Les chansons de mai-juin 1968

Matériaux pour l’histoire de notre temps

N° 11-12-13, janv.-sept. 1988

 

■ Chansons et poèmes sont apparus durant cette période, parfois d’ailleurs sous forme de graffiti ou d’affiches manuscrites sur les murs. En dehors des spectacles donnés à l’Odéon occupé ou des bouts de films montés par des réalisateurs connus ou inconnus, s’est formé après le 13 mai à la Sorbonne le CRAC (Comité révolutionnaire d’agitation culturelle). Des acteurs (Coluche), des chanteurs (Evariste), des universitaires (Georges Lapassade, Romain Denis), l’ont animé. Ils ont pris comme permanence une salle au premier étage dans l’aile gauche du bâtiment. Une scission s’est opérée ensuite et Sarkis Cazenave et Biaise Recoing ont constitué le groupe «Gavroche» – pour les moins de 16 ans. A participé à ce groupe – ce qui correspond à ses débuts artistiques – Renaud Séchan, plus connu aujourd’hui sous le nom de chanteur de Renaud.

A partir des chansons écrites en mai, Evariste réussit à éditer pendant l’été 68 un 45 tours autoproduit, avec l’aide du directeur de sa maison de disque (AZ). L’originalité du processus consistait, comme l’écrit peu après Chantal le Bidois dans Le «réseau parallele»1, à «faire presser et mettre sous enveloppe une chanson de contestation sans délier la bourse à l’avance», en se remboursant sur les ventes. En septembre, Dominique Grange, elle aussi par les mêmes circuits, publie un 45 tours comprenant quatre chansons.

A la fin octobre 1968, ces chansons prennent place dans le spectacle de Georges Wolinski et Claude Confortés Je ne veux pas mourir idiot, donné d’abord à Aubervilliers, puis à Paris avec un immense succès. Evariste et Dominique Grange composent dans les années qui suivent quelques 45 tours «autogérés», distribués par des circuits dits «parallèles» (dans une atmosphère de lutte pour l’information, jouant la clandestinité ou déjouant les interdictions), ou déposés dans des librairies comme Le jargon libre. Mais ce mode de production, éphémère, aboutit-il à «un genre esthétique nouveau parce que libéré»2 ? En tout cas, 1968, s’inscrivant dans une période d’intenses transformations musicales (la pop music après le rock’n roll), suscite une grande effervescence postérieure pendant laquelle le son véhicule de façon décisive mode de vie et idées.

Laurent GERVEREAU

1. in Hermès Herytem, critique politique de la vie quotidienne, n° 4, décembre 1968.

2. opus cité.

  

Source : Matériaux pour l’histoire de notre temps