1990 (humour et dessins)

Avec la participation de nombreux auteurs et dessinateurs (dont Renaud !), publié par Marsu Productions :

Ce livre fut présenté pour la première fois à François Walthéry (créateur et dessinateur de la série de bande dessinée Natacha) lors d’une soirée surprise tenue le 24 février 1990 pour célébrer les 20 ans de Natacha. En effet, Natacha est « née » le 26 février 1970 en faisait sa première apparition dans le journal de Spirou no 1663. Renaud étant un grand ami de François Walthéry, il écrivit et dessina la préface ainsi que la postface du livre ! Celles-ci peuvent être lues en cliquant ici et ici

Voici un reportage sur ce livre « Natacha Nostalgia » (spécial 20e anniversaire) diffusé dans le Journal Télévisé (JT) sur RTBF le 25 février 1990 :

Et voici un reportage diffusé dans le journal télévisé « Le 19 heures » sur RTL TVI le 3 mars 1990. À noter la sortie de scène humoristique de Renaud accompagné de Natacha elle-même !

Un livre de Pierre Desproges, avec parution posthume puisqu’il est décédé le 18 avril 1988. Publié aux Éditions du Seuil :

Renaud étant un grand ami de Pierre Desproges (vous pourrez lire une lettre d’ « amour » de Pierre Desproges à Renaud en cliquant ici !), c’est lui qui a trouvé le titre du livre (« Fonds de tiroir »). Renaud a également écrit la préface du livre, pleine d’humour évidemment ! 

Pierre Desproges fut un des premiers à m’initier aux joies du golf. En échange, je lui avais promis de l’emmener un jour à la pêche. C’est raté. Les brochets ont eu du bol… Le bougre eût été capable de m’en sortir un de huit livres au premier lancer. J’ai bien fait un « trou-en-un » moi… 

Il m’avait convaincu qu’on pouvait trouver certaines satisfactions à taper sur une pauvre petite boule de quatre centimètres de diamètre à l’aide d’un objet contondant de forme bizarre, genre béquille, objet tiré d’un gros sac bien lourd porté par un ami silencieux, admiratif et à bout de souffle, et que la difficulté majeure de ce geste élégant était d’éviter de taper dans la grosse boule de douze mille kilomètres de diamètre posée sous la petite.

Souvent il m’affirmait qu’à certaines heures sur certains greens il y avait une si faible proportion d’êtres humains par rapport au reste de la planète que le taux d’imbéciles au mètre carré devenait presque supportable. De mon côté, quoique je déplorasse que les « hordes populacières » fussent, pour des raisons économiques, privées de ce noble sport, j’assumais, avec lunettes noires, cagoule et nom d’emprunt le réel plaisir de marcher près de lui sur le gazon tendre à la recherche de la petite balle perdue. Le mépris du con-de-riche me regardant jouer m’affectait à peu près aussi peu que l’ironie du con-de-pauvre croisé plus tard au bistrot du coin, mes clubs sous le bras.

C’est à dire à peine quelques semaines…

Cela le faisait beaucoup rire… Un peu comme lorsque, ayant craqué sur sa belle et grosse Mercedes, je lui fis remarquer que mon éducation marxisto-huguenote m’interdisait à jamais de m’offrir un tel véhicule quand bien même pourrais-je acheter l’usine.
Aujourd’hui je roule en Cadillac et vais peut-être me mettre au polo…

Mais je m’égare…

N’allez pas, je vous prie, prendre ce préambule anecdotique pour une façon dissimulée de clamer : « Moi j’étais pote avec Desproges tralalèreu, la preuve : on partageait les mêmes trous ! » Quoique… Vous savez comme moi que l’on tombe facilement dans ce travers consistant à oublier le nom de famille de ceux que nous aimions pour ne plus parler d’eux, disparus, qu’à grands renforts de « mon ami Pierre… Michel me disait que…, et ce brave Georges, etc. ». Ceci afin de faire accroire que nous étions des proches et qu’ils nous aimaient en retour. Mais quitte à être soupçonné d’y tomber le premier, je ne vois pas en vertu de quelle pudeur injustifié j’irais cacher l’immense bonheur que j’ai éprouvé ces dernières années, et aujourd’hui encore, à avoir été l’ami de Pierre.

– de Pierre ?…
– Desproges, enfin ! Suivez !
– Ah oui…

Mais je suis injuste. Peut-être ce travers est-il avant tout une façon maladroite de dire : « Si j’avais su que je l’aimais tant je l’aurais aimé davantage. » Quoi qu’il en soit, si Desproges reste plus que jamais vivant (les étoiles, même éteintes, continuent parfois de briller pour des siècles*) [*Putain c’est beau ! On dirait du Frédéric Mitterrand], Pierre lui, pour quelques-uns, nous a bel et bien quitté. Et c’est très chiant (sauf peut-être pour les brochets, je sais je l’ai déjà dit…). Mais, tout bien réfléchi, ayant aimé l’homme autant que l’artiste (et puis son épouse et ses chiens, sa Mercedes et ses filles et son vin), je continuerai donc à l’appeler Pierre Desproges.

