Une première liégeoise : la B.D. en musique !

G. S.

La Meuse

21/12/1990

C’est un conte musical écrit (pour les 20 ans de Natacha) par Patrick Dewez, « mis en scène » par François Walthéry, raconté par Georges Pradez et interprété par Renaud et une pléiade de musiciens, dont Toots Thielemans.
Vous avez déjà vu une bande dessinée sans phylactères ? Ou alors une histoire racontée, indissociable de son « accompagnement » à la fois musical et graphique ? Non ? Sachez quand même que tout cela existe désormais. Et grâce à des Liégeois !
C’est Patrick Dewez, un auteur-compositeur-interprète, qui a eu l’idée de l’équation originale « B.D. + C.D. (ou K 7) = C.M.I. », soit conte musical illustré. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, et non de bande dessinée mise en musique. C’est d’ailleurs précisé, en toutes lettres, sur la couverture du bel album cartonné « Mambo à Buenos Aires » : les auteurs ne vendent pas Natacha dans un sac… mais sous cellophane, en compagnie d’un disque compact ou d’une cassette.
Natacha : c’est elle, évidemment, l’héroïne de l’histoire (qui est d’ailleurs aussi un peu une histoire d’héroïne, mais n’anticipons pas…). C’est elle, l’hôtesse de l’air la plus sexy de l’histoire de la bande dessinée « E. A. », sortie tout droit des rêves de François Walthéry… pour entrer illico dans ceux d’innombrables « fans » qui attendent avec impatience, depuis 20 ans déjà (eh oui…), la parution de chacune de ses nouvelles aventures. Les vingt ans de Natacha : c’était une excellente occasion pour sortir des voies habituelles, pour amener un plus. La musique, en l’occurrence. Et QUELLE musique ! Vous verrez, vous qui avez souvent soupiré : « Ah ! si je pouvais danser une fois avec Natacha… » Eh bien, dansez maintenant ! L’occasion vous en est offerte, et à la brésilienne, encore ! Si ce n’est pas un beau cadeau de fin d’année, ça…
Il était une fois un chanteur – guitariste – compositeur – parolier liégeois qui adorait la bande dessinée. Un jour, il se dit : « Mais bon sang, c’est bien sûr : il faut associer la musique à la B.D. ! » Et Patrick Dewez s’en alla trouver, à Cheratte, son ami François, qui a estimé que ce serait « tout à fait dans les goûts de Natacha »…
C’est ainsi qu’a commencé un travail énorme (près de 2 ans et demi !) dont l’aboutissement concret vient d’arriver chez votre libraire préféré – en attendant les disquaires – et qui vous permettra enfin de comprendre le sens exact de l’expression « écoutez voir ». A première vue, il s’agit d’une bande dessinée classique qui joue les sœurs siamoises avec un disque compact ou une cassette. Mais c’est en ouvrant l’album et en mettant en marche votre stéréo que vous vous rendrez compte à quel point ils sont inséparables l’un de l’autre. C’est vraiment une dimension nouvelle offerte aussi bien aux amateurs de B.D. qu’aux mélomanes. A chaque fois qu’on essaie d’écouter sans regarder ou l’inverse, il manque soudain quelque chose ! C’est sans doute la meilleure preuve que la tentative a parfaitement abouti : vous la tenez, votre Natacha « audiovisuelle », merci Patrick, merci François, merci… et là, on a intérêt à prendre une respiration profonde, car la liste est longue et « l’affiche » digne des meilleures maisons d’édition et des scènes les mieux programmées.
Le gotha du jazz belge
Côté musique (puisqu’il est entendu qu’il s’agit d’une sorte de « voyage musical » en Amérique – surtout – latine, où le scénario sert d’itinéraire pour une promenade à travers une grande diversité de styles représentés par des musiciens et chanteurs dont les sensibilités varient autant que les moyens mis en œuvre), il y a, évidemment, tout d’abord Patrick Dewez, compositeur de la plupart des thèmes interprétés. Liégeois, 32 ans, toutes ses dents, huit 45 tours, un album personnel (« Les Eaux des fontaines », 1988), finaliste de feu le Festival de la chanson française de Spa en 1982, il se fait aussi entendre ici comme chanteur dans sa très jolie « Petite Star » tout en prouvant, dans plusieurs parties instrumentales, son talent de guitariste.
Mais pas moins d’une petite trentaine d’autres musiciens ont collaboré à la « bande son » et, parmi eux, plusieurs vedettes à part entière. Il est à signaler qu’aucun n’a hésité à accepter l’invitation de participer à « l’opération Mambo ».
