Zep: « Renaud est vraiment un personnage de bande dessinée »

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Jérôme Lachasse
La couverture du nouvel album de Renaud par Zep – Warner Music

Le dessinateur de Titeuf illustre le nouvel album de Renaud, Les Mômes et les enfants d’abord, qui sort ce vendredi 29 novembre. Rencontre.

Zep et Renaud étaient faits pour se rencontrer. Tous deux ont croqué l’enfance, le premier avec ses chansons, le second avec ses dessins. Loin de la vision idéalisée du Petit Nicolas, les deux artistes ont tout au long de leur carrière livré des récits sur l’enfance, tendres mais pas édulcorés.

Le dessinateur de Titeuf illustre le nouvel album du chanteur, Les Mômes et les enfants d’abord, qui sort ce vendredi 29 novembre et propose douze chansons inédites. Il a livré quatre-vingt dessins, dont une couverture qui reprend Le Radeau de la Méduse. Toujours debout, Renaud y apparaît fidèle à lui-même, en santiags et en jean. Zep, qui possède une large collection de guitares et a fait partie de plusieurs groupes, raconte pour BFMTV les coulisses de sa collaboration avec Renaud.

La couverture du nouvel album de Renaud, réalisée par Zep. © Warner Music

En 2015 vous dessiniez Renaud sur votre blog What a Wonderful World. Vous écriviez: « Renaud me manque. J’aimerais qu’il revienne. Juste pour un tour. » Et maintenant vous illustrez son nouvel album. Comment est née cette collaboration?

Je ne suis pas sûr qu’il ait lu ce post sur mon blog. Il m’a appelé en mai-juin 2018. Il m’a laissé un message sur mon répondeur en se présentant: « Bonjour, c’est Renaud le chanteur. » Il me disait qu’il préparait un nouvel album et qu’il aimerait que je fasse les dessins. Je l’ai rencontré à L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse). Il m’avait envoyé quelques chansons et m’avait expliqué son concept: faire des chansons sur l’enfance. Au début, il l’avait vraiment envisagé comme un album pour enfants. À l’arrivée, il ne l’appelle plus comme ça, même si Renaud est aussi beaucoup écouté par les enfants. 

De quoi avez-vous parlé lors de cette rencontre?

Je lui ai proposé de faire un personnage qui serait lui enfant. Je suis allé le voir avec quelques croquis et on s’est mis d’accord. Puis je n’ai plus eu de nouvelles pendant des mois et des mois. C’est quelqu’un qui a des hauts et des bas – et quand il a des bas, ça peut être très bas. Je me suis dit que le projet avait dû être mis de côté. Le projet était déjà très avancé quand j’avais été contacté: j’avais déjà entendu une quinzaine de maquettes. Tout s’est remis en place cet été. Ils ont attendu que l’album soit entièrement bouclé et on s’est recontacté le 31 juillet ou le 1er août. Il fallait que tout soit terminé pour septembre! J’ai fait tous les dessins entre le 1er août et le 15 septembre.

Les dessins de Zep pour l’album de Renaud © BFMTV

Combien de dessins avez-vous réalisé? 

On doit être aux alentours de quatre-vingt dessins. L’objet principal est un CD-livre de 60 pages où toutes les chansons sont illustrées. Comme chaque chanson est une petite histoire dans laquelle le narrateur est Renaud enfant, ça se prêtait bien à faire un livre illustré. J’ai aussi fait une maquette qui ressemble à une bande dessinée ancienne, avec un dos rouge, comme les vieux albums du Lombard, et des pages de garde avec des petits Renaud. Ça lui plaisait bien. C’est un grand collectionneur de BD.

Renaud est-il facile à dessiner?

C’est un excellent personnage. Il est facilement transposable. Il est presque comme Titeuf: il est tout de suite reconnaissable. On peut le dessiner en renard, en petite souris, en tortue, en n’importe quoi… On reconnaît que c’est Renaud, parce qu’il suffit d’ajouter une marinière et un foulard rouge. Il y a une signature parfaite. Depuis ses débuts, il a adopté une manière d’être, de parler et de s’habiller sur scène que l’on retrouve au fil des années: c’est vraiment un personnage de bande dessinée. Il en a d’ailleurs été un. C’est lui qui a lancé les éditions Delcourt avec La Bande à Renaud, qui a été un énorme succès. Je trouve que son personnage de papier fonctionne bien. Je me suis bien amusé à le faire évoluer. Je pense qu’il fera sûrement une apparition dans le prochain Titeuf.

