Québec, Le dimanche 24 août 2003
ARTS ET VIE
LIVRES
RENTRÉE LITTÉRAIRE FRANÇAISE
Antoine TANGUAY
Collaboration spéciale
■ La rentrée littéraire française jette de nouveau sur nos rivages les valeurs sûres (Amélie Nothomb, Frédéric Beigbeder, Lydie Salvaire, Bernard Werber), les retours (Dai Sijie. Alice Ferney, Philippe Besson) et quelques curiosités (Philippe Ségur, Didier Goupil, Thierry Séchan, Iégor Gran) susceptibles de surprendre plus d’un lecteur avide de nouvelles voix en provenance de la terre cousine.
D’abord, les incontournables. Difficile, année après année, de passer à côté de la fantasque Amélie Nothomb, qui, dans Antéchrista (Albin Michel), dissèque cette fois la subtile dégradation d’une amitié entre deux lycéennes aux personnalités divergentes. L’une, solitaire, naïve et timide, se nomme Blanche. L’autre, adulée par ses pairs et d’un charme troublant – voire démoniaque —, se nomme Christa. La plus populaire des jeunes auteures française déploie dans ce récit aussi court qu’intense une fine analyse des tourments engendrés par le passage à l’âge adulte et, par la même occasion. s’interroge sur ce qui se dissimule parfois derrière un visage angélique.
Également très attendu, Le Complexe de Di, second roman de Dai Sijie (Gallimard). L’auteur du best-seller Balzac et la Petite Tailleuse chinoise narre y les tribulations d’un psychanalyste chinois exilé en France qui revient dans sa patrie à la recherche de sa bien-aimée, Volcan de la Vieille Lune. Le parcours de ce pèlerin en un sol qui lui est devenu étranger s’annonce comme un nouveau chapitre brillant dans une œuvre romanesque placée sous le signe de la nostalgie et du choc des cultures. À surveiller de très, très près.
L’auteur des Fourmis se révèle quant à lui toujours avide d’explorer de nouvelles sphères de la connaissance. Dans Nos amis les humains (Albin Michel), Bernard Werber y va d’une réflexion sur la valeur du genre humain à travers le dialogue d’un homme et d’une femme encagés quelque part dans l’univers. Moins ésotérique mais non dénué d’une part de mysticisme, Le Messager des sables, d’Antoine Audouard et Léonard Anthony (Robert Laffont), invite le lecteur à remonter le temps. Cette grande aventure qui traverse « les sables du temps » le mènera dans l’Égypte du XVIIIe siècle, sur les traces d’un jeune musicien mystérieux. Divertissement garanti !
Parmi les autres valeurs sûres, mentionnons Philippe Besson (Un garçon d’Italie, Julliard), qui voyait récemment son livre Son frère adapté au cinéma par Patrice Chéreau (La Reine Margot, Intimité), ainsi que Dans la guerre, d’Alice Ferney (Actes Sud), une chronique familiale qui se déroule pendant la tourmente de la Première Guerre mondiale. Les 496 pages de cette œuvre signée par l’auteure de La Conversation amoureuse paraissent néanmoins bien minces à côté du pavé de 1120 pages de Pierre Pelot, C’est ainsi que les hommes vivent (Denoël), qui met en parallèle un récit de sorcellerie au XIIe siècle et celui d’une passion inavouable au XXe siècle.
Aux Éditions de Fallois, Robert Merle met la touche finale à sa saga Fortune de France avec un 13e tome, Le Glaive et les Amours. Au Seuil, on mise sur les succès de Passage à l’ennemie, de Lydie Salvaire (Les Belles âmes, La Compagnie des spectres) et de Jeanne et les siens, de l’essayiste et historien Michel Winock, qui se penche cette fois sur l’histoire de sa famille. Thierry Séchan, que l’on présente souvent comme l’ombre de son frère (le chanteur Renaud), causera certainement tout un émoi avec son premier opus intitulé La Levantine (Du Rocher), un chassé-croisé amoureux… sur île naturiste ! Quand les amants n’ont plus rien à se cacher…
Enfin, on renouera cet automne avec la singulière écriture de Marie Darrieussecq (White.P.O.L) et celle, lyrique à souhait, de Nathalie Rheims (Lumière invisible à mes yeux, Léo Scheer). À moins bien sûr que l’on ne préfère celle, capiteuse et surréelle, de Véronique Ovaldé (Les hommes en général me plaisent beaucoup, Actes Sud). Surveillons également Christian Oster, dont la prose rafraîchissante lui vaut l’intérêt d’un lectorat sans cesse grandissant, qui brosse un truculent portrait des rendez-vous dans un roman du même titre (Minuit).
LE CLUB DES PRIMÉS
On pose souvent cette question aux écrivains dont les œuvres ont été honorées : y a-t-il un lendemain à la gloire, aussi éphémère et ingrate puisse-t-elle se révéler ? Il faut croire que oui, car cet automne sera marqué par le retour de plusieurs écrivains primés. Parmi ceux-ci, on surveillera attentivement Shan Sa, dont La Joueuse de go (prix Goncourt des lycéens) avait séduit un vaste lectorat grâce à son délicat parfum d’Orient, et qui publie chez Albin Michel Impératrice, l’histoire, au VIIe siècle, de la première femme qui fonda une dynastie en Chine.
Service clientèle, le nouvel opus de Benoît Duteurtre (Médicis 2001 pour Le Voyage en France) démontre l’absurdité de la technologie moderne à travers les déboires d’un homme qui égare son téléphone cellulaire. Yann Apperry (Médicis 2000 pour Diabolus in Musica), revient chez Grasset avec Farrago, le périple d’un antihéros paumé dans l’Amérique profonde des années 70. Inconnu jusqu’à ce qu’on lui attribue le prix Culture et Dépendances pour son excellent Métaphysique du chien, Philippe Ségur signe Autoportrait à l’ouvre-boite (Buchet-Chastel), ou la lettre d’adieu d’un jeune homme suicidaire. Après La Bataille (prix Goncourt 1997) et Il neigeait, Patrick Rambaud met quant à lui la touche à sa trilogie impériale avec L’Absent (Grasset).
11 SEPTEMBRE
En guise de conclusion, signalons que deux ans après le terrible « jour qui a changé le siècle » et fait basculer la planète dans un état de méfiance constante, trois écrivains de l’Hexagone traitent du 11 septembre dans leurs œuvres. Ainsi, le très coloré Frédéric Beigbeder imagine, dans Windows on the World (Grasset), ce qu’ont vécu les gens restés prisonniers, entre 8h30 et 10h29, du 107e étage de la tour nord du World Trade Center. Luc Lang, dont le dernier roman Les Indiens était (malheureusement) sorti ce même jour fatidique, dresse le portrait privilégié d’une Amérique blessée dans 11 septembre mon amour (Stock). Enfin, Didier Goupil donne libre cours aux tourments d’un survivant de la catastrophe, qui doit vivre avec le bruit incessant des téléphones portables des victimes (Le Jour de mon retour sur terre — Le Serpent à plumes). Voilà que le roman prend le relais des essais qui ont essayé de faire sens de ce matin d’horreur. Est-ce que nos voisins du sud auront le même courage ?
Source : Le Soleil