Un été avec Renaud (4): les artistes de « Tatatssin! » témoignent

Sud Ouest

C’est déjà ça
Le blog chanson de Yannick Delneste et Philippe Ménard

21/08/2014

Une quinzaine de chanteurs de l’épatant projet évoquent pour nous Renaud dont ils ont chacun repris une chanson de manière décalée, originale, sobre, dépouillée ou fantasque, mais toujours intéressante.

Comme mentionné dans le troisième volet de notre série, on ne saurait que trop vous conseiller d’aller traîner les esgourdes sur le site www.tatatssin.com Ce printemps, Baptiste Vignol y a convié une vingtaine d’artistes, pour la plupart hélas méconnus, juste réunis par le talent. De Pierre Schott à Circé Deslandes, de Bertrand Betsch à Gérald Genty en passant par… François Morel venu rejoindre la troupe tout récemment.

Après avoir interrogé le chef d’orchestre de Tatatssin!, il nous a paru intéressant de demander aux jeunes ou moins jeunes chanteurs du projet ce qui les a motivés dans la reprise d’une chanson de Renaud. Certains semblent très proches de l’univers du chanteur, d’autres pas du tout, mais ils ont tous su s’approprier un titre du répertoire sans trahir, gardant l’essence de la chanson et sa force. A chacun, nous avons posé les mêmes trois questions (Que représente Renaud pour vous? Pourquoi avez-vous choisi cette chanson? Comment l’avez-vous « travaillée »?), simples repères pour une réponse libre. Voici dans une première partie, les impressions de Pierre Schott, Ludéal, François Morel, Shor Eze, Bertrand Louis, Sèverin et Louis-Ronan Choisy.

« Tant qu’il y a aura des ombres » par Pierre Schott

« Renaud fait partie du paysage musical français depuis 35 ans, définitivement fidèle à son style singulier. Ni ses possibilités vocales, ni la complexité de ses musiques, ni même l’envergure littéraire de ses textes n’impressionnent séparément. Et pourtant, beaucoup de ses chansons sont de précieux et incontestés chefs-d’oeuvre. Bref, Renaud incarne très bien l’insaisissable subtilité de l’art de la chanson, cette magie dont le technicien pur ne comprend pas à quoi elle tient. Sous d’autres angles, le personnage incarne aussi un certain paradoxe politique, caractéristique de son public et d’une partie de la France avec laquelle il partage une réelle complicité affective. Une somme de réactions protestataires pas forcément cohérentes mais toujours sincères. Un regard agacé sur tout y compris sur lui-même…

Baptiste m’a proposée la chanson. Sans chercher midi à 14h, le décor qu’elle dépeint se rapproche de l’univers de mes propres chansons: la rivière tranquille, l’espace naturel plus ou moins préservé, à l’écart de la société… Sincèrement, je n’aurais su que faire d’un texte plus militant ou plus urbain. Je l’ai travaillée sans réfléchir. Je suis resté au plus près de la mélodie telle que Renaud la chante. La sauce musicale est ma cuisine habituelle, sur la base harmonique de l’original. Mettant en évidence la part de l’écriture et celle de l’interprétation et de la réalisation, l’exercice était intéressant et instructif pour moi. »

« P’tit déj’ blues » par Ludéal

« Pour moi Renaud, c’est ma jeune adolescence. J’étais alors à des années-lumière de la chanson française. Je l’ai entendu pour la première fois dans les dortoirs de colos, et ceux qui écoutaient ses chansons étaient les seuls à avoir des cigarettes. Alors forcément, je ne voulais pas être ailleurs. La chanson que j’ai reprise m’a été soumise par Baptiste et j’ai plutôt eu de la chance car elle ne s’éloigne pas trop de mes thèmes favoris. Elle est tendre et drôle et puis elle me rappelait beaucoup « Bijou bijou » de Bashung. J’avoue que si j’avais eu « Hexagone », j’aurais « laissé béton ». »

« Mistral gagnant » par François Morel

« Renaud, je ne dirais pas que c’est un frère, mais j’aimerais bien… Un frère dont on admirerait l’écriture, l’inspiration, sa façon de mettre trois mots qui font rire au milieu d’une chanson qui fait pleurer. Renaud, je ne dirais pas que c’est un frangin mais j’aimerais bien. Un frangin de mélancolie et de révolte. Quelqu’un à qui on reprochait sa casquette et ses airs de gavroche quand il a débuté alors que n’importe qui montant sur scène est bien obligé de se choisir un costume. Je n’ai pas décidé de chanter Mistral Gagnant, on me l’a proposée. J’étais assez fier que quelqu’un ait eu l’idée que je puisse la chanter vu que c’est une de mes préférées. Avec Antoine (Salher, NDLR) au piano, on n’a pas cherché à faire les malins. Juste tenter d’exprimer la tendresse infinie de cette chanson un petit peu parfaite et de dire à Renaud notre reconnaissance amicale. »

« Chanson pour Pierrot » par Shor Eze (et Aska)

« Renaud me renvoie directement à un morceau de Doc Gyneco sur l’album « Liaisons dangereuses » en featuring avec Renaud reprenant le refrain d’« Hexagone ». A titre plus personnel, chaque trajet en voiture lorsque j’étais petit ne se faisait pas sans une de ses cassettes en fond sonore. Je n’ai pas choisi la chanson, Don Korto qui a composé l’instrumental l’a fait pour moi, persuadé que la thématique me parlerait. Je ne connaissais pas ce titre.

