Montréal, jeudi 30 septembre 1993
PERSPECTIVES
Le lancement du film Germinal dans 350 salles, a déclenché hier un curieux parfum de nostalgie en France
Christian Rioux
CORRESPONDANT DU DEVOIR À PARIS
Il y avait les vedettes du film: Gérard Depardieu, Miou-Miou et bien sûr le chanteur Renaud. Il y avait le député socialiste de Lille, l’ancien premier ministre Pierre Mauroy. Il y avait le TGV qui reliait pour la première fois Paris à Lille en une heure. Il y avait enfin le président Mitterrand en personne suivi de son fidèle Jack Lang venus en voiture d’apparat saluer le peuple de gauche réuni pour l’avant-première de Germinal, le film produit et réalisé par Claude Berri.
Pour le lancement d’Agaguk, on avait envahi un village de l’Arctique québécois et fait peur aux caribous. Pour celui de cette épopée ouvrière adaptée du roman d’Émile Zola, Renaud — dont c’est le premier grand rôle au cinéma — est allé au charbon dans la mine d’Arenberg boire de la bière avec des mineurs aux mains calleuses. Le tout Paris a pris d’assaut Lille, ville industrielle du Nord. On a aussi mobilisé les syndicats de gueules noires dont plusieurs milliers, aujourd’hui chômeurs, font de la figuration dans le film le plus cher jamais produit en France (40 millions $ dont quatre uniquement pour les décors).
Le lancement de Germinal mercredi, jour anniversaire de la mort de Zola, est le couronnement d’une stratégie médiatique soigneusement orchestrée. Depuis plusieurs jours, les publicitaires multiplient les premières. Une pour les mineurs dans la capitale du syndicalisme industriel. Une autre en banlieue de Toulon dans les 12 nouvelles salles de Jérôme Seydoux, un important actionnaire de Renn Production, la compagnie de Claude Berri.
À la télévision et dans les magazines, on ne voit plus que des gueules misérables couvertes de sueur et de suie. Renaud additionne les déclarations sur «la révolution à refaire» et les magazines font leurs choux gras de ses révélations sur le «tyrannique» Claude Berri.
54 % des Français estiment que les choses n’ont pas vraiment changé depuis Germinal
Les éditeurs ont tous prévu des rééditions et les ventes de Zola en librairies dépassent de loin celles des
candidats au Goncourt. On compte en tout 18 livres, pour jeunes et vieux, qui rappellent l’épopée des habitants des corons ou qui racontent le tournage du film.
La campagne avait commencé il y a trois semaines à la Fête de l’Humanité dans la banlieue ouvrière de La Courneuve. Les participants, en nombre décroissant chaque année, eurent droit en primeur à des extraits du film. Le président du Parti communistes, Georges Marchais, 73 ans, était absent pour la première fois depuis 1947, mais Gérard Depardieu, Claude Berri et Renaud entonnèrent l’Internationale sous la pluie et |es applaudissements.
Le mythe d’Etienne Lantier, le héros de Germinal, reste intact dans le cœur d’une partie de la France qui s’enorgueillit d’avoir un président capable de citer de mémoire tous les titres de Zola. À un récent sondage de l’émission Sept sur sept qui recevait Renaud, 54% des Français répondaient que, malgré les progrès du XXe siècle, les choses n’avaient pas changé en profondeur depuis Germinal.
Claude Berri expliquait quant à lui sur France Inter qu’il songeait sérieusement à reprendre sa carte du Parti communiste (qui se meurt dans les sondages autour de 5%). «Je suis un fils de mineur dont le père ne voulait pas qu’il aille à la mine. Chez nous, on votait communiste. Je ne fais pas de politique depuis 30 ans, mais je reprendrai peut-être ma carte du parti. Après tout, le Parti communiste est le seul qui défende la classe ouvrière».
Ce concert nostalgique laisse pourtant entendre des notes discordantes. «Le film Germinal est une catastrophe pour l’image de marque du Nord», dit Bruno Bonduelle, président de l’Agence pour la promotion industrielle de la métropole Nord.
Les vedettes de Germinal furent accueillies à Lille par des manifestants dénonçant les 250 licenciements de la société Bull, à Villeneuve-d’Ascq. Dans ce plat pays, la dernière mine a fermé en 1991. Puis ce fut les textiles et la sidérurgie. Le champion du chômage en France craint de se voir transformé en musée de la mine au moment où il tente de se convertir dans les technologies de pointe. On pense d’ailleurs récupérer les décors du film pour en faire… un musée.
Misant sur l’effet d’entraînement de cette énorme campagne médiatique, le distributeur CFP sortira le film à Montréal le 15 octobre avec Claude Berri, Renaud et Miou-Miou. Son représentant de passage à Paris, Christian Larouche, s’attend à un succès supérieur à celui d’Indochine, qui avait rapporté 1,3 million$ au Québec.
En France, 5 millions de spectateurs devront acheter leur billet avant que la production n’enregistre le premier dollar de profit. Défi d’autant plus grand que les critiques parisiens ont matraqué le film, le qualifiant de film «langue de bois» (Le Parisien) et «à teinture soviétique» (Libération). Chacun y allant de jeux de mots plus caustiques les uns que les autres: de «Germinator» à «Germinable» en passant par «Germinal Park».
Pour ceux-là, Claude Berri n’a eu qu’une réponse: «Je vais faire descendre 3000 mineurs dans la rue. Ils vont voir!»
Source : Le Devoir