STAR FLASH : RENAUD

Nous Deux

N° 2175, 7 au 13 mars 1989

STAR FLASH : RENAUD

Ce ne fut pas une moindre surprise lorsque, sous les lustres de l’Hôtel de Ville, et en présence de Jacques Chirac, le fondateur de l’Académie du disque, Michel de Bry, annonça le Grand Prix Homme 1988-1989 : Renaud. Ainsi l’auteur de Putain de camion sort-il de la marginalité pour être célébré et consacré par un jury.

ADMIRÉ PAR BRASSENS

Mais c’est que Renaud a conquis ses let­tres de noblesse comme écrivain popu­laire. On l’a bien vu, lors de l’inauguration du Zénith, en 1984 : il fit des salles com­bles. Ses disques déjà se vendaient par millions (Morgane de toi, Mistral ga­gnant)… Il a rempli tout autant les salles du Théâtre de la Ville que celles de Bobino ou de l’Olympia. Il est entré dans deux ma­nuels scolaires. Des étudiants danois ap­prennent le français grâce à une méthode intitulée « Laisse béton ! ». Des universités américaines le consacrent également… Un orfèvre en la matière, Georges Brassens, l’encouragea, le félicita pour la construc­tion solide de ses chansons.

Quant en en voit le texte écrit, on se rend parfaitement compte des structures : ce poète a bien l’esprit mathématique et ri­goureux. Il construit des ensembles.

L’ALEXANDRIN EN CASQUETTE

Renaud affectionne le vers octosyllabique et l’alexandrin. Il les traite à sa manière, en élidant les « E », mais en balançant parfai­tement le rythme et les images. Il utilise l’argot et le verlan, et son humour est piquant, tranchant, toujours net, n’excluant ni la tendresse ni le lyrisme.

C’est l’alexandrin en casquette, « la cas­quette blanche de grand-père », avec la­quelle il a débuté en faisant la manche… Il joue et jongle avec les mots, dans la plus pure tradition française : de Rabelais à Bruant, de Villon à Ferré.

Il fait mouche quand il appelle le français moyen « monsieur Blanc-Cassis » et décrit les filles « qu’ont le cœur planté en haut des cuisses ». Curieusement, ce lyrisme-là rallie les suffrages des jeunes.

Renaud et Dominique… « sa gonzesse » !

CHTIMI ET HUGUENOT

Qui est-il, ce petit Renaud, mince « comme une tranche de sandwich » et avec une gueule d’ange musicien ? Né dans une fa­mille nombreuse à la porte d’Orléans (deux frères dont un jumeau, trois sœurs), un grand-père paternel prof de grec à la Sor­bonne, un arrière-grand-père pasteur, d’une famille du Montpellier protestant (et d’ailleurs Renaud porte à son cou la co­lombe de l’Esprit saint de la Croix Hugue­note). Des pasteurs, mais aussi des pein­tres et des écrivains. Son père, Olivier Séchan, est traducteur d’allemand, prof et romancier.

La maman, elle, vient du Nord. Le grand-père descendait dans la mine à treize ans.

« Y v’nait du pays où habite la pluie
« Où quand y’a du soleil c’est mauvais présage
« C’est qu’y va pleuvoir c’est qu’y va faire gris
« Il était ch’timi jusqu’au bout des nuages… »

MOZART ET CHEVALIER

Sa double origine fait qu’il a l’amour de la musique classique (Mozart, Vivaldi et Mahler) et celui de la chanson populaire : Chevalier et Piaf. La sévérité paternelle ne l’empêche pas de participer à Mai 68 et vendre l’Enragé, d’être solidaire des copains, et c’est alors qu’il compose sa première chanson non dénuée d’humour :

« Je v’nais de manifester au Quartier
« J’arrive chez moi fatigué, épuisé,
« Mon père me dit bonsoir fiston, comment qu’ça va ?
« Et j’ui réponds ta gueule sale con, ça t’regarde pas !
« Et j’ui ai dit crève salope !
« Et j’ui ai dit crève charogne !
« Et j’ui ai dit crève poubelle !
« Vlan ! une beigne ! »

Au printemps de Bourges (1988)
deux amis de toujours :
Renaud et Johnny Clegg.

CARICATURISTE DE L’ACTUALITÉ

C’est peut-être à force d’avoir fait la manche aux terrasses des bistros que Renaud est doué pour l’observation des ensembles et des détails, a croqué des personnages qui représentent moins des individus que des échelons sociaux. Il saisit ainsi l’événement du jour ou de l’époque.

Il parodie, il caricature, toujours sur fond de vérité. Il ne triche pas, il est vrai dans son trait comme l’était Daumier ou Baltus… Mais la chanson n’était pour lui qu’un dérivatif : il voulait être comédien. Il avait rencontré, pendant des vacances à Belle-Île, Patrick Dewaere qui l’avait entrainé, de retour à Paris, au Café de la Gare.

Alors vendeur en librairie pour gagner sa vie, il remplaça même un comédien dans un spectacle de Romain Bouteille. Cette fréquentation de Montparnasse va le conduire à connaître un accordéoniste avec lequel il fera la manche dans un répertoire populiste classique : La Java bleue, Le Dénicheur, etc.

Et c’est ainsi qu’un jour, le producteur de Coluche, le célèbre Lederman, le découvrira à la porte du Café de la Gare, chantant sur le trottoir. On connaît la suite. 

Renaud, aujourd’hui, star et père de famille, célèbre et couronné, reste un poète authentique, au service des plus démunis. Le showbiz ne peut rien sur sa muse. Elle restera « dérangeante », fidèle à son Renaud qui, à sa manière, a une âme de chevalier sans peur et sans reproches.

Jacqueline Cartier

 

Source : Nous Deux