Le 3 décembre 2023 à 06h45 • N° 24655 bis
EXCLUSIF | Nous avons provoqué jeudi 30 novembre les retrouvailles entre Renaud et Vianney, qui ont un émouvant duo en commun et un nouvel album chacun. Près de quarante ans les séparent mais une belle complicité les unit.
On retrouve Renaud et Vianney jeudi 30 novembre au matin, au café-QG du premier, boulevard du Montparnasse, à Paris. Ils arrivent tous deux un disque sous le bras. Renaud avec son nouvel album « Dans mes cordes », sorti le lendemain. Le chanteur de 71 ans y réinterprète treize de ses classiques avec les superbes arrangements des deux quatuors à cordes qui l’accompagnent sur la tournée du même nom — qui revient à Paris quatre fois en décembre et va être prolongée jusqu’à fin 2024 — et offre en bonus quatre titres live qui témoignent de la ferveur qui règne dans ses concerts. Vianney, lui, déboule avec son album de duos, « À 2 à 3 », qui est numéro deux des ventes et disque d’or (50 000 exemplaires) en seulement trois semaines.
Issu de cette riche collection d’inédits, leur touchant duo « Maintenant » est aussi l’un des succès de cette fin d’année. Vianney s’y livre comme jamais et fait chanter Renaud d’une voix qu’on ne lui avait pas entendu depuis longtemps. Dans le clip, il dévoile des images de son album de famille mais aussi des moments complices avec l’interprète de « Mistral gagnant » au bois de Vincennes autour d’une partie de pêche à la ligne. Avec nous, leur discussion va dériver aussi sur la moto — que le père de Vianney et Renaud pratiquent depuis toujours — et sur le permis de conduire. On apprend que Vianney vient de l’avoir… à 32 ans.
Comment est né ce duo ?
VIANNEY. C’est peut-être le seul de l’album sans guitare. J’ai composé la musique au piano et écrit le texte chez moi, avec des trucs que j’avais envie de dire, très intimes, sur le temps qui passe, le présent, l’avenir. Et puis j’ai pensé à un dialogue et je me suis dit que ce serait fabuleux de l’avoir avec quelqu’un qui a vécu à 1000 à l’heure et qui m’a toujours bouleversé : Renaud. Je lui ai proposé en lui disant qu’il pouvait changer tout ce qu’il voulait, évidemment. Et il m’a fait chanter plus haut.
RENAUD. Je n’ai rien changé du tout aux paroles. Même si je préfère vivre vieux que vivre heureux. (II sourit.) On a enregistré en juillet dans ma maison de L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse), j’ai fait les voix dans ma chambre. Une sieste, une glace et j’ai enregistré. J’avais fait les voix de mon album « Métèque » au même endroit. Je préfère enregistrer chez moi qu’en studio, je suis peinard, je n’ai pas de contrainte de temps. J’attends que ma voix soit bonne. Là j’ai fait deux prises de voix, c’est tout, ça s’entend d’ailleurs. (Rires.)
VIANNEY. Renaud avait enregistré la veille une première prise témoin. Il me l’a fait écouter quand je suis arrivé. On était trois dans la pièce avec son pote Titi (le musicien et réalisateur d’albums, Thierry Geoffroy). Entendre le Renard sur ces mots qui me tenaient à cœur, ça m’a fait pleurer. Et cela m’arrive très rarement en studio, parce que je suis très concentré, un peu blindé. Le problème, c’est qu’il est compliqué de chanter après avoir pleuré. J’ai posé une voix témoin, moi aussi, pour que Renaud puisse enregistrer la sienne. Je me suis dit que c’était pourri et je l’ai refaite trente fois, avec trois micros différents, dans mon studio. Et j’ai finalement gardé la première prise… J’étais tellement connecté avec Renaud la première fois, je n’arrivais pas à retrouver cette émotion.
Quand ma femme a été enceinte et qu’elle m’accompagnait sur scène, aux Francofolies, je lui ai chanté En cloque devant tout le monde
Vianney
Vous avez passé du temps chez Renaud ?
VIANNEY. J’ai pris beaucoup de plaisir à vivre ces moments de vie perso, avec son amoureuse, ses amis… La veille de l’enregistrement, jusque tard, on a chanté en mangeant du saucisson avec Gauvain Sers et Bénabar. Leurs chansons, celles de Renaud, les miennes, une de Dick Annegarn… On a fait tourner les guitares comme d’autres font tourner les joints.
Renaud, pourquoi ne pas avoir sorti d’album live de votre tournée ?
RENAUD. Le son n’était pas bon, la voix non plus. Les micros captaient le public, ma voix était perdue dans les cordes. J’ai réenregistré les voix à Paris et près de Nantes, dans la maison où on vit avec Cerise (sa compagne). On a gardé les versions live des chansons où les fans chantaient beaucoup. Mais il devrait y avoir une captation du concert en janvier, à Bruxelles.
Votre voix est en progrès…
RENAUD. À force de chanter sur scène, je suis à une centaine de concerts, elle commence à aller de mieux en mieux. La tournée d’avant, le Phoenix Tour, était catastrophique au niveau vocal. Là. j’ai arrêté la clope depuis huit mois. Et je suis amoureux. (Il lance un regard tendre à Cerise.) Il faut assurer.
Au tout début de la tournée, peu croyaient que vous iriez au bout. Et elle s’allonge de jour en jour, jusqu’à fin 2024…
RENAUD. Pierrot (son assistant) y croyait, moi aussi.
Cela vous rend fier ?
RENAUD. Je ne suis jamais fier, mais je suis heureux. (Il se tourne vers Cerise.) Je l’aime, on est complices. C’est une force, cela me porte. On a acheté une maison ensemble à Trentemoult (près de Nantes), on y vit avec mes beaux-fils, le chat Cajou.
Vous suivez toujours l’actualité?
RENAUD. Beaucoup. Franceinfo, BFMTV. Le conflit au Proche-Orient. Une guerre sans fin, depuis soixante-dix ans, qui va encore durer mille ans, qui me désespère. D’un côté, des terroristes tarés, de l’autre une réponse disproportionnée, 10 000 morts. Beaucoup d’enfants.
Et cela vous inspire des chansons ?
RENAUD. Absolument. J’écris en ce moment, sur l’actualité, les faits divers…
Il paraît que vous écrivez sur Mbappé ?
RENAUD. Je l’adore et j’aime bien lui faire des clins d’œil. Mais je n’écris pas de chanson sur lui. Plutôt sur la ferveur populaire que le foot engendre, plus que tout autre sport, le chauvinisme. Je vais voir des matchs à Nantes, à Lens…
Depuis quand vous connaissez-vous ?
RENAUD. Depuis deux mois. (Rires.) Non, depuis six ans.
VIANNEY. La première rencontre, c’était en juin 2017 au festival les Papillons de nuit. C’était furtif. Mais lors d’un de ses derniers Olympia, après son concert, j’ai pu prendre le temps de lui dire ce que j’avais sur le cœur et combien il a compté dans ma vie. Et on a gardé contact.
C’est une de vos idoles…
VIANNEY. Il fait partie de mon histoire, il m’accompagne depuis l’enfance. À ses concerts, je fais partie des fans qui chantent tout, du début à la fin. Je vis avec une vraie fan, Catherine, qui a des bouquins sur lui, des partitions. Il est important dans notre équilibre de vie. Il y a au moins trois chansons où je le cite, où je promets à ma femme de l’aimer toute la vie et je lui dis :
« Je te chanterai En cloque quand on attendra le petit. » Et quand elle a été enceinte et qu’elle m’accompagnait sur scène, aux Francofolies, je lui ai chanté « En cloque » devant tout le monde.
RENAUD. Je l’ignorais. Je connais moins bien tes chansons que tu ne connais les miennes. Toi tu connais tout par cœur.
Qu’aimez-vous chez Renaud ?
VIANNEY. C’est un phare dans la nuit. Dans l’approche réaliste et le souci permanent de la poésie, le maître, c’est lui. Parfois, quand j’écris et que je n’ai plus d’inspiration, je trouve la lumière dans le noir grâce à des repères comme Renaud. Si tu es perdu, souviens-toi que tu peux créer des belles choses profondes avec des mots simples. Je ne suis pas le seul. Gauvain Sers a le même repère.
Renaud, avez-vous conscience de votre influence ?
RENAUD. Sur les rappeurs, oui. Quand ils me croisent, ils me le disent. Bigflo et Oli, aux NRJ Music Awards, m’avaient lancé « Renaud, t’es une légende ». Cela me touche beaucoup ! MC Solaar aussi, Grand Corps Malade, même si c’est plutôt du slam.
VIANNEY. Booba aussi avait samplé « Mistral gagnant ». Le maître du rap qui sample le maître de la chanson.
Et vous Renaud, qu’aimez-vous chez Vianney ?
