Renaud au JDD : « Je ne peux plus me permettre de sortir un disque tous les dix ans »

Le Journal du Dimanche

22h30, le 23 novembre 2019

Par | Eric Mandel

Avant la sortie de son nouvel album consacré à l’enfance, Renaud se confie en exclusivité au Journal du Dimanche. A 67 ans, il donne aussi des nouvelles rassurantes de sa santé, avec un oeil sur les Gilets jaunes.

Renaud en octobre 2019. (Pascale Harmann)

Le matin même, il voulait annuler notre rencontre. Pas d’humeur, pas envie de parler. Ce mercredi, il est pourtant bien là, dans l’arrière-salle aux murs jaunis d’un restaurant italien du 14e arrondissement de Paris, le quartier où il est né en 1952. Il est midi, mais il ne touchera pas aux spécialités maison. « Je me goinfre le soir », lâche Renaud d’une voix chevrotante abîmée par plusieurs décennies de tabagisme et de pastis, « le seul poison de Marseille » comme il le chante joliment dans son 17e album, Les Mômes et les enfants d’abord. Le voilà donc de retour le Renard. Certes un peu fatigué, mais l’inspiration est toujours vivace comme le prouve ce disque dédié à l’enfance bénie et perdue, son obsession depuis longtemps (Mistral gagnantC’est quand qu’on va où?). Au menu, 12 chansons visuelles comme une BD de Zep, qui illustre la pochette et le livret, tour à tour polissonnes (Pinpon), sombres (Y a un monstre sous mon lit), mordantes (Les Animals) et même sociétales (Y z’ont mis le feu à l’école).

Comment est né ce disque?
Ma patrie, c’est l’enfance. Je l’ai beaucoup chantée dans ma carrière. Je voulais faire cet album depuis vingt ans. Le déclic est venu lors de ma dernière tournée, il y a trois ans, quand j’ai invité les enfants venus avec leurs parents à s’installer au premier rang devant les barrières. Les petits fauves de 6 à 12 ans connaissaient toutes mes chansons, même les plus politiques. J’étais amusé de les entendre reprendre en chœur « dès que le vent soufflera, je repartira », avec toutes les fautes de syntaxe et les gros mots comme « la mer c’est dégueulasse, les poissons baisent dedans ».

Cet album sort à peine trois ans après Toujours debout . Vous étiez pressé?

J’ai 67 ans, le temps file. Je ne peux plus me permettre de sortir un disque tous les dix ans. Je l’ai écrit très vite, en huit jours. J’étais pourtant mal en point après une chute d’escalier. J’avais les deux poignets cassés, mais je me levais à 5 heures du matin et je pondais un à trois titres par jour. Je me suis régalé. Cet album, je l’ai aussi fait pour aller de l’avant après les disparitions successives de mon frère et de ma mère au début de l’année. Travailler m’a permis de chasser mes idées noires.

Le Renaud dessiné par Zep sur la pochette et le livret de l’album, il vous ressemble?
Je le trouve drôle. On ne sait pas vraiment s’il s’agit du Renaud adulte ou enfant, il est un peu sans âge. J’apprécie beaucoup le travail de Zep, Titeuf évidemment, mais aussi ses livres pour adultes. J’ai toujours aimé la BD. Spirou, Buck Danny et tant d’autres ont nourri mon enfance. J’ai bien sûr acheté le nouvel Astérix, mais j’ai été déçu, comme par le précédent. La magie n’opère plus sur moi depuis ­qu’Astérix est devenu un filon.

J’aime bien l’idée du phénix qui renaît de ses cendres

Parlons de votre voix…
Ah, ma voix! Le nombre de fois où j’ai entendu « Renaud a la voix chevrotante, caverneuse ». C’est plus vrai que jamais. Lors des premières sessions d’enregistrement, je chantais mal, vraiment. C’était trop décousu. Et puis Thierry Geoffroy, qui a composé certaines musiques et coréalisé le disque, m’a un peu bousculé et j’ai retrouvé le Renaud d’antan : un peu loubard et gavroche dans l’accent et les intonations. J’ai un style, on aime ou on n’aime pas, mais il est inimitable. Comme m’a dit une fan : « Renaud, tu ne chantes pas juste, tu ne chantes pas faux, tu chantes vrai. »

On va pas s’laisser pourrir met en garde les enfants contre les dangers de l’alcool, du tabac et du cannabis…

Ma fille Lolita l’a trouvée moralisatrice. Je le prends comme un compliment. Si le ministère de l’Éducation veut l’utiliser pour une campagne de prévention contre les drogues, j’en serai ravi. J’en profiterais au passage pour en finir avec la cigarette. J’ai arrêté l’alcool depuis plus de dix mois, apparemment sans difficulté. C’est déjà une victoire sur la vie. Ce n’est pas la première fois, mais en général je tenais quinze jours et je replongeais. Aujourd’hui, je bois de la ginger beer, une bière sans alcool, ou de la Bitter San Pellegrino, que l’on ne sert plus nulle part, sinon dans mon bistrot de l’Isle-sur-la-Sorgue. Ce n’est pas toujours simple quand je suis avec les copains, mais ils ne boivent plus non plus pour la plupart. Ils sont passés à des boissons pour enfants…

Où en êtes-vous niveau santé?
Je rassure la presse de caniveau, qui m’a collé les pires malheurs du monde depuis un an : cirrhose, AVC, Alzheimer parce que mes mains tremblent quand j’ai le trac, comme en ce moment… On m’a aussi dit SDF, malade au point de n’avoir plus que trois jours à vivre! C’est de la diffamation… Le foie va bien, les poumons sont certes un peu encrassés mais je respire bien mieux depuis une petite opération de la carotide. J’aime bien l’idée du phénix qui renaît de ses cendres.

