N° 1247
Lundi. Suis allé voir l’ami Bruel au Châtelet, pas dégueu le théâtre, pas mal le spectacle, surtout lorsqu’en seconde partie il attaque les plus connues de Barbara, à savoir L’Aigle noir, Nantes, Göttingen, Dis, quand reviendras-tu ? ou, mieux encore, Ma plus belle histoire d’amour. L’artiste a un succès fou et bien du talent. Mais je me suis permis, à mon corps défendant, de lui piquer un moment la vedette. En effet, lorsque je suis entré dans la salle, j’ai eu droit, de la part de son public, à une ovation suivie d’une standing ovation qui m’a un peu désorienté… Mais pourquoi bouder mon plaisir ?
Mardi. Remise, de la part de Warner-Parlophone d’un disque d’or, d’un de platine, enfin d’un disque de diamant pour plus de 550 000 exemplaires vendus de mon dernier opus… Sympa, mais j’ai plus de place dans mes chiottes pour les y accrocher et d’ailleurs mes murs en sont déjà pleins. Z’en ont filé un aussi (de diamant) à mes deux potes, amis, assistants, sécu, hommes à tout faire, qui me suivent partout depuis plus de deux ans : Bloodi et Pierrot. Le premier, son vrai métier, c’est plombier chauffagiste et, comble du bonheur, il est biker. Il alterne une semaine sur deux avec Pierrot, qui est facteur à Moulins, dans l’Allier. Lui, il n’a pas son permis moto mais il est communiste, à la CGT de La Poste, et j’adore parler avec lui des grèves, de politique, des ripoux du gouvernement et des enflures de droite. On s’entend comme larrons en foire.
Mercredi. Je descends avec Pierrot justement jusqu’à L’Isle-sur-la-Sorgue en voiture, où ma fille m’attend. Nous faisons une halte dans son village de l’Allier, Neuilly-le-Réal, où il habite et où son frère tient une boucherie. J’ai visité les lieux. Deux cents mètres carrés d’étals, de plans de travail, de chambres froides où pendent des carcasses de génisses, de boeufs, de porcs, de veaux, des saucisses, merguez et chipolatas, c’est un endroit qui ne me donne pas particulièrement envie de devenir (pardonnez l’usage de ce nouveau mot en vogue depuis peu), de devenir, donc, spéciste, n’en déplaise à l’ami Aymeric Caron. La boucherie est tenue par son frangin, son père et son grand-père. Trois générations de bouchers-charcutiers. Le soir, au dîner, sa maman, qui travaille aussi dans la boucherie, nous a concocté un roast beef de boeuf à tomber. J’en ai repris trois fois. Du beurre… Avant d’attaquer la musique, la guitare d’un ami. Deux plombes de chansons, de Brassens, de ma pomme et d’Hubert-Félix Thiéfaine, que je découvre et que j’aime un peu plus chaque jour grâce à mon ami Pierrot, qui est un fan absolu du Rimbaud jurassien (ex æquo avec moi dans son hit-parade perso)…
Jeudi. Nous passons par le village de Jaligny-sur-Besbre, où demeurait René Fallet. Je me serais bien arrêté pour embrasser Agathe, sa veuve, mais nous n’avons pas eu le temps. Agathe m’offrit naguère deux ou trois cannes à pêche et une boîte de pêche ayant appartenu à feu son mari. Le plus beau cadeau de ma vie…
La route est longue jusqu’à L’Isle. J’y arrive enfin et retrouve ma fille, ma maison, mon potager bio et ma truffière, qui donne en ce moment de la truffe blanche (Tuber aestivum) à damner un saint. Ma fille, mon amour, se plaît bien dans cette maison, elle met la dernière patte à sa BD, sur laquelle elle travaille depuis cinq ans, une histoire (en noir et blanc) située au Vietnam et qui narre sa rencontre avec une petite fille hmong.
Vendredi. Je me dirige, toujours avec Pierrot, vers Aix-en-Provence, où je dois participer à un Salon du livre, pour trois jours, intitulé « Des livres, des stars ». Il y a là Guy Bedos, Michel Drucker, Laurent Gerra, Éric Naulleau, Enrico Macias, Dave, Estelle Lefébure, Dominique Besnehard et, bien sûr, l’ami Christophe Lambert, qui nous reçoit dans son hôtel (un vrai paradis) sis au coeur de la cité provençale chère à Cézanne. Je signe Comme un enfant perdu et les Chroniques parues dans Charlie Hebdo, et je dois avouer que cela produit, à chaque séance, une mini-émeute, une foule de fans déchaînés qui délaissent, à mon grand désarroi, les tables où d’autres personnalités signent leurs ouvrages…
J’ai été invité à ce festival par une amie de fraîche date, Françoise Smadja, dont je parlerai plus longuement dans ma prochaine chronique de Causette, fin du mois de juin, chronique qui me vaudra, j’imagine, bien des courriers haineux de la part d’antisionistes historiques. Ça laisse présager bien des débats et des insultes en perspective. M’en fous, j’ai la foi avec moi…
Source : Charlie Hebdo