas des candidats, de ceux qui rêvent de gloire et de paillettes : c’est leur droit. Mais de cette mise à mort par élimination, de ce marketing pour fabriquer des artistes en trois semaines. Il me semble que pour faire ce métier, il vaut mieux se roder d’abord dans de petits lieux et surtout travailler beaucoup et longtemps avant de se lancer dans de grandes salles.

Pourtant, Jenifer semble se débrouiller très bien…

J’espère qu’elle sera assez forte pour durer. J’ai quand même une tendresse pour elle. Je la trouve mignonne et elle chante bien.

Vous vous voyez beaucoup entre artistes ?

Il y a les amis, Robert Charlebois, Julien Clerc, Jean-Louis Aubert… Et d’autres que j’aime, mais que je croise seulement. Entre artistes, on aurait envie de se voir plus souvent parfois, mais cela ne va pas plus loin… Toujours un problème de timidité réciproque. De respect également.

Cette timidité ne vous a pas empêché de dire « Je vous aime » à vos parents en public.

Je sais, c’est paradoxal, mais je ne l’avais jamais fait et mon père a 92 ans. C’est lui qui m’a donné le goût de l’écriture. Quant à ma mère, elle m’a toujours laissé faire ce que je voulais et est depuis le début ma fan la plus fidèle. Si c’est reparti dans ma carrière, c’est aussi grâce à eux.

Vous fumez toujours ?

J’arrête le 11 mai. Un jour important, celui de mes 51 ans. J’avais toujours dit que je le ferais l’année de mes 50 ans. Cela fait trente ans que ça dure. Je vais vraiment essayer d’arrêter. Je suis inquiet pour mes bronches.

Et la vie sans alcool vous tenez ?

Ça va. C’est fini.

C’est l’alcool qui avait entraîné le départ de votre femme ou le chagrin d’amour qui vous a plongé dans ce refuge ?

Non, l’alcool c’était avant. Ce fut évidemment un des éléments de la rupture mais pas l’élément principal. En fait, ma vie était tourmentée… Et puis les plus belles choses ont une fin. Mais Dominique est toujours ma femme, ma muse, mon amie, mon amour. Et je crois savoir qu’elle ne m’a pas remplacé. Nous, c’est un peu comme Birkin et Gainsbourg. Il n’a jamais arrêté d’écrire pour elle.

Vous ne pensez pas qu’il soit possible de rencontrer l’amour à nouveau.

Non. Dominique c’est à vie. Mon cœur n’est plus à prendre. Je connaîtrai des amourettes peut-être. Mais cet amour-là, on ne le rencontre d’une seule fois dans une vie et il a duré vingt-deux ans. Et puis il y a Lola, notre fille.

Titouan Lamazou a illustré tout votre album. Vous vous connaissiez bien ?

Je l’ai rencontré il y a deux ou trois ans. Il m’avait dit qu’il aimerait beaucoup illustrer la pochette d’un de mes albums. A l’époque, j’étais loin d’imaginer que je referais un disque… Mais dès que j’ai écrit mes textes, je lui ai tout faxé et il a tout illustré. A commencer par la pochette avec mon bistrot préféré, La Closerie des Lilas, où il y a tout de même tout ce que j’aime, le cuivre, le bois, le cuir…

Vous n’y allez plus …

Si, mais je carbure au coca et au café maintenant.

Vous n’avez pas replongé ?

Cela m’est arrivé à cause de l’inactivité, du stress, d’une dispute familiale. Je suis trop sensible. Alors, je rebois par défi. Après avoir fini Wanted, à Toronto, j’ai connu ma dernière rechute. Il faut dire qu’avec Johnny, Depardieu, Bohringer, nous formions un peu les « alcooliques célèbres », mais ce fut très marrant. Gérard nous a apporté sa joie de vivre avec son énergie, son humour… Depuis, la tournée m’a complètement guéri. Etre cinq jours par semaine sur scène n’autorise aucune défaillance. Il faut assurer !

Le film sort le 16 avril. Décidément tout arrive en même temps…

A l’époque où j’ai accepté de tourner ce film, j’étais pourtant au fond du trou, à me détruire. Le réalisateur Brad Mirman, un ami qui m’avait vu et apprécié dans Germinal, m’avait parlé de ce projet. J’avais accepté en faire partie à condition d’avoir un petit rôle et peu de texte. J’ai donc joué Zéro, un tueur silencieux et taciturne qui parle de lui à la troisième personne.

