C’est déjà ça
Le blog chanson de Yannick Delneste et Philippe Ménard
13 août 2014
Le gars est passionné de chanson depuis le berceau. Après deux ouvrages sur Renaud (1), le journaliste et auteur Baptiste Vignol vient de signer au printemps une BD avec le dessinateur Héran où il raconte avec précision et brio l’histoire de 43 titres du Renard chantant. Il vient aussi et surtout d’initier « Tatatssin », bouquet de reprises par une scène française trop méconnue. La version underground et souvent plus originale que « La bande à Renaud ». Entretien avec un bavard passionnant.
A quand remonte ta passion pour Renaud? Quelle histoire as-tu avec lui, son oeuvre?
« Presqu’aussi loin que je remonte dans mon enfance, j’y retrouve des chansons de Renaud. Le 33 tours « Ma gonzesse » que mes parents avaient offert au fils d’amis dont le prénom est Renaud. J’avais alors neuf ans, et bien que mon idole s’appelait alors, comme des millions de petits garçons, Claude François, le visage de ce jeune chanteur aux allures de voyou, la force des titres de ses chansons, leur vocabulaire, m’avaient frappé. Puis ce fut la K7 de « Morgane de toi » que j’ai écoutée jusqu’à l’usure. J’avais douze ans, j’étais au collège, les premières bandes d’ados…
Ce disque-là a forgé, je crois, la conscience de toute une génération. « Deuxième génération », « Déserteur », des chansons qui donnaient à réfléchir. C’était l’époque des premiers walkman, et je me souviens qu’un grand de troisième m’avait demandé de lui prêter la cassette jusqu’au lendemain pour qu’il la recopie. N’ayant pas trop le choix (il portait un blouson de cuir et faisait une tête de plus que moi), je la lui avais laissée. Il me l’avait rendue, avec un A entouré d’un rond écrit dessus au stylo bille.
Quelques temps après, mon père nous avait emmenés mes sœurs et moi voir Renaud au Zénith en janvier 84. Un souvenir précieux. J’avais acheté le CD « Mistral gagnant » le jour même de sa sortie au Printemps de la place d’Italie. Je l’avais longuement regardé avant d’en déchirer l’emballage. J’avais lu les titres des chansons écrits au dos du « disque laser » comme on disait, et tous déjà nous plongeaient dans un univers, avant même de les écouter.
À l’époque, je jouais au ping-pong avec Romain Colucci, l’un des fils de Coluche. Il me racontait les visites de Renaud chez son père, tout près du Parc Montsouris où j’habitais aussi, rue de Tolbiac. Romain m’avait raconté une fois que Renaud lui avait offert une paire de santiag qu’il ne pouvait évidemment pas chausser, puisqu’elles étaient trop grandes. Les bottes de Renaud… Ça me fascinait. Renaud était notre héros, avec Platini, le Stallone de « Rocky » ou Noah. On portait le bandana quand même! Les plus couillus un poignet de force, ou se faisaient percer l’oreille! (rires)
J’ai acheté « Putain de camion » à Grenoble chez des cousins où je passais des vacances d’hiver. Ils avaient une super chaine Hi-fi, et on écoutait le disque en prière; on cherchait qui pouvait être cet Eloi Machoro dont Renaud parlait dans « Jonathan » ou « Triviale poursuite »… Tous ces souvenirs sont précis. En fait, les chansons de Renaud m’ont toujours accompagné, de l’enfance au sortir de l’adolescence. Plus tard, « Marchand de cailloux », quelle claque aussi! Même si j’écoutais alors d’autres musiques: Björk, Murat, Crowded House… Et le concert à la Mutualité, en 1995: bien que sa voix commençait à faire des sorties de route, Renaud y était impérial. »
Quand as-tu décidé de consacrer des publications à ce chanteur?
