UNE « BAFOUILLE » DE RENAUD À M. LE PRÉSIDENT « Le Déserteur », version 1983

LE MONDE |  • Mis à jour le  |CLAUDE FLÉOUTER.

Après avoir longuement voyagé à bord d’une goélette de 14 mètres, entre les Canaries et la Grèce, Renaud revient avec ses chansons en argot, en verlan, avec son mélange de gouaille et de tendresse mêlées, avec son authenticité, son style direct et ses coups de gueule.

Le 17 janvier prochain, Renaud inaugurera la nouvelle salle de spectacle au parc de La Villette. Pour préparer cette rentrée, l’auteur de Laisse béton vient de publier un nouvel album (« Morgane de toi »), où il reprend à sa manière le thème du déserteur, exploité autrefois par Boris Vian :

Monsieur le Président

je vous fais une bafouille

que vous lirez sûrement

si vous avez des couilles.

Je viens de recevoir

un coup d’fil de mes vieux

parce qu’les gendarmes

s’étaient pointés chez eux (…).

J’irai pas en Allemagne

faire le con pendant

[douze mois

dans une caserne infâme

avec des plus cons qu’moi

J’aime pas r’cevoir des ordres

j’aime pas me lever tôt

j’aime pas étrangler] un borgne

plus souvent qu’il ne faut.

Surtout, c’qui m’ déplaît

c’est que j’aime pas la guerre (…)[

« Cette chanson, dit Renaud, est une réaction à ce que je considère comme la plus grande trahison de la gauche. Je n’ai jamais été un emballé du socialisme et je n’ai pas fait de déclaration au moment des élections de mai 1981. Mais j’ai tout de même mis un bulletin dans l’urne : au premier tour, avec le nom de Coluche, au deuxième, avec le nom de Mitterrand. J’avais pas le choix.

« On se sent déjà un peu stupide de voter. Quand les promesses électorales ne sont pas tenues, on a l’impression, comme moi, d’avoir été dupé par les socialistes sur le nucléaire, l’armée et la politique militaire de la France.

« Ma position n’a rien à voir avec le mouvement pacifiste qui fait beaucoup parler de lui en ce moment. Depuis que je fais du bateau, j’ai ouvert les yeux sur un tas de choses et, sans être écolo, je me dis que la vie de mes gosses est entre les mains de Reagan, Andropov, Mitterrand et quelques autres et que ce n’est pas très rassurant. Le déserteur de ma chanson, c’est un glandeur qui refuse l’armée pour des raisons humanitaires. »

CLAUDE FLÉOUTER.

 

Source : Le Monde