Québec, jeudi 9 juillet 1987
LA PAGE ÉDITORIALE
LETTRES AU SOLEIL
♦ J’étais parmi les 85,000 participants à la fête du 23 juin dans l’Ile Notre-Dame. J’ai trouvé instructive la façon dont cette soirée était présentée le lendemain soir, pendant deux heures, aux téléspectateurs de Radio-Canada.
Cet événement était un spectacle musical; toutefois, il voulait marquer notre fête nationale. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait comporté certains éléments à caractère idéologique. Or, le film que Radio-Canada en a présenté le lendemain avait subi les ciseaux des censeurs, au point de vider la soirée de presque tout ce qui aurait pu en rappeler le sens. Voici quelques exemples de ces coupures:
La fête avait commencé par un mot de la présidente de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Nicole Boudreau. Ce mini-discours de moins d’une minute, très ovationné, avait le mérite de situer l’événement dans son contexte patriotique. Radio-Canada l’a tout simplement supprimé.
Notre emblème national était à l’honneur: en entrant sur scène, chacun des artistes lançait dans la foule un bouquet de fleurs de lys. Cela fut coupe également.
Le chanteur Renaud s’attira les acclamations en s’exclamant, à la fin de son tour de chant: « Vive le Québec, Vive la liberté. Avec deux phrases on peut n’en faire qu’une. » Coupé aussi.
On sait que Radio-Canada a pour mandat de promouvoir l’unité canadienne. Cela nous vaut régulièrement au télé-journal des reportages sur des événements parfaitement insignifiants mais qui ont le mérite de se produire à Moose Jaw, Whitehorse et autres Flin Flon. Si l’on s’en tenait à ces platitudes, le mal serait endurable. Mais il semble qu’en plus notre télévision d’Etat doive cacher aux Québécois des événements significatifs qui se produisent chez eux, devant 85,000 personnes, le jour de leur Fête nationale.
Bien sûr, on invoquera quelque raison technique à ces coupures. Pour ma part, vu qu’elles ont des précédents, je leur vois deux explications possibles.
Ou bien certains, en haut lieu, ont jugé que les Québécois n’ont pas la maturité voulue pour évaluer correctement certains événements et ont décidé de les leur dissimuler.
Ou bien des subalternes peu courageux ont décidé de censurer eux-mêmes ces passages pour s’éviter des ennuis avec leurs supérieurs.
Hauts gradés ou subalternes, les responsables de ces coupures doivent être des gens bien malheureux. Si ça peut les consoler, rappelons-leur qu’ils ne sont pas seuls au monde: au Chili, en Pologne et ailleurs c’est aussi comme ça que fonctionne la télévision.
Jean Dorion,
Montréal.
Source : Le Soleil