« Peu après la sortie de « Boucan d’enfer ». Je regrettais qu’aucun ouvrage n’aborde Renaud par ses textes, par la force de ses mots, de sa poésie, alors qu’une certaine presse parisienne semblait prendre un malin plaisir à le dézinguer, à nier sa sincérité. Je l’ai donc proposé à un éditeur qui, séduit par le titre, « Tatatssin! Parole de Renaud », m’a dit: « Tu as trois mois pour l’écrire! »
Par la suite, j’ai demandé à Renaud une préface pour un bouquin sorti en mai 2007: « Cette chanson qui emmerde le Front national. » Je lui avais écris une lettre, chez lui, à Paris, et Renaud m’avait donné rendez-vous à La Closerie des Lilas. Je m’y étais rendu, bien sûr. Arrivé en avance, j’attendais au bar, et j’entends sa voix dire à des gens tout à côté de moi qui lui proposaient un verre: « Non, j’ai rendez-vous avec un mec. » Je me retourne, il me voit, demande « Vignol? », j’acquiesce d’un signe de tête, il me tend la main en disant: « Renaud ». Il m’a invité à m’asseoir à sa table, et nous avons discuté une grosse heure, en tête à tête, du bouquin que je préparais, de la préface que je lui réclamais, de ses nouvelles chansons, de la chanson en général… Il préparait alors son concert à Bercy, où il m’avait d’ailleurs gentiment invité.
Au moment de partir, je profite de quelques secondes où son frère l’attrape par le bras pour lui dire quelque chose pour régler l’addition. « T’as payé? Mais t’es con, j’ai une ardoise ici! » Tu m’étonnes! (rires) Par la suite, on s’est encore parlé au téléphone concernant la préface qu’il m’a envoyée; il s’était inquiété de savoir si elle me convenait! « Je te ferai dix lignes » m’avait -il prévenu. Il m’en a envoyé deux pages, tapées en majuscules! Il a donc fallu que je les recopie… Puis nous avons un peu échangé par courriel. »
Comment est né le projet Tatatssin? Pourquoi ce casting? Quel cahier des charges as-tu « imposé » aux interprètes? Que penses-tu aujourd’hui du résultat?
« En février 2013, alors que j’étais à Paris pour la promotion d’un ouvrage paru aux éditions Didier Carpentier, « Le top 100 des chansons que l’on devrait tous connaître par cœur » (pour lequel d’ailleurs Renaud, parmi 275 auteurs de chansons, m’avait donné la liste de ses 10 chansons préférées, celles qu’il aurait aimé écrire), j’ai croisé Renaud devant la Closerie des Lilas où je passais à pied, allant déjeuner chez des amis. Je ne suis pas allé le saluer. Il venait de sa garer, sortait de sa voiture, semblait enfermé dans ses pensées.
C’est drôle parce que la veille, une éditrice m’avait proposé d’écrire sa biographie. Encore une bio? Je n’avais pas très envie de me plier à cet exercice, et le lendemain, je tombe sur lui! L’idée de Tatatssin m’est venue là: plutôt qu’un bouquin, un hommage en chansons, réalisé par des chanteurs auxquels on ne s’attendrait pas dans ce répertoire-là comme, La Grande Sophie par exemple, que tout le monde connaît, qui possède une véritable identité « pop-rock », ou, par exemple, Bertrand Betsch, Ludéal, Damien, Séverin, Peter Kröner, Pierre Schott (clip ci-dessous), Bertrand Soulier… Des artistes disons marginaux, mais très pointus, connus des mélomanes et d’un public averti.