Voyons donc le « générique ». A tout seigneur tout honneur (l’album lui est d’ailleurs dédié…), il y a d’abord Renaud, qui, une fois n’est pas coutume, a accepté d’interpréter une chanson dont il n’est pas l’auteur : c’est « Zénobe », que signe le plus injustement méconnu des guitaristes liégeois, Robert Grahame pour la musique, et Patrick Dewez pour les paroles.
Côté instrumental, le premier coup de projecteur revient à Toots Thielemans, qui joue à vous donner le frisson un air tout en nuances de Dewez (« Plaisir insolite ») avant d’offrir une nouvelle version d’un de ses beaux thèmes d’autrefois, « Marionnette » (le seul, en fait, qui ne soit pas inédit sur le disque). Le grand harmoniciste est accompagné d’une des meilleures sections rythmiques qu’on puisse trouver en Belgique : Michel Herr, Michel Hatzigeorgiou, Bruno Castellucci.
En consultant le reste de la liste des musiciens ayant participé aux séances d’enregistrement, on va de surprise en étonnement : pratiquement tout le gotha du jazz belge y défile (Steve Houben et Charles Loos en tête), tout comme nos meilleurs spécialistes de « latino », avec Stéphane Martini et ses nombreux complices d’ici et d’ailleurs (notamment la flûtiste américaine Ali Ryerson et tout un groupe d’excellents instrumentistes brésiliens bon teint, sans oublier N. Manso, une chanteuse plus connue à Rio que sous nos latitudes). Pour finir – tout en étant loin d’avoir cité tout le monde et, pourtant, tous le mériteraient – un coup de chapeau à Jacques Stotzem, décidément génial, et un clin d’œil à Thierry Crommen, spécialiste de l’harmonica qui « tourne » actuellement avec Michel Fugain. Il joue, ici, du sax ténor.
Ajoutons encore, tout en soulignant l’excellence de la narration de Georges Pradez, aux talents aussi divers que trop peu exploités par nos « décideurs » culturels, que pour une durée totale de plus de 55 minutes d’écoute, il y a près de 23 minutes de musique et chansons, dont quelque 9 minutes d’ « instrumental » ininterrompu en fin de bande, avec les versions intégrales de 3 thèmes.
Qu’il nous soit pardonné de n’en venir à la bande dessinée proprement dite que maintenant mais, tout en insistant sur les mérites graphiques et autres de Walthéry, il faut bien admettre que, pour une fois, ce n’est pas lui qui mène la danse, bien qu’il fournisse, avec son talent habituel, la « charpente » de l’édifice commun en donnant des têtes aux personnages d’une histoire dont l’auteur est Patrick Dewez.
Cette histoire, elle est reproduite sur les pages de gauche de l’album, sur fond de camaïeux de François. Mais si ce texte sert parfois de « béquille » utile pour retrouver le fil de l’action interrompue par l’écoute de la partie musicale (qui déborde nécessairement, dans le temps, sur l’action dessinée), il nous faut l’oublier autant que possible. Sa lecture continue serait comme celle des paroles d’une chanson sans en entendre simultanément la mélodie : on y perdrait une partie du plaisir. Et puis, Pradez lit tellement mieux…
La virtuosité graphique de Walthéry se rappelle à notre bon souvenir, surtout dans les actions mouvementées. Son dynamisme très « cinématographique » fait merveille. Quelques « trouvailles » à souligner : les contours ondulés des cadrages pour signaler les retours en arrière ; les extraordinaires yeux orange de Natacha dans une scène d’hypnotisation, inoubliables… Les couleurs, en général, sont superbes : mais là, les bravos sont à adresser surtout à Ida Volcano.
Pour son coup d’essai, la jeune maison de production liégeoise « Notes en bulles » (fondée par Patrick Dewez lui-même) a frappé un coup de maître : la présentation de l’album aussi bien que la qualité des enregistrements (réalisés dans cinq des meilleurs studios belges, dont le réputé I.P.C.) sont absolument impeccables.
En conclusion : une grande première liégeoise qui est appelée (s’il y a une justice…) à une grande réussite. Hors frontières, on s’y intéresse déjà : sa commercialisation en France débutera probablement en février. Nos infortunés voisins n’auront donc pas l’occasion de (se) l’offrir en cadeau de fin d’année, contrairement à nous, petits veinards que nous sommes.
Bon. Vous êtes prêts ? Alors, à vos écouteurs et… regardez !

 

Source : Site personnel de Patrick Dewez