N° 12874, 10 janvier 1986
En Angleterre aussi, les chanteurs ne mâchent pas leurs maux
« Femme je t’aime parce que tu vas pas mourir à la guerre… » | |
Femmes du monde ou bien putains Qui, bien souvent, êtes les mêmes Femmes normales, stars ou boudins Femelles en tout genre, je vous aimeMême à la dernière des connes Je veux dédier ces quelques vers Issus de mon dégoût des hommes Et de leur morale guerrièreCar aucune femme sur la planète N’s’ra jamais plus con que son frère Ni plus fière ni plus malhonnête A part, peut-être, Madame ThatcherFemme je t’aime parce que Lorsque le sport devient la guerre Y’a pas de gonzesses, ou si peu Dans les hordes des supportersCes fanatiques fous furieux Abreuvés de haine et de bière Déifiant les crétins en bleu Insultant les salauds en vertY’a pas de gonzesse hooligan Imbéciles et meurtrière Y’en a pas, même en Grande-Bretagne A part, bien sûr, Madame ThatcherFemme je t’aime parce que Une bagnole entre les pognes Tu n’deviens pas aussi con que Ces pauvres tarés qui se cognent Pour un phare un peu amoché Le bras d’honneur de ces cons-là |
Femme je t’aime parce que Tu vas pas mourir à la guerre Parce’ que la vue d’une arme à feu Fait pas frissonner tes ovairesParc’que dans les rangs des chasseurs Qui dégomment la tourterelle Et occasionnellement les beurs J’ai jamais vu une femellePas une femme n’est assez minable Pour astiquer un revolver Et se sentir invulnérable A part, bien sûr, Madame ThatcherC’est pas d’un cerveau féminin Qu’est sortie la bombe atomique Et pas une femme n’a sur les mains Le sang des Indiens d’AmériquePalestiniens et Arméniens Témoignent du fond de leurs tombeaux Qu’un génocide c’est masculin Comme un SS, un toreroDans cette putain d’humanité Les assassins sont tous des frères Pas une femme pour rivaliser A part, peut-être, Madame ThatcherFemme je t’aime, surtout, enfin Pour ta faiblesse et pour tes yeux Quand la force de l’homme ne tient Que dans son flingue ou dans sa queue Et quand viendra l’heure dernière Moi je me changerai en chien |
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Nous évoquions mercredi le tollé suscité en Grande-Bretagne par la chanson de Renaud « Miss Maggie ». Il est clair que l’indignation a été savamment entretenue par une feuille pourrie, « The Sun », largement diffusée, qui travaille au corps l’opinion britannique en ne faisant pas dans la dentelle. « France-Dimanche », à côté, ce serait presque de la bonne littérature.
L’ « Affaire Renaud » peut donc constituer là-bas un excellent dérivatif provisoire aux maux intérieurs qui rongent la société anglaise. Un petit mouvement d’humeur contre le voisin, à peine séparé par un bras de mer, en tenant compte que le passé des deux pays ne fut pas toujours fondé sur « l’entente cordiale », ne peut que servir les intérêts de la « Dame de fer », que notre Robin des Bois chantant prend pour tête de turc.
Le réveil des vieux démons nationaux est un sport violent. Mieux vaut ne pas toutefois jouer avec. La crise de folie meurtrière du Heysel ne prit-elle pas appui sur ces instincts-là, les plus chauvins, les plus porteurs de haine ?
C’est d’ailleurs de cela que traite pour l’essentiel la chanson de Renaud que nous publions ici-même. Quant à brocarder les gouvernements, c’est une pratique courante sous nos climats. Les chanteurs anglais ne s’en font pas faute. Il n’est que de citer les « Sex Pistols » : « Dieu sauve la reine/Un régime fasciste/Vous a rendue débile/Une bombe H potentielle/Dieu sauve la reine/Ce n’est plus un être humain/Il n’y a aucun futur/Dans le rêve de l’Angleterre. » « Clash » a souvent chanté que « le gouvernement appartient aux riches » et McCartney disait, en musique : « Rendez l’Irlande aux Irlandais. » L.K.J. a écrit : « L’Angleterre est une chienne… »
Le rock, issue des « classes dangereuses », ne mâche pas ses mots et produit des textes directement branchés sur la politique, la question sociale, la guerre, la paix. Dans « Les Russes », Sting d’exclame : « M. Reagan nous a dit « Nous vous protégerons/J’ai du mal à souscrire à cette souscrire à cette opinion/J’espère ne pas me tromper en disant/Que les Russes aussi/Aiment les enfants… »
Le hic avec Renaud c’est qu’il est « étranger ». Rassurons Mme Thatcher. La semaine prochaine, il enregistre la chanson incriminée en anglais et si cette fois elle en fait tout un plat, c’est que Maggie met le pote au feu. Renaud. Notre Jeanne d’Arc.
Jean-Pierre Léonardini
Source : L’Humanité