Une rencontre avec Renaud « Je me suis fait piéger »

Le Monde du Mardi 4 octobre 1988, page 32

Il y a six mois, Renaud a voulu casser une des nouvelles règles du show-biz. En allant d’un extrême à l’autre.

Renaud prépare activement une rentrée au Zénith, qu’il veut magnifique : « Les gens attendent de moi, dit-il, de la mise en scène et un décor. Et celui-ci prendra la forme d’un immense arbre sur les branches duquel se trouveront les musiciens. » Renaud est en pleine forme et va prendre ses quartiers porte de Pantin pour un mois. Avec le plaisir de se retrouver face au public et de se livrer au jeu de l’échange, tant par des libres propos que par les chansons de son nouvel album – Putain de camion, – des titres plus anciens comme Mistral gagnant et peut-être Dans mon HLM, pour lequel Claude Duneton, dans la préface au recueil de ses chansons (1), signale une coincidence rigolotte, une préfiguration par Landragin, un chansonnier de 1880. Celui-ci avait intitulé une complainte Histoire de ma maison et décrivait la même chose, sauf que l’immeuble ne comptait que six étages et qu’au sixième il y avait Clarisse (et non Germaine) pour « construire un monde rempli d’enfants. Et quand le jour se lève, on s’quitte en y croyant. C’est vous dire si on rêvait ! ».

Renaud est impatient. Depuis son premier album, il y a douze ans, il a su garder le ton juste, une authenticité dans une langue qui devient très vite celle de tout le monde. Et le temps s’est arrangé pour multiplier les diverses images du chanteur, donc pour le rendre d’abord «  nature « . Mais les données du show-biz ont, entre-temps, changé. Le Top 50 et le Top 30 ont imposé un pouvoir sans contrepoids. A tel point que même Jean-Jacques  Goldman, champion des ventes d’albums depuis quelques années, en a subi récemment les conséquences : en tournée depuis mai dernier, il a dû annuler quelques dates fin août, son dernier 45 tours ne donnant aucun titre au Top 50. Un autre 45 tours est alors sorti en septembre, et une chanson caracole de nouveau en tête du hit-parade. Les dates annulées il y a trois semaines ont été reconsidérées, et la tournée est repartie avec un potentiel maximal de public.

Renaud est inquiet parce qu’il n’est pas à l’abri de manifestations de ce genre. Juste avant la sortie de son album, au printemps dernier, il a voulu rompre avec les règles de l’industrie musicale qui imposent notamment à l’artiste de faire la promotion tous azimuts de son «  produit « . « Partagé, dit Renaud, entre le ras-le-bol de devoir me justifier dans cent émissions de radio et trente de télévision, et l’envie viscérale de m’exprimer en dehors même de mes complaintes, j’ai eu finalement une trop grande confiance en la capacité de mes chansons à se défendre toutes seules. J’ai refusé les médias. Je me suis fait piéger. Je me suis autobaillonné. D’autant plus que je n’ai pas fait de prouesses au Top 50. Résultat : je me suis aperçu que, dans les régions, des gens qui m’aimaient bien ignoraient la sortie de l’album. Je me suis planté. Je reprends un peu du collier pour dire : voilà, j’ai un spectacle au Zénith. J’ai envie de m’éclater sur scène et de donner du bonheur à ceux qui m’aiment. »

Source : Le HLM des Fans de Renaud et Le Monde