Je leur ai donc présenté mon projet, leur proposant à chacun une ou deux chansons que je les voyais bien interpréter. Ils m’ont répondu avec beaucoup de cœur, notamment séduits par le fait que le site serait 100% gratuit, parfaitement désintéressé. Chanter du Renaud, pour la beauté du geste, sans espérer gagner un kopeck. Par la suite, comme personne ne me connaît, j’ai pris l’identité de Gérard Lambert pour chapeauter ce projet. C’était plus drôle. Et j’aime bien avancer masqué. »
Tu n’as pas voulu écrire sa biographie, mais tu as signé les textes d’un livre paru en mai 2014, « Renaud à la plume et au pinceau »
« C’est vrai, et c’était totalement inattendu. J’étais déjà bien avancé dans ma collecte de chansons pour Tatatssin quand entre Noël 2013 et le Jour de l’An, Didier Carpentier m’a demandé d’écrire 43 billets sur 43 chansons de Renaud qui seraient chacune illustrées par le dessinateur Jean-Marc Héran dans un bouquin qui devait paraître en mai 2014. Par amitié pour Carpentier et curiosité pour les dessins d’Héran, j’ai accepté. J’ai trouvé l’approche originale et le premier ouvrage de cette collection, sur Brassens, franchement réussi. Au final, le livre « Renaud à la plume et au pinceau » – que Renaud nous a fait l’immense honneur de valider (il s’est même inquiété de savoir si « Rouge Gorge » en ferait partie et a souhaité qu’on y intègre « Le petit chat est mort » par exemple, l’une de ses chansons préférées dans son propre répertoire) -, de surcroît superbement préfacé par David Séchan, son frère jumeau, est sorti une semaine avant que je n’ouvre le site « Tatatssin.com », dont je n’avais parlé à personne, ni à Didier Carpentier, ni à Héran, ni à Renaud bien entendu, ou à son entourage. En effet, je tenais absolument à ce que ce projet tombe du ciel, de façon tout à fait inattendue, sans prévenir qui que ce soit. J’ai toujours trouvé bizarre l’idée d’avoir à demander à quelqu’un l’autorisation de lui rendre un hommage! »
A l’instar d’un deuxième volume de « La bande à Renaud », penses-tu doubler la mise avec un Tatatssin 2?
« Oh non! Ça ferait filon. Et puis surtout, je suis ravi du résultat obtenu. Les retours que j’en ai sont excellents. C’est un site pirate, un peu « énervant » donc.. Les chansons sont volontairement hyper mal référencées sur le Net afin qu’il faille un peu les chercher pour les écouter… Deux ou trois reprises supplémentaires s’ajouteront peut-être dans la page des Bonus, mais rien de plus. Mon seul regret : j’aurais voulu qu’Yves Duteil reprenne « Marche à l’ombre » ou « La mère à Titi », pour l’entendre chanter des mots inattendus dans sa bouche. Il l’aurait, j’en suis sûr, très bien fait. Mais il ne m’a pas répondu… »
Penses-tu possible, probable, souhaitable que Renaud revienne à la chanson?
« Qui peut le dire? L’impression qu’il donne est semble-t-il de vouloir se réfugier dans le silence et la tranquillité. « Je vis caché » chantait-il déjà en 2002 sur « Boucan d’enfer ». Et cela ne manque pas de panache, je trouve, ni d’allure, quand on pense à tous ceux qui montreraient leur cul ou bien vendraient leur âme pour rester dans la lumière des médias. »
Recueilli par Yannick Delneste
PS: retrouvez Baptiste Vignol sur son blog « Mais qu’est-ce qu’on nous chante? »
PS2: « Renaud, chansons à la plume et au pinceau » (Editions Carpentier. 17,90€)
PS3: « L’été avec Renaud », une série d’articles autour du chanteur énervant et surtout discret depuis de longues années. Panne d’inspiration, dèche psychologique: le Renaud est en cale sèche, et les initiatives se multiplient pour le remettre à l’eau. Comme on a grandi et vécu avec lui (enfin avec ses chansons), on a voulu décliner le gars sous quelques angles. Et passer l’été en sa compagnie. Prochain volet: des artistes du projet « Tatatssin » nous parlent de leur rapport à Renaud et pourquoi comment ils ont repris celle-là ou celle-ci.
Source : Sud Ouest