N° 183, 20 décembre 1995
Envoyé spécial chez moi
Renaud fait des blagues à Jacques Pradel
Depuis sa chambre Lolita a entendu sa maman me traiter de fou. Elle est arrivée en courant et nous a trouvés tous les deux plies de rire comme des bossus.
– Qu’est-ce qu’y s’passe ? Qu’est-ce qui vous fait marrer comme ça ? Pourquoi t’as dit qu’il était fou, papa?
– Demande-lui ce qu’il a fait, tu vas voir s’il est pas fada…
Ben quoi ? J’ai rien fait de mal ! Ça me taraudait depuis un bon quart d’heure, j’ai craqué, c’est tout ! Figurez-vous qu’en zappant sur la télécommande je suis tombé sur « Témoin n° 1 ». J’ai suivi pendant un moment, me demandant comment Jacques Pradel, l’animateur plein de malice, d’intelligence et d’humour rencontré naguère dans les studios de France Inter où il officiait, avait pu tomber si facilement dans la « télé-poubelle », avait pu devenir cette pauvre chose gluante de racolage émotionnel, dégoulinant de compassion feinte et de bons sentiments télégéniques misérables, puis, comme il suppliait les téléspectateurs de se manifester à SVP afin de retrouver la trace de je ne sais plus quel témoin essentiel dans je ne sais plus quel fait divers crapuleux, j’ai pris mon téléphone et j’ai composé le numéro.
– T’as appelé SVP ? Mais pour dire quoi ?
– Ben, pour dire que je l’avais vu… La dame au bout du fil m’a dit : « Allô, « Témoin n° 1 », nous vous écoutons… » J’ai pris une voix très déterminée et j’ai dit : « Allô, oui… Écoutez-moi bien : Je l’ai vu ! » La dame, comme je l’espérais, a demandé : « Qui ? » j’ai dit : « Ton cul ! » et j’ai raccroché.
– Et c’est ça qui vous fait marrer ? Mais, papa, t’es fou ! C’est un truc de mômes, ça… Pis d’abord, pourquoi t’as raccroché ? T’aurais pu attendre la réaction de la bonne femme…
– Ben, j’ai eu peur de me faire engueuler… Ou de me faire traiter de connard, ça m’aurait empêché de dormir. Tandis que, là, je vais passer une nuit merveilleuse, sublime ! Putain, j’avais peur ! J’ai hésité pendant un quart d’heure ! Quand ça a décroché j’avais le cœur qui battait comme si j’appelais un commissariat pour une fausse alerte à la bombe !
– Hé ? Cela dit, papounet, peut-être que la dame ça l’a fait marrer ? Ou peut-être qu’elle est furax en train de raconter ça à toutes ses collègues ? T’imagines, si elle savait que c’est toi… La semaine prochaine y a « Perdu de vue », tu pourras encore appeler…
– Tu crois ? Ça serait de la gourmandise…
Pis maintenant que je vous ai filé le plan, vous pouvez le faire de votre côté… C’est pas dur, il faut juste un peu de courage et beaucoup d’assurance : « Allô, oui… Je l’ai vu ! » Si on vous répond : « Nous aussi on l’a vu ! » c’est que le truc s’est éventé. Ne répondez surtout pas : « Qui ? »
Sources : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées) et le HML des fans de Renaud