Un pied de nez à la superficialité

La Presse

OPINIONS

Concert de Renaud à Gatineau

VÉRONIQUE BELLEMARE BRIÈRE
Somnopédagogue

 

PHOTO SIMON SÉGUIN-BERTRAND, LE DROIT
L’autrice a vu Renaud en spectacle le 14 mai à Gatineau.

J’étais au concert de Renaud à Gatineau. Je ne l’avais pas vu depuis des décennies. Je n’étais pas au courant de son état actuel. Les premiers instants, j’ai été saisie. Je ne m’attendais pas à ça.

Mais par la suite, au-delà des orchestrations grandioses et des musiciens tout aussi fabuleux… je me suis dit : « Qui décide de ce qu’est chanter ? » Et : « Qui décide du moment où l’on doit cesser ? »

C’est là que j’ai vu toute la grandeur de ce moment d’exception, mémorable. Renaud poursuit, envers et contre tous. Il reste authentique et se présente sans artifice, même s’il n’est plus ce qu’il était. Et si c’était un déclencheur d’âme ?

Au début, j’étais presque triste et un peu mal à l’aise. À la fin, j’étais envoûtée ; reconnaissante d’avoir vu un tel spectacle, hors norme.

De quelqu’un qui a eu la vie qu’il a eue et qui a radicalement changé, mais qui n’abandonne pas pour autant. Quelqu’un qui a vieilli et qui est certainement malade, mais qui ne lâche pas.

Qui chante dans une dimension qui est la sienne ; qui n’est peut-être pas la nôtre, mais qui nous donne une sacrée leçon de vie. Au final, ma tristesse du départ s’est transformée en révélation. Non, Renaud ne chante plus comme avant. Mais il est encore un artiste !

Le droit de chanter

Quant au chant et à la présence, ils n’étaient sans doute pas ceux qu’on attendait ; ceux auxquels on était habitués… Mais on a eu l’immense privilège de nous retrouver ensemble à partager cet instant où il est rendu dans sa vie, à le voir tel qu’il est, faire un pied de nez à l’époque superficielle actuelle.

On a vu ses musiciens jouer allègrement, comme si on entendait bien ses mots et mélodies, avec de grands sourires et une réelle fierté d’être là. Parce que Renaud a beau avoir changé ; il a encore le droit de chanter.

PHOTO SIMON SÉGUIN-BERTRAND, LE DROIT
« On a eu l’immense privilège de nous retrouver ensemble à partager cet instant où il est rendu dans sa vie, à le voir tel qu’il est, faire un pied de nez à l’époque superficielle actuelle », écrit l’autrice.

Quant à la définition de ce qu’est chanter, à quoi sert-elle si elle ne consiste pas avant tout en une rencontre d’âme à âme, un véritable canal de connexion, même quand c’est difficile, même quand on semble avoir perdu contact avec le monde devant soi ?

Il y a tellement d’artistes de scène qui ont toute la santé et la jeunesse du monde sans avoir d’âme ! Au final, pour moi, ce spectacle a été un éveilleur de conscience.

Comme Alys Robi disait Laissez-moi encore chanter après avoir passé des années dans un hôpital psychiatrique. Comme on se dit une société inclusive, qui veut briser les tabous et l’âgisme… Ce concert de Renaud était salutaire.

J’en suis sortie heureuse. Heureuse d’avoir été témoin de cet instant où on a laissé chanter une personne qui n’était peut-être plus ce qu’elle était ; mais en acceptant ce qu’elle était devenue.

Heureuse de voir ces deux timides sourires esquissés par Renaud à la fin du show. Heureuse que Renaud ait tenu le coup comme s’il disait « et vlan dans les dents » à tous ceux qui ne sauraient comprendre sa présence sur scène. Heureuse qu’il se soit prévalu de son droit de chanter, même si sa nouvelle définition du chant ne correspond certainement pas aux dictats environnants.

Finalement, ce n’était pas triste. C’était un moment de libération. Une leçon pour nous tous que ce n’est pas parce qu’on vieillit ou qu’on change ; ce n’est pas parce que la maladie nous happe qu’on doit cesser de chanter.

Car chanter, que ce soit dans n’importe quelle clé, de manière mélodieuse ou non, en marmonnant ou pas, ça reste et ça demeure… LA VIE.

  

Source : La Presse