RENAUD. Sa simplicité, sa tendresse, sa lucidité, son humilité… Ses textes et ses musiques, indissociables. J’adore sa voix, très aiguë et mélodieuse. Son nouvel album est magnifique. Ses duos avec Jean-Louis Aubert, MC Solaar, Ben Mazué, Ed Sheeran… Il n’y a pas beaucoup de jeunes chanteurs qui font gaffe aux paroles, Gauvain Sers, Damien Saez… On a dîné ensemble avec Saez il y a quelques jours. Des conteurs sociaux, politiques…
Vous parlez de politique ensemble?
RENAUD. Non. On parle de football. Et de musique.
VIANNEY. J’adore le foot et le sport en général. Quand je suis allé chez toi dans le Sud, tu écoutais beaucoup les Cowboys Fringants (groupe québécois).
RENAUD. Je reprends une chanson d’eux sur scène, en ce moment, en hommage à leur chanteur Karl Tremblay (décédé le 15 novembre dernier à 47 ans). J’ai ajouté « Manhattan-Kaboul », que je partage avec le public, qui a vingt ans et qui est toujours d’actualité. Je la fais aujourd’hui avec Noée, une jeune chanteuse que j’aime beaucoup, cela lui permet de faire des télés. J’ai viré « Adieu minette » et « Dans ton sac ».
VIANNEY. T’as viré « Dans ton sac » ! Mais pourquoi ? Je vais lancer une pétition, tu vas voir. (Rires.)
Revenons à votre duo. Il y a beaucoup de phrases que vous auriez pu écrire, Renaud, comme « On veut marquer l’histoire, manger le monde, hanter les mémoires/L’ego s’égare alors on tombe à travers le miroir »…
VIANNEY. La notoriété et l’argent sont les deux poisons potentiels de nos vies d’humains, il ne faut pas oublier d’où on vient, les gens qui nous ont faits. C’est en moi, j’ai des garde-fous, heureusement. En vrai, j’écris des chansons parce que j’aime vraiment les gens, je m’intéresse à eux, j’ai été élevé comme ça. Quand tu es connu et que tu as du succès, tu peux ne traîner qu’avec des gens pour qui tout est facile et t’éloigner de la vie. Ma famille, ce sont des vraies gens. Mon père a commencé à 16 ans, comme beaucoup de gens de ce pays…
RENAUD. Comme moi. J’ai longtemps culpabilisé de gagner de l’argent, des gens de gauche plus que de droite m’accusaient d’être un milliardaire rouge. Maintenant, ce n’est plus moi qui gère. Mais en 1984, je suis parti à L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) pour m’éloigner de Paris, des paparazzis, quand je buvais… Je ne bois plus, ils ont disparu. Restent les fans.
J’ai longtemps culpabilisé de gagner de l’argent, des gens de gauche plus que de droite m’accusaient d’être un milliardaire rouge
Renaud
Ce duo vous donne-t-il envie de retravailler ensemble?
VIANNEY. J’ai déjà eu la chance de partager une chanson avec mon idole, cela veut dire beaucoup pour moi et mes proches. Quand j’aime, je ne compte pas. Mais je ne pose pas des jalons pour une suite.
RENAUD. Moi oui. Je suis de moins en moins compositeur. J’espère sortir un nouvel album avant 2025, où je vais fêter mes 50 ans de chansons et faire une tournée des Zénith. Mais je n’ai que trois chansons, paroles et musiques, au stade de maquettes. Avec cette tournée, on ira jusqu’en décembre 2024. On aura fait 160 dates. Je suis toujours heureux sur scène et dans la vie.
VIANNEY. Moi, c’est l’inverse. Je n’ai plus de tournée et je suis très malheureux. (Rires.) Non, je suis très, très heureux. J’ai fait cet album de duos, j’ai le sentiment de progresser. Je suis au début d’un nouvel album, j’ai des chansons en moi, mais il me faut du temps, il faut que je dorme chez moi. J’ai fait trop de concerts en donnant tout, mes journées et mes nuits. Cette pause est nécessaire. Je ne peux pas tout mener de front, mon métier de réalisateur, d’auteur-compositeur, de mec sur scène, ma vie de papa… Je veux vivre mieux. Mes priorités, c’est ma famille et écrire des chansons.
RENAUD. Ils ont quel âge tes mômes ?
VIANNEY. Ma belle-fille a 12 ans et mon fiston a 2 ans. je lui ai fait son petit biberon ce matin. Jamais je ne pouvais faire ça avant. Je suis content. Pendant quelques années, je ne vais plus tourner. Mais je peux aller voir les copains sur scène, travailler pour d’autres, j’ai six mois de boulot à partir de janvier !