Québec, samedi 25 janvier 1986
CAHIER E
ARTS ET SPECTACLE
par Louis TANGUAY
♦ (LT) — Renaud vend ses microsillons par centaines de milliers et il vient de signer avec la puissante maison de disques Virgin un contrat qu’on dit être l’un des plus importants de l’industrie en France.
C’est pourquoi la compagnie québécoise Trafic n’est plus pour Mistral Gagnant (Virgin VL-2368) le distributeur ici de ce 33-tours comme elle l’avait été pour « Morgane de toi », neuvième microsillon de l’artiste, mais premier disponible en pressage canadien, c’est-à-dire à un coût moins élevé que les importations.
Incidemment, les Québécois ont acheté, depuis l’automne 84, plus de 20.000 exemplaires de ce microsillon, ce qui constitue un chiffre fort important pour un artiste français ici.
Mais, diffusé ou pas par une multinationale qui a exigé de distribuer ses disques partout à travers le monde ou pas du tout, le nouveau produit reste le même, portant la musique et le langage d’un créateur à l’inspiration aussi reconnaissable qu’unique.
Les textes y conservent la place prépondérante qu’ils ont toujours eue dans les chansons de Renaud. Il les a écrits, même avec l’air de rigoler, sur un ton plus sombre que ceux du disque précédent.
Outre « Miss Maggie », les plus percutants ou les plus touchants sont « Mistral gagnant », « Trois matelots » et « P’tite conne ».
Le premier raconte l’enfance qui s’en va comme les bonbons qu’il mangeait quand il était petit.
Le second est une histoire de marins, mais cette fois-ci de marins militaires chantée dans un style qui est tout à fait le sien par celui qui avait révélé dans son dernier 33-tours un goût nouveau pour la mer et les voyages et admet aujourd’hui, à 33 ans, n’avoir plus qu’un mois par an pour naviguer sur son voilier parce qu’il est trop pris par les tournées et parce que la petite va maintenant à l’école.
La troisième, comme « La blanche » dans le microsillon de 1981 intitulé Le retour de Gérard Lambert, traite de la drogue en réaction à la mort de Pascale Ogier, la fille d’un ami. Et, si on lui dit qu’il se répète, il répond que c’est là un clou sur lequel il n’a pas fini de taper.
Quant à la pêche à la ligne, il raconte que si dans sa chanson ça semble se passer très mal, dans la vie sa passion pour ce loisir qui est aussi celui de millions de Français très près de la nature, est partagée par sa famille et lui fournit comme la mer une façon unique de se ressourcer, parce que les poissons « ça ne demande pas d’autographe ni d’interview ».
Renaud dit qu’il n’aime pas faire mourir ses héros mais, clans « Le retour de la Pépette », la pauvre prend un sérieux coup de vieux et le « pote » de la troisième chanson de la face A n’a guère un rôle plus reluisant.
Tout cela pour dire que, beaux ou laids, les 11 chansons du 30 cm sont pleines de personnages qui, à eux seuls, suffiraient à rendre l’ensemble vivant comme les premiers spectacles que Renaud a présentés ici.
Au plan musical, le rocker-musette des Français délaisse souvent le musette au profit du rock qui sert bien, il faut le dire, le côté galvanisé de ce chanteur qui sait toutefois encore montrer une sensibilité à fleur de mots qui n’a pas fini de conquérir des admirateurs inconditionnels.
Source : Le Soleil