Québec, dimanche 14 juillet 1991
LES ARTS ET SPECTACLES
— Hé Thierry, on est des jeunes et bénévoles et on aimerait faire une entrevue avec Renaud. Pourrais-tu nous aider un peu ?
par FRANCINE JULIEN
LE SOLEIL
Gentiment, Thierry Séchan réplique qu’il essaiera d’intercéder auprès de son frérot, dessinant l’espoir d’un rêve inaccessible dans le visage de son interlocuteur. La courtoisie n’est certainement pas la moindre des qualités chez la famille Séchan.
Membre du jury du Prix de la chanson francophone au Festival d’été, l’été dernier, le parolier et journaliste est revenu à Québec à titre de coanimateur du Forum sur la chanson francophone. Mais officieusement, il est un peu la petite porte d’en arrière qui mène à ce-cher-Renaud-que-tout-le-monde-veut-rencontrer.
L’expérience n’est pas nouvelle. « À Paris, je suis obligé de changer de numéro régulièrement. »
Maintes fois interrogé sur la chanson… et sur son frère, Thierry Séchan a visiblement envie de parler d’autre chose. Comme de… Georges Brassens, sur qui il vient d’écrire un livre. Ou de la jeunesse française avec qui il a renoué, après les manifestions des lycéens à Paris.
No future
« On était entre vieux soixantehuitards et on se disait : ‘incroyable, les jeunes se battent pour avoir plus de flics dans les écoles !’ Mais alors qu’on s’apprêtait à aller sur un balcon pour leur tirer des oeufs et de la farine, ils ont demandé à nous rencontrer. Et on s’est rendu compte que beaucoup de jeunes s’inquiétaient des mêmes choses que nous, que leur problème n’était pas une simple question de chaises et de dealers ; ils se disent ‘pourquoi étudier si c’est pour devenir chômeur, si c’est pour suivre des modèles de réussite qui ne nous ressemblent pas?’ »
Désillusionné, Thierry Séchan l’est aussi. Déçu que des journaux contestataires comme Libération soient de plus en plus des canards enchaînés, désolé que ses compagnons de barricades portent maintenant complet-cravate dans les plus hautes sphères du pouvoir. L’espoir ? « Pour l’instant, c’est no future », murmure-t-il tristement.
La langue de chez nous
Courte escapade loin de la Grande-Allée et des lieux de ralliement du festival. Séchan fredonne avec un accent comique j’ai couché dans mon char.
Thierry Séchan est peut-être le plus grand fan du Québécois Richard Desjardins, dont il se dit « l’ambassadeur » en France. Persévérant et fidèle comme un témoin de Jéhovah, il distribue allègrement les enregistrements de Desjardins dès qu’un de ses compatriotes semble manifester un soupçon d’intérêt. Ainsi, il a convaincu Jean-Louis Foulquier, grand patron des Francofolies de LaRochelle, en France, d’inviter Desjardins (qui s’y produira mercredi et jeudi).
À l’instar du Québec qui a écouté Renaud avec un dictionnaire d’argot sur les genoux, Thierry Séchan s’est payé un dictionnaire de québécismes.
« J’ai couché dans mon char, je ne comprends pas toujours, mais ça me touche quand même. C’est comme Georges Brassens, que j’écoutais avec mes frères quand on avait 10 ans, sans toujours bien comprendre ses propos grivois. À mon avis, aucun artiste n’a maîtrisé l’art de l’enjambement comme Brassens. »
De François à Jean-Jacques
Pourtant séduit par la couleur des mots de Desjardins, Séchan n’est cependant pas tendre envers le français des Québécois. « Ce qui me frappe le plus chez vous c’est la grande différence entre la langue parlée et la langue écrite. Quand je lis votre presse, je vois qu’elle est aussi littéraire que la nôtre. Mais c’est lorsque vous parlez, il y a des anglicismes, des… » Séchan s’interrompt dans un sourire. L’ex-journaliste de Paroles et Musique, dont les chroniques tranchantes lui ont valu un solide « haine-club », a quelques scrupules à étaler ouvertement ses idées sur le Québec.
« Vous êtes un peuple susceptible, jette-t-il. Quand Renaud et moi on a émis nos idées sur la loi 101, il y en a qui nous ont fait comprendre que ce n’était pas de nos affaires. En France, si un artiste québécois se prononçait sur la politique française, ça ferait plaisir à tout le monde. »
« Les Québécois comme les Français sont les enfants de Voltaire et de Rousseau… bien que chez vous, ce soit un peu plus Rousseau… »
Source : Le Soleil