Il est malgré tout étonnant de constater au passage qu’il n’est pas toujours de bon ton d’appeler les morts par leur petit nom. Ainsi Ceausescu liquidé (et je suis poli), n’entendîmes-nous quasiment personne, fût-ce par snobisme, parler de « son ami Nicolae ». Pareil pour Khomeyni, Hitler ou Staline. Même Christine Ockrent qui est sûrement aussi incapable que moi de vous donner le prénom de l’Imam disparu, même Le Pen ou Marchais, quelles qu’aient pu être leurs relations avec Adolf ou Joseph, ne s’aventurent pas à de telles familiarités. Les journalistes préféreront toujours appeler le « tyran sanguinaire » celui que huit jours plus tôt ils appelaient le « président Ceausescu ». Quant aux hommes politiques, de toute façon, ils ne nous parlent plus que de De Gaulle. Pierre Desproges d’ailleurs, s’il avait écrit que « tous les imbéciles s’appellent François », ce qui me mettait en rogne, n’était, lui non plus, pas insensible aux charmes de Charles. Ce qui m’agaçait prodigieusement.

Vous ai-je dit que Pierre Desproges prenait parfois un malin plaisir à m’agacer prodigieusement ? Un jour il écrivit un éloge de la tomate et, une jubilation sans pareil illuminant son visage poupin, il se mit en devoir de me lire à haut et intelligible voix ce merveilleux petit texte. Le félon connaissait mon aversion, que dis-je, ma haine farouche pour ce légume ignoble aux senteurs déplacées, à la texture veule et à la robe brillant d’un rouge sournois-limite stalinien. J’eus beau chercher dans l’endive aux blancheurs délicates des vertus comparables, voire supérieures à celles qu’il attribuait si généreusement à sa tomate de merde, je dus bien vite m’avouer vaincu. Le soir même je croqua dans une tomate et je vomissa.

Mais je digresse…

Revenons à nos prénoms car je me demande soudainement comment ceux qui me détestent aujourd’hui m’appelleront demain (si d’aventure le rhume que je traîne s’avérait bien être le cancer du nez que je redoute) : Nono ? l’Asticot ? Monsieur Séchan ? le Verlaine du Verlan ? Bah… Qu’importe ! J’aurai, je suppose, d’autres chats à fouetter. S’il y a là-haut des rivières, des terrains de golf et des bistrots où retrouver Desproges et Vialatte, Brassens et Fallet, Coluche et Reiser, l’éternité promet d’être douce… Même si, pendant ce temps, ma jolie veuve fouille dans mes tiroirs à la recherche de trésors qui n’existent pas.

Et c’est là que je voulais en venir…

Hélène Desproges a eu cette lumineuse et légitime idée, et, pour notre plus grand bonheur, les fonds de tiroir de l’ami Pierrot recelaient des trésors qu’il eut été dommage, voire injuste de ne pas nous livrer, classés ainsi par ordre alphabétique, parce qu’il aimait bien quand c’était bien rangé…

Te souviens-tu, Hélène, lorsque, il y a quelques mois, vivante chanson de Brassens, buvant chez vous son bordeaux 61 en te caressant négligemment et en papotant avec les chiens, ou le contraire plutôt, tu me fit part de ce projet ? Je te répondis, badin, que tu n’aurais qu’à appeler ça « Fonds de Tiroir » afin de couper court aux critiques éventuelles des esprits grincheux et de préciser l’origine de ces écrits. Aurais-je pu imaginer, à l’époque, que ces tiroirs s’avéraient être de tels écrins quand tant d’ouvrages de dessus de table mériteraient juste d’en caler les pieds ?

Aussi, outre l’indicible honneur que tu m’accordes en me proposant de préfacer le « dernier (hélas !) Desproges », je ne te cacherai pas que j’éprouve, ce soir, et si je dis « ce soir » c’est juste pour faire joli car midi sonne à ma montre (ou sonnent à ma montre, s’il était là, le bougre, il me conseillerait), j’éprouve, disais-je, l’inconfortable sentiment d’avoir fait preuve d’une audace à la limite de la prétention en ayant accepté de confier à ma frêle et malhabile plume l’insigne mission de rendre à la sienne, flamboyante et acidulée, l’hommage qu’elle mérite, si je veux je fais des phrases encore plus longues…

Fort heureusement, la certitude que d’aucuns partagent ce sentiment m’énerve suffisamment pour que, nonobstant cette modestie naturelle et cette humilité, dont je me demande moi-même parfois si elle est feinte ou non, je m’attelle aussitôt à la tâche, si ce n’est avec talent, du moins avec cœur, et à défaut d’avoir la garantie de voir cette préface agréée par le club des amis de Monsieur Cyclopède, du moins avec l’ambition que se dessine, à sa lecture, un sourire de satisfaction sous tes lunettes Hélène. Car Hélène a des lunettes mais elle est jolie quand même…

Renaud