Je suis choqué par les images des black blocs qui ne sont là que pour casser du flic, des vitrines, des banques… Mais je suis solidaire des Gilets jaunes

Que pensez-vous des Gilets jaunes?
Je suis choqué par les images des black blocs qui ne sont là que pour casser du flic, des vitrines, des banques… Mais je suis solidaire des Gilets jaunes. Quand on connaît le travail des infirmières et combien elles sont payées…

Accompagnerez-vous cet album d’une tournée, par exemple des écoles?
Ce n’est pas prévu mais ce serait un bonheur. Je pourrais même aller chanter dans l’école Renaud-­Séchan. Elle existe pour de vrai, à Mirabel-aux-Baronnies, dans la Drôme provençale. Avoir une école à son nom, c’est bien plus gratifiant que les trophées. Ça aurait fait plaisir à mon père qui était enseignant et auteur, notamment de romans pour enfants dans la Bibliothèque rose. Gamin, j’ai été son premier lecteur. Il m’a transmis sa passion des mots. À 4 ou 5 ans, j’étais aimanté par sa machine à écrire Underwood. Je profitais de son absence pour m’installer devant et taper, taper, taper… C’est avec elle que j’ai écrit à 10 ans mon premier roman, un polar se résumant à deux pages…

Pinpon raconte les aventures polissonnes d’un pompier. Avez-vous rêvé d’être un combattant du feu?
Oui, mais je voulais aussi être cuistot ou instituteur, comme mon père. J’ignore quelle aurait été ma méthode pédagogique, mais je leur aurais surtout appris l’amour des livres, celui qui fait que tu peux voyager dans ta chambre autour de l’humanité, comme je l’ai écrit il y a vingt-cinq ans dans C’est quand qu’on va où ? Gamin je ne rêvais pas d’être chanteur, mais plutôt acteur. Ma « carrière » a d’ailleurs débuté à trois ans dans Le Ballon rouge [1956] d’Albert Lamorisse. Je voulais être acteur pour m’exprimer, pour exister auprès du plus grand nombre. J’ai tâté du café-théâtre avec la troupe du Café de la Gare, au lendemain de Mai 68. J’ai fait mes premiers pas sur les planches en première partie de Coluche. Au final, ma filmographie se résume à une poignée d’apparitions. Il faut croire que j’étais plus doué pour la chanson… Mais je suis fier d’avoir joué dans Germinal de Claude Berri.

J’espère que l’album sera autant apprécié par les enfants que par les adultes

Parc Montsouris semble être la chanson la plus autobiographique de l’album…
Elle évoque les promenades en famille, le théâtre des marionnettes et Guignol, qui me fascinait tant avec le gentil voleur et le méchant gendarme. J’y suis allé avec mes parents, mes potes, puis mes enfants. Ce parc est une oasis dans le 14e arrondissement de mon enfance, qui reste mon fief. Gamin, j’avais déclaré « l’indépendance du 14e » et « l’autonomie de la porte d’Orléans ». En face de chez moi, il y avait un terrain vague où se trouvaient les anciennes fortifications. C’était mon terrain de jeu avant de rentrer pour la corvée des devoirs. Pour moi, aller à l’école, c’était aller au chagrin. Mais je savais m’amuser. En sixième, dans une dissertation, j’avais cité un éminent philosophe chinois en mandarin de cuisine : « Tching Tchang Tchong ». Mon ­humour avait visiblement échappé à mon professeur, qui avait écrit à la marge de ma rédaction : « Vous pourriez traduire ! »

Dans Ça va gueuler, vous écrivez : « J’suis arrivé à l’école/Y avait un flic devant l’entrée… pour nous protéger des barbares. » Une référence à la France post-attentats?
Ce n’est pas ma préférée, mais je l’aime bien quand même. ­Depuis Charlie, nos enfants doivent ­apprendre à vivre avec cette ­menace. Mon fils Malone, 13 ans, je l’ai préservé des infos à la télé et je n’ai fait aucun travail pédagogique. Il aura tout le temps d’apprendre ce qu’est le terrorisme. Mais il était important pour moi d’évoquer cette triste réalité au détour d’une chanson, sans pathos mais avec une certaine légèreté enfantine.

Vous avez préservé votre part d’enfance?
Oui. Je suis grincheux, timide, innocent et fragile. J’ai gardé ma faculté d’émerveillement et je pleure au cinéma quand c’est triste. Mais la recherche de mon enfance perdue me fait du mal, se complaire dans la nostalgie est une douleur.

Comment vous sentez-vous à quelques jours de la sortie de votre album?
Un peu fébrile. Un peu étonné aussi par les premiers échos que j’ai des gens qui ont eu la chance, ou la malchance, d’écouter ce disque en avant-première lors d’une séance dans le préau de la maternelle de mon enfance, rue Sarrette. J’espère qu’il sera autant apprécié par les enfants que par les adultes, comme Souchon avait réussi à le faire avec sa chanson J’ai 10 ans.

Les Mômes et les enfants d’abord ***
(Warner). Sortie le 29 novembre.

  

Source : Le Journal du Dimanche