Toto le héros

Charlie Hebdo

N° 22, 25 novembre 1992

Renaud : Bille en tête

Mon chien, mes doutes et le beaujolais des autres

Mon Toto est passé sous une voiture. La voiture n’a rien. Le conducteur roulait raisonnablement à 80 dans ma rue, Toto sniffait les réverbères, ma fille au bout de sa laisse, quand Toto a vu une belle gonzesse sur le trottoir d’en face. C’était ma blonde qui revenait du marché. Toto a bondi pour un câlin, ma fille a suivi à quarante centimètres du sol, bing ! Le chien sous les roues ! La laisse a cassé, ma fille n’a pas sali la jolie carrosserie. Le chien non plus. Il a été traîné sur une cinquantaine de mètres. C’est dingue comme tu mets du temps à t’arrêter quand tu roules raisonnablement. Le temps que ma blonde rejoigne Lolita qui pleurait déjà son chien mort, le Toto cavalait vers la maison, apparemment sur quatre pattes intactes, et le conducteur arrivait penaud vers les filles.

– J’espère que votre chien n’a rien, je suis assez pressé, laissez-moi votre téléphone, je vous donne le mien, on se donne des nouvelles ce soir…

Comme le Toto, miraculeusement, n’avait pas grand-chose et que le mec n’appelait pas, le lendemain, on lui a téléphoné pour le « rassurer », des fois qu’il culpabiliserait.

C’était un faux numéro.

La semaine dernière, grand moment d’émotion sur le tournage de Germinal. Comme partout ailleurs, hélas, le beaujolais nouveau est arrivé. Le goûter en lui trouvant plus d’arôme-banane que l’année dernière est une tradition que je n’avais jamais eu le loisir de respecter. Aussi fut-ce fier comme un bar-tabac que j’en fis tomber quelques caisses le midi à la cantine des figurants. J’allais enfin découvrir ce nectar qui fit bander Fallet et qui fait croire à des millions de pochtrons qu’ils sont œnologues. C’est pas fait avec du raisin, ce truc-là ! Pourquoi y fait pas du vrai vin, Monsieur Nouveau, en Beaujolaisie ? On m’y reprendra, tiens ! L’année prochaine, quand le beaujolais nouveau arrivera, un conseil, laissez-le repartir…

Parmi les lecteurs qui m’écrivent pas contents (pas contents que j’écrive pas ce qu’ils voudraient, comme ils voudraient, ou simplement pas contents que j’écrive dans leur journal), y’en a un cette semaine qui m’agresse particulièrement. Je suis un pourri, il en est sûr, puisqu’il y a dix ans, à la fin d’un concert où il avait pas pu entrer à l’œil, à Clermont-Ferrand, il a vu ma Rolls Royce garée devant l’entrée des artistes. Ce couillon qui prend mon voilier pour une voiture, et qui n’a vu ni la Bentley de ma femme ni la Harley de mon chien, qu’étaient pourtant garées pas loin, me reproche aussi mes changements successifs de certitudes vis-à-vis du référendum sur Maastricht. Me reproche mes doutes, donc… Bienheureux celui-là qui n’a jamais douté, qui a sa belle petite opinion arrêtée, définitive et juste. Moi, tu vois, tête pleine d’eau, je pense très fort que tu es un gros con mais je suis prêt à revenir sur cette évidence, à douter de cette vérité…

Après tout, t’es peut-être pas gros.

  

Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HLM des Fans de Renaud