2 décembre 1978
Ils aiment ça, c’est évident. D’ailleurs, c’est de leur monde. Ce petit jeune homme blond sur scène avec sa guitare et sa voix grippée, un peu chanteur « à textes » rive-gauchiste, un peu rocker de charme à la française, il leur va droit au cœur; sûrement, il est des leurs autant qu’un Louka, jeune gars sorti du peuple, au fond, avant d’être artiste parisien et grand sensible de son métier. C’est du moins l’air qu’il se donne, et Charleroi ne peut qu’aimer ce Renaud-là.
Mais Charleroi, c’est aussi le plus prolétaire des publics : le spectacle, c’est un brin artificiel, ça les rend timides. C’est à peine s’ils osent applaudir à la fin du morceau ou rire poliment quand il y a une astuce. De là à trépigner quand le rythme prend bien, à crier bien fort combien ils aiment, à se lever de leur fauteuil, à faire la réponse quand il y a un blanc dans le tour de chant, c’est un autre monde.
Et Renaud, qui est un grand sensible et un peu enrhumé, qui était naguère le plus intimiste des « nouveaux chanteurs » (il a un groupe de rock avec lui, maintenant, comme Béranger à qui il ressemble si souvent, l’âge mis à part), Renaud n’osera pas non plus faire le premier pas. Deux grands timides sur un banc dans un parc, qui s’aiment et ne peuvent rien se dire. Un malentendu.
Mais, si le public carolorégien a l’habitude de l’incommunicabilité (Béranger et Higelin s’y sont trompés aussi, le mois dernier), Renaud, lui, n’a pas l’intention d’en rester là : fragile, sans doute, mais dur à décourager. Et si les médusés de Charleroi n’auront pas le loisir de profiter de la reprise en main, ce sont les calmes habitués du Théâtre 140 que Renaud a l’intention de secouer ferme pour trois soirs de suite. Il a un retard à rattraper côté chaleur et abattage, et compte bien y arriver à Bruxelles : d’entrée de jeu, il sera interdit de bouder son plaisir.
Source : La Nouvelle Gazette