C’est la première fois que je rappais un texte que je n’avais pas moi-même écrit. Ma volonté première n’était pas de faire une reprise, mais un morceau de rap à part entière, la version finale devait même contenir des scratchs pour appuyer le côté hip-hop et s’éloigner de la chanson initiale. J’ai embarqué Aska dans l’aventure, pour donner un peu plus de consistance au track. J’ai également légèrement retouché le texte pour me l’approprier, les « Santiago » devenant ma paire de Jordan! »

« Où c’est qu’j’ai mis mon flingue? » par Bertrand Louis

« Renaud représente pour moi la pré-adolescence. Quand il a débarqué, j’ai suivi l’engouement général, et cela m’a d’autant plus marqué que son attitude et ses textes dérangeaient mes parents qui m’avaient même interdit d’aller le voir en concert. Avec le recul je trouve que c’est un chanteur qui dit les choses et c’est en cela qu’il nous manque. J’ai choisi « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue? » car c’est la plus terrible au niveau du texte mais aussi parce qu’il y a un flow incroyable, quasi-dylanien. On a l’impression que ça ne va jamais s’arrêter.

Pour l’interprétation du titre, j’ai joué le jeu du concept de Tatatssin! en l’enregistrant tout seul chez moi sur mon piano pourri. J’ai voulu lui rajouter un peu de nostalgie en le « valsant » (car j’en éprouve quand je pense à Renaud), un peu de dandysme et de distance aussi j’avoue, car on ne se refait pas; j’ai voulu également le ralentir pour appuyer le sens du texte et surtout mettre en valeur cette rage sourde que je perçois comme essentielle dans ce titre. »

« Manu » par Sèverin

« Renaud, je l’écoute en voiture. C’est comme ça que je l’ai découvert. Je me souviens précisément de ma première  rencontre avec le ton sensible, sincère, doux-amer et drôle de Renaud : l’album « Marche à l’ombre », tout seul au volant. Personne d’autre n’écrit comme lui. Jamais Renaud ne s’enlise dans les bonnes tournures de phrases, dans les bons mots. Il les utilise toujours pour servir son propos ou son histoire dans une recherche de vérité.

Sous cet angle, l’album « Marche à l’ombre » est juste parfait. J’ai d’ailleurs repris « Mimi l’ennui » il y a un ou deux ans. C’est après l’avoir écouté que Baptiste est rentré en contact avec moi et m’a proposé de rejoindre l’équipe de « Tatatssin ».

Cette fois j’ai choisi « Manu ». Une de ses meilleures chansons selon moi. Difficile de reprendre un chanteur qui a un ton si particulier. Au début, j’ai tourné un peu autour (on a toujours la tentation de le singer), mais je me suis vite rendu compte que je n’arriverai pas à recréer l’urgence qui dope son interprétation. J’ai reconstruit la musique autour de mon propre ton de voix, sans chercher à forcer, avec l’idée que ce grand auteur me prêtait sa chanson. »

« P’tit voleur » par Louis-Ronan Choisy

« Renaud représente pour moi le « Loulou » de Pialat. Je n’ai jamais été un fanatique de ses chansons mais lorsque Baptiste m’a demandé de le reprendre, il m’avait proposé « Ma Gonzesse » si je me souviens bien. Je me suis replongé dans son répertoire… Force est de constater que c’est tout de même un sacré mélodiste et parolier. Et je suis tombé sur le clip de « P’tit voleur » dont j’avais des souvenirs d’enfance, de la chanson bien sûr mais aussi d’Emmanuelle Béart qui est à croquer et de Renaud, beau comme un dieu.

Et cette chanson dont j’adorais la mélodie, les harmonies et dont je sentais que je pouvais me réapproprier les paroles autour de l’enfermement. Je me suis donc lancé dans une instrumentation un peu étouffante, reggae froid et synthétique, sombre et sulfureux: une atmosphère inspirée de Jean Genet. Et j’ai demandé à Zoé Ibanez de chanter les refrains avec moi pour apporter un peu de lumière, de sensualité et d’amour à cette chanson désespérée. »

Recueilli par Yannick Delneste

PS: « L’été avec Renaud », une série d’articles autour du chanteur énervant et surtout discret depuis de longues années. Panne d’inspiration, dèche psychologique: le Renaud est en cale sèche, et les initiatives se multiplient pour le remettre à l’eau. Comme on a grandi et vécu avec lui (enfin avec ses chansons), on a voulu décliner le gars sous quelques angles. Et passer l’été en sa compagnie. Prochain volet: six autres artistes de Tatatssin! témoignent

 

Source : Sud Ouest