Vous aviez envie de tourner ?

Pas spécialement. J’étais quand même assez occupé. Entre 1999 et 2001, j’ai donné quelques deux cents concerts. Avec un minimum de moyens. Un piano, une guitare et mon mal de vivre. Cela n’était pas joyeux. Le public parfois était en larmes. Le chagrin d’amour est quelque chose de très personnel mais d’universel. Et puis, plus on se met à nu, plus les gens se reconnaissent… Quand je testais « Boucan d’enfer », ça jetait vraiment un froid.

Et maintenant ?

Je n’ai pas mis cette chanson au répertoire. Je chante assez de choses tristes comme ça… Cela dit, je ne suis pas suicidaire. Simplement autodestructeur.

Cette déferlante médiatique qui finalement sert de thérapie, vous n’avez pas peur qu’elle s’arrête ?

Je vais encore participer à une ou deux émissions. Comme Tout le monde en parle (Petit sourire). J’ai cédé aux sirènes d’Ardisson. J’espère qu’il ne sera pas trop méchant, il paraît qu’il est fan de moi. Mais ensuite, j’arrête. En plus, ma tournée est prolongée jusqu’en décembre.

Qu’allez-vous faire après ?

Je suis partagé entre écrire pour moi ou pour d’autres artistes qui m’ont sollicité. Jeanne Moreau m’a ainsi demandé de lui écrire un album. Cela me plairait beaucoup de travailler pour cette grande dame. Patricia Kaas va enregistrer prochainement des chansons que je lui ai écrites. Et puis, je rêve de composer un album pour Charlotte Gainsbourg. Il se trouve qu’elle aussi en a très envie. Mais serais-je capable de faire aussi bien pour les autres que pour moi ? Il faut du temps, de l’inspiration, du travail. Mais ça ne me gêne pas. Je ne souhaite que ça, le travail. Sinon, je m’étiole, je m’ennuie et je replonge avec mes démons. Donc plus je travaille, mieux ça va.

Finalement, quel a été le déclic qui vous a obligé à vous en sortir ?

Lorsque, l’année dernière, on m’a remis une victoire d’honneur pour l’ensemble de ma carrière. Cela a été un électrochoc. J’étais vexé. On me signifiait que ma carrière était finie, que je ne ferais plus rien d’autre, que ma tournée acoustique avait été mon chant du cygne. C’est vrai qu’à l’époque j’avais dix kilos de plus, les cheveux gras, le sang bourré de saletés hépatiques… Je suis même devenu un connaisseur en termes médicaux… Mentalement, j’étais une épave.

Les prix et reconnaissances, aimiez-vous cela avant ?

Je les fuyais. Par timidité. Je n’aime pas parler en public. Je ne suis pas à l’aise. Mais je n’ai jamais craché sur ces cérémonies. Quand j’étais petit, je n’ai jamais eu de prix à l’école, alors cela ne m’ennuie pas du tout de me rattraper ainsi. Je prends tout cela comme des élans d’amour. Je viens même de recevoir le Grand Prix des auteurs-compositeurs de la SACD. Après mes trois victoires… Je peux ne plus rien avoir pendant dix ans. Je suis servi.

Vous vous attendiez à ces trois victoires ?

J’en espérais une pour la chanson « Manhattan-Kaboul », mais lorsque la deuxième puis la troisième m’ont été décernées, je n’y croyais pas. J’étais trop ému. A la fin, je ne savais plus quoi dire. Je ne sais pas ce que j’ai dit d’ailleurs. Tout cela venant encore après avoir reçu deux NRJ awards… Ces récompenses, je les ai dédiées à tous ceux qui m’ont accompagné et soutenu. J’ai quand même oublié François Ovide, un musicien qui s’est suicidé il y a quelques mois. On a travaillé ensemble pendant quinze ans.

« Manhattan-Kaboul » est devenu la chanson emblématique de notre époque. Vous pouviez l’imaginer en l’écrivant ?

Certainement pas. En fait, j’avais la musique depuis des mois. Je ne savais pas quoi chanter dessus. Un jour, j’ai décidé d’enregistrer la bande-son en pensant que, comme ça, ce serait prêt quand j’aurais les paroles. Et puis, dans le studio, j’ai commencé à écrire sur la console avec mon stylo et mon cahier d’écolier. Je ne sais pas d’où c’est venu, mais en une demi-heure, j’avais trouvé les mots…

Samedi, 20h50, France 2

  

Source : Le HLM des Fans de Renaud