Vous aviez des consignes ou vous avez eu carte blanche?

J’avais carte blanche. Après, je lui ai montré tout ce que j’avais fait. Parfois, j’avais deux ou trois idées sur une chanson, donc je lui demandais de choisir celle qu’il préférait. C’était assez évident, parce que les chansons sont assez narratives. Il m’a dit que ça lui ferait plaisir que Titeuf apparaisse une fois ou deux pour discuter avec son personnage. Ce que j’ai fait. Pour la couverture, j’ai fait plein de projets pour qu’il choisisse. Cette couverture est un mix entre Le Radeau de la Méduse et Les Copains d’abord.

Quelles étaient les autres idées de couverture?

Il y en avait où le personnage était le Renaud enfant. Mais il a préféré être Renaud adulte sur la couverture. Quand on ouvre l’album, il y a un premier dessin où Renaud adulte fait face à Renaud enfant. Il lui explique le concept de l’album. C’est une sorte de voyage dans le temps. En découvrant le titre, Les Mômes et les enfants d’abord, j’ai tout de suite pensé à un naufrage et j’ai dessiné ce petit radeau en reprenant un peu la configuration du Radeau de la Méduse avec des personnages enfantins. 

Les couleurs sont très vives, très claires. Comment les avez-vous choisies? 

Ce sont mes couleurs. J’aime bien ces tons, avoir un beau bleu cyan, du violet. Ce sont aussi des couleurs qui vont bien à Renaud, je trouve. C’est la manière dont il s’habille aussi: il est en jean, en santiags. J’avais envie que ce soit très coloré, très lumineux. J’avais envie de garder cette première idée qu’il faisait un album pour les enfants.

C’est un album sur l’enfance qui n’est pas forcément adressé aux enfants. C’est aussi ce que vous faites avec Titeuf

C’est sans doute pour ça que Renaud m’a demandé d’être là. On n’a pas une vision innocente et édulcorée de l’enfance. On raconte des choses assez transgressives par moments. Renaud aime bien utiliser des gros mots. Il n’entre pas dans le cadre de la chanson pour enfants. Il y a sans doute des parents qui vont trouver ça choquant, mais on sait – et je l’ai constaté avec mes propres enfants – que les enfants se jettent sur les albums de Renaud. Cet aspect transgressif les fait marrer. Renaud ajoute des trucs un peu polissons, un peu grossiers, mais toujours avec une écriture ciselée.

Comment s’est déroulée la réalisation du clip Les Animals

On m’a appelé mi-août pour me prévenir qu’il y avait un projet de clip. Faire un clip d’animation de quatre minutes en deux semaines, ce n’est pas possible normalement. Je leur ai dit qu’un gars pouvait le faire: Gark, qui est pour moi un des meilleurs réalisateurs d’animation en France et a signé la dernière saison de Titeuf. On se connaît depuis vingt-cinq ans. Il était très heureux de nous rejoindre et de pouvoir rencontrer Renaud. Ça s’y prête, parce que c’est Renaud. Tout le monde a envie de faire quelque chose avec lui. Gark a réalisé 78 épisodes de Titeuf et il maîtrise donc assez bien mon dessin. Le clip a été fait en un rien de temps. Je pense même qu’il a réutilisé quelques décors de Titeuf pour gagner du temps! Et il m’a fait la surprise de me dessiner avec Titeuf sur une mob.

Renaud y apparaît aussi en phénix…

On a réutilisé un dessin qui avait été réalisé pour sa tournée. Je comprends qu’il soit attaché à ce personnage, ça le symbolise assez bien. Il a été enterré tellement de fois, Renaud, et à chaque fois il revient. C’est assez incroyable. Quoi qu’on dise, il a une santé folle. Soumis à ce régime-là, je serais mort depuis longtemps.

