Y a d’la joie !

Charlie Hebdo

N° 173, 11 octobre 1995

Ils sont contents les gendarmes. Ils sont passés directement du relevé d’empreintes digitales à la peine de mort. On va pas s’embarrasser avec une procédure longue et coûteuse. On a passé des années d’entraînement et d’exercices à apprendre comment neutraliser un individu armé et dangereux, on a des tireurs d’élite capables de loger une balle à deux cents mètres dans une pièce de vingt sous, on a des grenades lacrymo, des paralysantes et des suffocantes, mais tout ça c’est de la théorie… Quand un individu arabe, armé et poseur de bombes se permet après les sommations de défourailler son calibre, excusez-moi mais le réflexe (et le plaisir) c’est quand même de le tuer le plus possible. Pis des fois que dix bastos suffi­raient pas y a heureusement toujours un collègue un peu plus perfectionniste que les autres pour crier « Finis-le ! Finis-le ! C’est bon, j’te dis ! C’est de la légitime défense ! » Et hop ! une petite dernière en pleine tête, juste pour la route…

Ils sont contents les Noirs américains. Leur « frère » O. J. Simpson a été acquitté. Grande victoire sur la justice raciste… Bon, pas cons quand même, la majorité d’entre eux doit bien penser que le champion a vraiment trucidé sa femme et l’amant de celle-ci, mais le problème n’est pas là. À cause de la médiatisation du procès l’assassin a été éclipsé par la vedette, la vedette par sa couleur. La police et la jus­tice, en s’acharnant sur un Noir présumé coupable, s’achar­naient alors sur tous les Noirs. Je souhaite aux voleurs de pommes des ghettos qui se réjouissent aujourd’hui autant d’indulgence de la part du tribunal qui les jugera demain… O. J. Simpson, lui, sous les palmiers de sa paisible retraite, doit être infiniment touché de ce témoignage de solidarité raciale. Ses « frères » ont juste oublié un détail : Lui il n’est pas noir. Pas blanc non plus d’ailleurs. Lui, sa race, c’est « riche et célèbre ».

Y a d’la joie chez les intégristes cathos-FN. Ils ont chanté Alléluia Alléluia! après avoir cassé la gueule à Philippe Val. Pourquoi nous on ne casse jamais la gueule à nos ennemis ? Pourquoi ces haineux, ces teigneux, ces tenants de l’ordre et de la morale se permettent-ils cette violence que nous nous refusons d’employer à leur encontre ? Parce qu’ils ont Dieu avec eux? Penses-tu ! Parce qu’ils sont faibles. Un esprit faible dans un corps musclé (et sous un crâne rasé) ça donne sou­vent un tortionnaire. Je préfère nettement un esprit musclé dans un corps faible, ça donne un écrivain. T’en fais pas, Phi­lippe, tu peux encore écrire et raisonner avec deux molaires en moins. N’en veux pas trop à ceux qui te les ont si coura­geusement arrachées à coup de Doc Martens, ils n’ont que ça à opposer à tes idées. Dans leur bouche à eux pas de mots, y a pas la place, ils ont des molaires en trop.

  

Source : Chroniques de Renaud parues dans Charlie Hebdo (et celles qu’on a oubliées)