De « Crève salope » de Renaud, alors étudiant anonyme, à « Street Fighting Man » des Rolling Stones, en passant par « Paris mai » de Claude Nougaro, retour sur la bande son de Mai 68, qui a surtout inspiré les chanteurs bien après les évènements.
Avant mai 68, il y a eu le 22 juin 1963. Ce jour-là se déroule sur la place de la Nation un concert organisé par l’émission d’Europe 1 « Salut les Copains ». Entre 150.000 et 200.000 personnes se pressent pour voir Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Richard Anthony… Pour la première fois, la nouvelle génération se retrouve dans la rue.
Elle y reviendra en force cinq ans plus tard, à un moment où de nouvelles voix de la chanson française émergent comme Jacques Dutronc, Michel Polnareff, Nino Ferrer, sans pour autant accompagner le mouvement.
Si les grandes figures tels Léo Ferré, Georges Brassens ou Guy Béart s’en prennent depuis longtemps au pouvoir et à la censure, ce sont les débutants qui annoncent la contestation à venir.
Michel Delpech relaie la lassitude de l’époque dans « Inventaire 66 », se plaignant à la fin de chaque couplet: « Et toujours le même président » (de Gaulle).
Dans ses « élucubrations », Antoine, lui, chante la rébellion de la jeunesse et sa soif de changement. « Mettez la pilule en vente dans les Monoprix », lance-t-il, prélude à la libération des moeurs.
Lorsqu’éclate la révolte, ce sont des titres romantiques (« Comment te dire adieu » de Françoise Hardy) et légers (« Siffler sur la colline » de Joe Dassin) qui trustent les grandes ondes.
Un autre tube cartonne: « Il est cinq heures, Paris s’éveille ». Jacques Dutronc y décrit Paris et ses ouvriers déprimés un lendemain de fête. Désenchantée mais inoffensive – elle passe en boucle sur l’ORTF – elle devient un hymne de rue. Les paroles de Jacques Lanzmann ont été détournées par Jacques Le Glou, un producteur de cinéma engagé.
Sur cet air et sur les barricades, on chante désormais : « Les 403 sont renversées/La grève sauvage est générale/Les ports finissent de brûler/Les enragés ouvrent le bal/(…)/Le vieux monde va disparaître/Après Paris le monde entier/Les ouvriers sans dieux, sans maîtres/Autogestionnent la cité ».
Des sirènes aux riffs
Dans les amphithéâtres de la Sorbonne, un gamin de 16 ans nommé Renaud Séchan rencontre un franc succès avec « Crève Salope », dont les paroles fustigent l’autorité.
« Je v’nais de manifester au Quartier/J’arrive chez moi fatigué, épuisé/Mon père me dit : Bonsoir fiston comment qu’ça va ? J’lui réponds : Ta gueule sale con, ça t’regarde pas ! Et j’ui ai dit : Crève salope ! »
Sortie aussi spontanément, « A bas l’état policier » de Dominique Grange, une proche de Guy Béart, fait également grand bruit.
A défaut d’écrire à chaud, les grands auteurs-interprètes s’y mettent a posteriori.
Claude Nougaro sort à l’automne « Paris mai », Léo Ferré publie « L’été 68 » l’année suivante, Jean Ferrat interroge « Au Printemps de quoi rêvais-tu ? » dans « Ma France » (1969) et George Moustaki chante « Le temps de vivre » dans « Le métèque » (1969). Quant à Georges Brassens, il attendra 1976 pour évoquer Mai 68 dans « Boulevard du temps qui passe ».
Au fil des ans, d’autres artistes reviendront avec nostalgie sur les évènements. Hubert-Félix Thiéfaine avec « 22 mai » (1978), Gilbert Bécaud avec « Mai 68 » (1980) ou encore Pierre Bachelet avec « Vingt ans » (1990).
Finalement, les plus réactifs auront été…des Anglais.
En studio à Londres depuis le 17 mars 68 pour enregistrer « Beggar’s Banquet », les Rolling Stones sont marqués par les violences à Paris, mais aussi par l’assassinat de Martin Luther King le 4 avril, et écrivent « Street Fighting Man » qu’ils sortent en août.
Keith Richards dira plus tard s’être inspiré des sirènes de police française entendues lors des émeutes pour composer la mélodie des couplets.
29/03/2018 09:00:51 – Paris (AFP) – © 2018 AFP
Source : Le Point