Vous l’avez vu récemment?

On s’est vu la semaine dernière. Il va mieux, je trouve. Ça remonte. Je l’ai vu deux fois pendant l’album à une année d’écart. Je trouve qu’il allait bien mieux cette fois que l’année d’avant. Je souhaite qu’il remonte une fois pour toute, qu’il ne redescende plus. C’est quelqu’un qui se bat avec des démons et des choses que l’on ne comprend pas tellement.

La liste des musiciens avec lesquels vous avez collaboré est impressionnante: Johnny Hallyday, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman, Alain Souchon… Comment ont eu lieu ces rencontres?

J’avais contacté Johnny pour qu’il apparaisse dans le film Titeuf et chante une chanson. Il a été plus difficile à dessiner que Renaud. Johnny a changé de looks et de visages plusieurs fois dans sa vie. Goldman a fait appel à moi, parce qu’il avait vu mes carnets de croquis. Généralement, ce sont des gens avec qui ça a un sens que je fasse des dessins. C’est ce qui s’est produit avec Renaud. Il y avait une évidence. Mais ce n’est pas toujours le cas: il peut y avoir des artistes dont on aime le travail et on n’arrive pas à trouver un angle d’attaque.

Ce fut le cas pour Bob Dylan et Henri Dès?

J’ai été contacté par Columbia pour faire la couverture de l’édition française de Together Through Life de Bob Dylan. Autant vous dire que je planais à dix mètres au-dessus du sol. Le manager de Dylan est passé par Paris quinze jours avant la sortie de l’album pour regarder la promo. Il voit ma couverture et il est horrifié. Ils ont fait détruire toutes les couvertures. Il me semble qu’ils ont refait une édition avec Gradimir Smudja, qui est superbe. Je me suis pris un vent énorme sur ce coup-là (rires). Ça ne marche pas à chaque fois.

Et Henri Dès?

On se connaît depuis longtemps. J’ai même joué avec son fils il y a très longtemps. C’était assez chouette. C’est une institution. Depuis ses débuts, c’est Etienne Delessert, un illustrateur jeunesse, qui dessine ses couvertures. Quand Henri m’a demandé d’en faire une, je lui ai dit que ça pourrait être bizarre, car il « appartient » à Étienne Delessert. Il m’a dit qu’il avait envie de changer et Étienne Delessert est entré dans une colère incroyable. Depuis, il ne m’adresse plus la parole, ni à Henri. Il y a des histoires comme ça. Le milieu de la musique est assez particulier.

Vous êtes aussi monté sur scène avec Jean-Jacques Goldman.

Deux fois. J’ai joué avec lui à l’époque où j’avais fait les dessins de son album [Chansons pour les pieds, en 2001, NDLR]. C’était sa dernière tournée. Ça m’avait surpris. Il m’avait prévenu la veille. J’avais déjà joué plusieurs fois sur scène, mais jamais devant 10.000 personnes, dans des conditions comme ça, et avec Jean-Jacques Goldman. On a fait deux duos. C’était génial. 

C’est un peu le moment où vous vous êtes approché de votre rêve de devenir le nouveau Jimmy Page…

(Rires). J’en suis encore assez loin. J’ai renoncé à cette idée depuis longtemps. Ça me convient assez bien d’être derrière un personnage de papier. La scène, ce n’est pas du tout pour moi. Ça doit être génial si on est fait pour ça… Je serais malade de tract et je n’ai pas du tout le charisme. Heureusement, j’ai créé des personnages beaucoup plus charismatiques que moi. 

Quels sont vos projets?

Je suis en train d’écrire un album de Titeuf, un album réaliste pour Rue de Sèvres et un autre projet un peu autobiographique, sur lequel je travaille depuis plusieurs mois. Tout est encore embryonnaire. Je ne sais pas ce qui va arriver en premier. C’est la première fois que ça m’arrive en dix ans. Il y a dix ans, ça me plongeait dans des abîmes de dépression. Aujourd’hui, ça va. Je profite un peu, je laisse venir.

Jérôme Lachasse

 

Source : BFMTV