N° 30, 20 janvier 1993
Renaud : Bille en tête
Europe 1, la pêche dans la gueule !
Vous avez déjà été cambriolé ? C’est pas marrant, hein ? Pas seulement parce qu’on te tire ta télé, ton magnétoscope, ton walkman, ton micro-ondes, tes CD, ton Nikon et ton vélo rouge, tous ces gadgets qui font la supériorité de l’homme sur la bête, pas seulement parce que tu te dis que des mecs ont fouillé dans tes calbuts, tes chaussettes, tes papiers, tout ce qui fait la supériorité de l’Occidental moyen sur le pygmée petit, pas non plus seulement parce que ça va t’obliger à des démarches administratives très chiantes avec ton assureur qui te remboursera pas le tiers de ce que tu as perdu, non, la vraie galère c’est que tu dois faire venir les keufs pour un « constat d’effraction », pis leur faire l’inventaire de ce qu’on t’a taxé. Ça s’appelle « déposer plainte ». Ça laisse supposer, une, que tu te plains, deux, que tu souhaites que les flics enquêtent. Pas forcément pour retrouver le coupable. Surtout pour retrouver le vélo…
Je me suis fait cambrioler. (Je savais bien que ça allait vous faire marrer…) Je me plains pas, d’abord y’a pas de raisons que ça arrive qu’à vous, pis c’est bien fait pour ma pomme, j’avais qu’à pas me barrer en vacances pendant les fêtes de Noël en laissant dans la baraque que j’occupe à Valenciennes des choses auxquelles je tenais. (Quoiqu’à bien y réfléchir, je ne tiens à rien qui soit une « chose ».) Vous savez ce que j’ai fait ? J’ai écrit à la Voix du Nord pour dire . « Merci les mecs, revenez quand vous voulez, ça me fait vraiment plaisir que vous ayez choisi ma maison, je vous aime… ». Bien sûr que je rigole ! J’ai fait exactement comme vous auriez fait : j’ai pesté, j’ai râlé, j’ai eu les boules. Contre moi pis contre l’enfoiré qui avait « même » eu l’audace de me taxer ma guitare chérie, ma préférée, ma compagne de galères et de galas. Pis j’ai pensé à cette chanson de Brassens, « Stances à un cambrioleur », dans laquelle Tonton Georges remercie le monte-en-l’air qui a choisi de visiter sa maison parce que, « solidarité sainte de l’artisanat », celui-ci n’a « pas cru décent de le priver de sa guitare »…
A la Voix du Nord qui avait eu vent de mon « malheur » et qui souhaitait une interview, j’ai envoyé un petit mot vengeur dans lequel je faisais le parallèle entre le voleur de la chanson de Brassens et le mien. Le mien m’avait laissé l’accordéon (très cher) et pris ma guitare (invendable), je l’ai donc traité de con. Ça m’a défoulé, soulagé. C’était mon verdict, ma sentence pour son « crime ».
Je vous dis pas le résultat… Quelle maladresse j’avais pas commise là…
Le journal, aussi sec, envoyait mon papier à l’AFP le jour même toutes les radios de France voulaient me joindre. Après quatorze appels, j’ai fini par prendre en ligne Europe 1 Nord-Pas-de-Calais, histoire de leur dire que « l’incident » était clos, que je n’avais rien à leur dire, qu’y z’avaient vraiment rien d’autre à foutre pour me harceler avec cette « info » aussi insignifiante, bref, qu’ils aillent se faire mettre. C’était Europe 1 Paris ! J’étais halluciné. J’ai passé dix minutes à expliquer à l’enculé (et je pèse mes mots) au bout du fil qu’au regard de l’actualité du monde et de la misère ambiante je commettrais l’acte le plus honteux de ma vie si j’osais, sur une radio nationale en plus, exprimer la moindre plainte sur « l’ignoble crime dont j’avais été victime », que je trouvais pathétique que tous les médias de France passent leur après-midi au téléphone pour une aussi futile et dérisoire anecdote… « Oui, mais, quand même, vous l’avez écrit, cet article ? » me dit le con d’une voix tout à coup très polie, laissant deviner que dorénavant notre conversation était enregistrée. « J’ai envoyé une carte postale à mon p’tit voleur par l’intermédiaire du courrier des lecteurs d’un journal local, pour une histoire locale, je vois pas de quoi vous vous mêlez ! » répondis-je. « Nous, c’est pour vous rendre service, nous sommes très écoutés dans le Nord, ça peut vous aider à retrouver votre guitare… » Sachant que cette ordure enregistrait tout, j’ai encore essayé quelques minutes de lui foutre la honte en expliquant ce que je pensais des méthodes des journaleux, de leur « déontologie », de leur ridicule. Le soir même, aux infos (sic), grâce à un habile montage de cette « interview involontaire » et un commentaire ironique, j’insultais les voleurs (sous-entendu : après les avoir chantés) et j’avais le culot d’en appeler aux médias pour retrouver mon bien.
C’était là qu’ils voulaient en venir, et moi, malin, j’avais pas compris…
Entre-temps, une casse-couilles de Radio-France avait réussi à me trouver au fin fond de la campagne valenciennoise où je tournais, et m’avouait, apprenant que je venais de me faire gonfler par Europe 1, et donc refusais de répondre à ses questions, qu’elle « allait avoir l’air maligne si tous ses confrères avaient eu le « scoop » et pas elle… ». RTL appelait ma maison de disques pour me joindre à tout prix, France-Inter reprenait « l’information » et FR3 Région la balançait aussi dans ses titres.
Le lendemain, France Soir et le Quotidien y allaient de leur vitriol, et depuis, du Midi libre au Réveil d’Anjou, pas un quotidien qui n’ait repris leurs papiers en insistant chaque fois sur mon impardonnable méfait : avoir déposé plainte.
Le prochain mec qui me cambriole, je lui offre un pin’s d’Europe 1. Mais la prochaine fois que je me fais voler un mot de ma bouche par un journaleux, je sors le fusil à pompe.
J’en viens à envier les pauvres gens qui vivent dans les pays totalitaires où il n’y a que deux sortes de journalistes : les autorisés, qu’on ne lit pas, qu’on n’écoute pas, qu’on ne croit pas, et puis les autres, les clandestins, les emprisonnés, les assassinés. Qu’on aime.
Vous avez déjà aimé un journaliste, vous ?
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud