N° 34, 17 février 1993
Renaud : Bille en tête
Echangeriez-vous votre prix Nobel de la paix contre un char Leclerc ?
J’avais réglé mon radio-réveil sur France Intox. À 8 heures, quand il a sonné, un sourire béat illumina mon beau visage endormi. Dans ce que je croyais être un rêve, une voix m’annonçait que François Mitterrand venait d’être proposé comme candidat au prix Nobel de la paix 1993. L’humour n’étant pas franchement une des vertus premières des journaleux, j’admirais mon imaginaire qui venait de me balancer cette bonne blague, un peu cynique, mais bon… J’aurais rêvé que Garretta était nommé prix Nobel de médecine, je sais pas si j’aurais autant ri…
Tonton. Mon brave Tonton, celui-là même qui, il y a deux ans, nous expliquait la nécessité de participer à l’opération « Tempête du Désert » aux côtés de son maître George Bush, ce Tonton si fier de l’issue de cette guerre qui anéantissait 200 000 civils irakiens et épargnait Saddam Hussein, mon bon Tonton qui poussa les Kurdes à la rébellion contre Bagdad et leur envoya Madame Tonton leur livrer du sparadrap lorsque, décimés par Saddam, abandonnés par nous, ils se retrouvèrent exilés et nus dans les montagnes enneigées du nord de l’Irak. Mon vieux Tonton qui se garde bien encore d’intervenir auprès des Nations unies pour faire cesser l’embargo économique contre l’Irak, cet embargo qui tue chaque mois 15 000 enfants, faute de soins, de médicaments. de nourriture…
Tonton, grand pacifiste devant l’éternel quoique président du pays troisième exportateur d’armes du monde, Tonton chef des Armées, de ces armées qui mettent actuellement la Somalie sous tutelle, Tonton qui offre généreusement l’asile en France à toutes sortes de tyranneaux exotiques après les avoir fournis en armes, après avoir cautionné leurs régimes, Tonton garant d’un système économique qui affame les trois quarts de la planète pour faire crever d’abondance le quart restant, quart qui s’arroge le titre de seul détenteur des valeurs de Démocratie et de Liberté.
Prix Nobel de la paix !!!
Quand j’ai réalisé que j’avais pas rêvé, que l’information était sérieuse, j’ai balancé mon radio-réveil par la fenêtre.
Il est tombé juste à côté du téléviseur que j’avais balargué la veille au soir après avoir vu la retransmission des « Victoires de la musique ». Pas balancé quand ils ont offert un trophée à Bedos et Robin dont on se demande ce qu’ils ont à voir avec la musique, pas non plus quand ce crétin de Nagui a cité pour la douzième fois RTL et « Taratata », non, j’ai craqué quand on a annoncé la Victoire du meilleur disque pour enfants de l’année : Lambert Wilson raconte Pierre et le loup. Original, par rapport à l’année dernière. .. En 92, en effet, la victoire était allée à Julien Clerc raconte Pierre et le loup.
François Mitterrand devrait peut-être nous raconter Pierre et le loup. Des fois qu’on lui refuse son Prix Nobel de la paix, il pourrait toujours espérer une Victoire de la musique.
De la musique militaire, bien sûr…
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud