Un été avec Renaud (4,5): les artistes de « Tatatssin! » témoignent encore

Sud Ouest

C’est déjà ça
Le blog chanson de Yannick Delneste et Philippe Ménard

23/08/2014

Suite de notre volet sur le projet de reprises dénuées d’autre intérêt que celui de rendre un hommage sincère, original et gratuit à l’auteur-compositeur. Après François Morel, Pierre Schott ou Ludéal, place à huit autres chatoyants ouvriers de chez Renaud

« Le sirop de la rue » par Gérald Genty

« Baptiste m’a contacté il y a quelques mois en me proposant de faire une reprise de Renaud, « Le Sirop d’la rue ». Il n’a pas parlé d’argent. Je pensais quand même toucher dans les 10 000 euros, mais lorsqu’il m’a donné les noms des autres participants, j’ai très vite compris qu’on allait travailler gratis. Bon, c’est pas grave, la musique est ma passion. Il aurait pu me contacter pour faire du Delpech ou du Jairo, « Les Jardins du ciel », j’aurais accepté tout autant. L’exercice de la reprise est stimulant, à partir du moment où ça n’est pas une compil’ hyper markettée (Goldman par M’Pokora qui, lui, a dû toucher dans les 10 000 francs suisse). Par exemple, je suis un grand fan des reprises dans l’espace par Katerine.

Pour Tatatssin!, l’intérêt venait aussi du travail solitaire en home studio : c’est une espace de liberté totale. On a même la possibilité de massacrer le chanteur, de tordre dans tous les sens la mélodie. « Le Sirop de la rue », ça me parlait beaucoup. La musique de Julien Clerc et les paroles de Renaud résolument mélancoliques. J’ai l’impression de partager de plus en plus ce sentiment. On voit à présent dans ce que dégage le Renaud actuel, combien la mélancolie, lorsqu’elle atteint ce niveau, peut être un poison… Certains sont tournés toujours vers l’avenir, le futur, les prochains projets, le lendemain (ça y est, ouf, j’ai plus de synonymes!) mais je me demande, à l’instar de Renaud, comment ne pas regretter éternellement son enfance…?

Mes enfants ont 1 et 3 ans. Je les prends en photos chaque mois. Je les fais défiler souvent, et il n’y a rien à faire, c’est indéniable : ils grandissent. Donc je vieillis. Et je sais combien la vision de ces photos sera plus tard déchirante, que c’est avec une profonde mélancolie que je repenserai à ces moments où j’en avais un dans mon dos et l’autre sur les épaules (pourtant, des fois, j’en ai plein le dos…). C’est cela qui transparait dans « Le Sirop d’la rue », et dans cet exercice, Renaud est champion d’Europe (il doit exister quelque part au Pérou ou au Botswana un chanteur qui lui est un peu supérieur).

Pour ce qui est du travail de la reprise, je me suis mis comme contrainte de construire le squelette avec un instrument qui est généralement plutôt accompagnateur que principal, à savoir la basse et ce pour une bonne raison : je venais de m’en acheter une. Avec une voix assez haute et réverbérée, je voulais avoir un côté éthéré et fragile. Pour le retour en arrière, j’ai usé discrètement de synthétiseurs que j’ai passés à l’envers. Je connaissais quelques collègues de Tatatssin (Rit, La Grande Sophie), et j’aimais bien l’idée que l’on potasse tous dans notre petit studio, juste « pour le plaisir » comme chantait un chanteur à qui l’on n’a pas encore dédié un site de reprise. Ça viendra peut-être… »

« Je m’appelle Galilée » par Circé Deslandes

« Je n’ai jamais vraiment écouté Renaud, j’étais plus Gainsbourg, Brel, Ferré ou Vian. Je connais les titres les plus célèbres mais je n’ai jamais été une assidue. J’adore « P’tite conne » mais ce n’est pas très original !  Baptiste m’a suggéré « Galilée », chanson que j’ai découverte sur son dernier album en date. J’ai trouvé en effet qu’il y avait une cohérence avec le travail que je mène dans mes chansons autour de l’érotisme. Il y a dans cette chanson quelque chose de plus féminin que d’habitude, chez Renaud. J’ai resserré un peu le texte et j’ai travaillé avec mon ancien guitariste JC Malbaut, de manière très brute, très simple. »

« J’ai la vie qui m’pique les yeux » par Bertrand Betsch

« Renaud représente une partie de mon enfance et de mon adolescence. Je me revois très bien dans une vieille Micheline de province, en vacances, en train d’écouter ses chansons sur un walkman. Je devais avoir 10 ou 11 ans. J’aimais ses chansons, sans trop vraiment savoir pourquoi. Elles ne me concernaient pas au premier chef. Mais il y avait dans la musique une sorte de mélancolie qui captait mon attention et me faisait aimer ses textes.

Comme tous les grands artistes il possédait ce don de musicien et de chanteur qui permet de donner corps à un texte. En effet, un texte qui n’est pas porté par une bonne mélodie et une bonne interprétation est voué à rester lettre morte. Or les chansons de Renaud dès la première écoute, vous restent fichées dans la tête. De sorte que même si l’on ne sent pas directement concerné par les thèmes qu’il aborde, on est touché au coeur par la qualité de l’oeuvre.  

Renaud a écrit des chansons rigolotes (comme Brel en son temps qui alternait pitreries et chansons dramatiques) mais il a également interprété des chansons qui, au fil du temps, sont devenus des classiques et qui à chaque écoute vous transpercent tant par leur justesse que par l’émotion qu’elles génèrent. Je pense par exemple à « Manu », « Chanson pour Pierrot », « Hexagone », « Adieu minette », « La teigne », « Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ? », « J’ai la vie qui m’pique les yeux », « Les charognards », « P’tite conne » et bien sûr l’immarcescible « Mistral gagnant ».

Autant de chansons qui resteront et qui me toucheront encore dans 20 ou 30 ans… Je n’ai pas honte de dire que lorsque j’écoute « Manu » ou « Mistral gagnant », il m’arrive de pleurer. Voilà ce qu’est pour moi Renaud : un des chanteurs qui restera au Panthéon de la chanson française, aux côtés de Brel, Brassens, Ferré, Barbara, Manset, Balavoine, Berger, Souchon et quelques autres…

J’ai choisi d’interpréter « J’ai la vie qui m’pique les yeux » d’une part parce qu’elle est un peu méconnue (je voulais donc lui rendre les honneurs qu’elle mérite) et d’autre part parce que c’est l’une des plus émouvantes de Renaud et l’une des plus autobiographiques. Renaud devait avoir 24 ans quand il a écrit cette chanson. Et pourtant tout y est. La mélancolie, la nostalgie, le cafard, la boisson, le bistrot, la dépression, l’angoisse, la fragilité, la tendresse, l’humanité, le goût du phrasé populo… On peut donc, à la lumière de cet océan de larmes qu’est devenue la vie de Renaud, dire que cette chanson est particulièrement programmatique. Tout le déroulement de sa vie est là. En quelques vers est jeté le portrait de cet homme si attachant et si fragile (si attachant parce que si fragile, tellement honnête, tellement vibrant, tellement humain). J’irai jusqu’à dire que cette chanson porte en elle l’ADN de Renaud.

Une phrase me touche plus personnellement. C’est quand il dit « Sûr qu’à l’école de l’angoisse/J’suis toujours premier d’la classe ». Cette chanson parle de moi, de mes problèmes de mélancolie, d’angoisse, d’enfermement. Elle me touche au plus intime, au plus profond. Et qu’est-ce qu’une bonne chanson sinon une chanson qui entre avec vous en conversation, qui vous reflète, qui vous déshabille, qui vous tend un miroir qui vous rend votre visage?

J’ai donné de cette chanson une version très simple et dépouillée. Je ne voulais pas la transformer. Je voulais juste la saluer du haut de ma guitare et de ma voix frêle, comme on salue au loin un vieil ami qui vous tient depuis toujours secrètement compagnie. Pas la peine d’habiller cette chanson. C’est mise à nue qu’elle me parle le plus. C’est dans le nu et dans le cru de la vie qu’elle tient sa place. »

« Viens chez moi, j’habite chez une copine » par Antoine Léonpaul

«J’ai toujours les vinyls de « Morgane de toi » et de « Mistral Gagnant », que j’ai achetés à 14 ans, dans ma discothèque. Renaud faisait partie de la bande son de mon adolescence, au même titre que Depeche Mode ou The Cure. Je les ai beaucoup écoutés, ça fait partie des quelques disques dont je connais les paroles par cœur…

J’ai vu « Viens chez moi j’habite chez une copine » en VHS ou à la télé un dimanche soir, je ne me souviens plus trop quand mais à peu près à la même époque… J’avais 15 ans et j’enregistrais ma première maquette sur un magnétophone Revox à bandes. Vingt ans plus tard, j’ai réécouté ce morceau et je me suis rendu compte que la grille d’accords et la mélodie ressemblaient beaucoup à « Viens chez moi… » ! Mon premier -et j’espère dernier- plagiat involontaire.

Quand Baptiste m’a demandé de la reprendre pour Tatatssin!, j’ai voulu l’enregistrer comme si j’avais à nouveau 15 ans, alors je suis allé chez mon copain Laurent Saligault et on a fait ça en une après-midi, sur un magnéto à bandes, une piste par instrument sans re-re… Brut, spontané, sans questionnement, comme je l’aurais fait à cet âge.»

« En cloque » par Peter Kröner

« Renaud est un des rares artistes français grand public à avoir persisté dans un langage populaire et factuel, alors que, depuis les années 70, la tendance était à la métaphore et au jeu de mots, jusqu’aux formules creuses qu’on subit largement aujourd’hui. Je n’ai pas toujours adhéré à ses prises de positions sociales ou politiques, car elles ne rendaient pas vraiment compte de la complexité des sujets abordés (problème récurrent dans la chanson engagée contemporaine), mais son style est sûr et juste, et la fraicheur impertinente de son interprétation transcendante.

Comme cela devait être un travail d’interprétation plutôt qu’une imitation, et compte tenu du style d’expression très particulier de Renaud, je sentais qu’un morceau plus introverti pouvait me donner plus de possibilités dans ce sens. Puis j’avais en mémoire une émission – Champs Élysées, je crois – pendant laquelle j’avais vu Renaud chanter En cloque, seul avec un accordéon. On lui avait fait un beau brushing, le tout en playback, il avait l’air extrêmement mal à l’aise, ce qui ajoutait à la mélancolie du morceau. Une image qui m’est restée. Voilà mon choix.

Je l’ai travaillée comme d’habitude, à la maison avec ma configuration standard, voix, guitare et pied, directement en une prise, pas de re-re, pas de montage. Quelques éléments empruntés à l’arrangement d’origine, une petite modification de la structure pour dynamiser la deuxième moitié. Quelques passages avant d’obtenir ce que je voulais. Une rapide mise à plat et c’était parti, par email. Je pensais à un vrai mix plus tard, ou bien que Baptiste allait procéder à un mastering de l’ensemble des morceaux recueillis, mais en fait non, c’était mis en ligne tel quel. Pas plus mal. Pour la petite histoire, afin de réduire au maximum les bruits d’ambiance, j’étais en slip pendant l’enregistrement. C’était l’hiver, il faisait froid dans la pièce, j’étais pressé d’obtenir la bonne prise et un peu angoissé de faire une faute dans le texte, surtout lors de l’avant-dernier couplet, avant la dernière ligne droite. Quand je l’écoute aujourd’hui, je l’entends, mais bon, l’empressement fait bien passer ce cap au morceau. »

« Triviale poursuite » par Rit

« Disons que dans ma vie, il y a eu avant et après Renaud… rien que ça! Alors que je n’écoutais pas du tout de musique, vers l’âge de 13 ans, je me suis mis à écouter Renaud en boucle. J’avais mis la main sur une copie cassette de « Mistral Gagnant », et à partir de ce jour, j’étais devenu un Titi parisien à Marseille! Je m’habillais comme lui, je parlais l’argo, je portais le perfecto, le bandana et les tiags.

J’ai rapidement eu tous ces disques, et j’ai commencé à massacrer ses chansons sur ma guitare… A la manière d’un grand frère, il a été celui qui a éveillé ma conscience civique, citoyenne et humaniste.

Pourquoi « Triviale poursuite »? D’abord parce qu’elle synthétise tout ce que j’aime chez Renaud: trouver un prétexte (le Trivial Pursuit) pour faire une chanson amère, truffée de références à l’actualité. Ensuite, parce je reprenais déjà cette chanson quand j’étais gamin, et je crois qu’elle a façonné à jamais ma manière d’écrire, sur le fond et sur la forme. J’ai d’abord essayé de garder l’âme de la chanson juste avec la guitare et le chant. Il y a un très fort sentiment de fatalisme et d’impuissance qui, je crois, transparait dans la fragilité d’une version guitare/voix. Ensuite j’ai essayé d’être cohérent avec ce que j’ai proposé sur mon dernier album Western Hip-Hop. J’ai gardé l’ambiance « Ennio Morricone »avec les sifflets, l’harmonica, la slide guitare.

Sur la version de « Laisse béton », j’ai aussi travaillé dans ce sens, mais en gardant uniquement les sample de la version originale. J’ai tout enregistré chez moi, en une journée, en attendant l’aval de Gérard Lambert… »

« C’est quand on va où? » par Bertrand Soulier

« Renaud, je suis passé à côté. Ou au-dessus, en dessous. D’abord, il avait le même nom que la voiture des voisins. Ça me paraissait étonnant et (soyons honnêtes) assez peu attirant. Ensuite, j’ai grandi dans la Seine Saint-Denis des années 70. Alors des chetrons sauvages, il y en avait un peu partout… Perfecto, 103 SP, guidons Z-Barre torsadés. Des grands tiges chevelues élevées à la gitane et au Benco. Ça faisait pas voyager.

Dans les années 80, le gars Renaud a commencé à truster les hit-parades. Soit. Mais en vrai banlieusard, je suis plutôt tombé dans la marmite noire. Pas celle de l’anarchie qui passait trop souvent chez Danièle Gilbert, mais plutôt celle du Prince de Controversy et puis de Miles, Trane, et puis et puis… Je me suis intéressé à la chanson française au milieu des années 90. Renaud devait être en vacances. Et dans la grande encyclopédie d’alors, le « R » était trop loin du « G » de Serge, du « B » d’Alain et de Georges. L’alphabet est forcément traître.

« Tatatssin! » ? Baptiste m’a proposé de faire une version légère de « C’Est Quand Qu’on Va Où ». Je n’avais jamais entendu cette chanson. Et pourtant, à la première écoute, elle m’était si familière. Alors j’ai dit oui. De bon coeur. Renaud au fond, c’est un vieux copain. Sans le connaître vraiment. J’ai parfois nagé dans le couloir à côté de lui. Closerie, Rotonde, Dôme. Dos crawlé. On a bu des tasses parallèles. Lui, médaille d’or. Moi au pied du podium. Ça doit créer des liens.

Une chose est sûre. Un jour, j’écouterai. »

« Hexagone » par Fred

« Chez Renaud, ça commence avec la gouaille, un truc qui semble un peu désuet et maniéré la première fois qu’on l’entend, mais qui donne une empreinte forte à chaque mot. Une sorte de boxeur chez les super-légers qui t’en mettra une, quoiqu’il en soit. Du coup, les textes et la façon de chanter laissent l’auditeur en alerte, ce qui n’est pas rien quand tu veux te faire entendre. C’est sans détour, moins poétique que du Dylan ou du Ferré, mais l’urgence est là.

« Etre né sous le signe de l’Hexagone, c’est pas la gloire en vérité » Les mots et les couplets défilent, décortiquant les contradictions d’un pays et d’une période bientôt révolue. Sans même connaitre le visage de celui qui chante, on se l’imagine au coin d’une rue ou à la sortie d’une usine, la guitare en bandoulière façon Woody Guthrie. Toute autre interprétation sort de ce décor idéal pour une « protest song », et vous place, soit dans une posture intellectuelle, soit dans une rage, punk rock en apnée, pour placer le texte.

En me référant à la chanson de rue, j’ai imaginé un joueur d’orgue de Barbarie jouant et chantant « Hexagone » comme au début du siècle dernier. Techniquement, c’est un peu difficile à mettre en place, mais je connais un très bon joueur de Marimba et de vibraphone: Benoit Lavollée. On a essayé de donner cet aspect mécanique, qui tiendrait la distance pour servir le texte. »

Recueilli par Yannick Delneste

PS: « L’été avec Renaud », une série d’articles autour du chanteur énervant et surtout discret depuis de longues années. Panne d’inspiration, dèche psychologique: le Renaud est en cale sèche, et les initiatives se multiplient pour le remettre à l’eau. Comme on a grandi et vécu avec lui (enfin avec ses chansons), on a voulu décliner le gars sous quelques angles. Et passer l’été en sa compagnie. Prochain volet: Benoît Dorémus, « fils » et pote de Renaud, nous raconte sa rencontre avec l’artiste.

  

Source : Sud Ouest