par Arnold le 28 novembre 2006
Sommaire :
– Pourquoi d’abord
– Le minot
– Le gavroche révolté
– Les premiers pas sur les planches
– Laisse Béton… j’démystifie
– Renaud s’énerve, la Renaudmania grandit
– Anarcho Mitterrandiste
– Fatigué
– Les années sombres
– Le Retour de Renaud
– Épilogue
Pourquoi d’abord ?
Pourquoi une story Renaud sur un site comme B-Side Rock ? C’est vrai que bon, Renaud, c’est pas ce qu’il y a de plus rock’n’roll… Mais, comme on se plait souvent à le dire, le rock est parfois vecteur de contestation, de protestation. Et de ce coté-là, en France, il existe une culture de chanson contestataire très ancrée dans les mœurs populaires. Béranger, Aristide Bruant, Fréhel, Georges Brassens, Léo Ferré… Et puis Renaud est arrivé, perpétuant cette culture à la croisée des chemins avec la culture rock des années 60. Autant influencé par Dylan que par Brassens, Renaud a développé une plume bien personnelle, racontant des histoires, dénonçant des injustices, toujours en maniant la langue avec brio, humour, ironie et cynisme.
Aujourd’hui, Renaud est l’une des influences principales de la musique française, des chanteurs bobos aux rappeurs des cités. Mais aujourd’hui, Renaud a aussi bien changé. Ses textes ont perdu de leur mordant, on se sent un peu gêné : on a encore envie de l’aimer, mais on hésite… C’est plus comme avant, il manque un truc. Son art n’est plus ce qu’il était. C’est un fait. Mais lui ?
Voici donc l’occasion de revenir sur le parcours de ce personnage à vif, tendre et rebelle à la fois, qui a fait, et continue de faire le bonheur de plusieurs générations.
Le minot
C’est l’histoire d’un mec que vous connaissez sûrement mais que je vais quand même vous raconter. Renaud est né le dimanche 11 mai 1952. Comme il est un grand timide, Renaud n’est pas venu tout seul, mais avec David son frère jumeau, pour rejoindre une fratrie composée déjà de Nelly, Christine, et Thierry, et qui accueillera bientôt une petite Sophie. Dans un premier temps, la famille Séchan occupe deux pièces de l’appartement des parents d’Olivier, l’heureux papa qui est écrivain et enseignant. Il s’agit d’un immeuble de fonctionnaires de l’éducation nationale, dans le XIVème arrondissement, à la périphérie parisienne. Très vite, les revenus d’Olivier, loin d’être mirobolants, sont suffisants pour permettre à la « petite » famille d’aménager dans son propre appartement, tout en restant dans le quartier.
Belle pêche (Renaud à droite)
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- Les enfants sont élevés dans l’amour de la culture, d’autant plus que la famille bénéficie d’une diversité enrichissante. Solange est une pure ch’ti, fille de mineur, elle-même ouvrière dans sa jeunesse. Olivier, originaire de Montpellier, est fils de pasteur, élevé dans une culture protestante, et d’amour des arts. Ce double héritage ouvrier et protestant, ch’timi et artistique marquera à jamais le caractère des six rejetons de cette famille nombreuse. Musicalement aussi, Renaud est élevé entre deux tendances. Sa mère écoute de la chanson populaire allant de Fréhel à Maurice Chevalier ou Edith Piaf alors que son père est amateur de musique classique et de chanson française, en particulier Brassens. Renaud se souviendra d’ailleurs longtemps de ce 25 cm du Gorille qu’il ne pouvait approcher, son père estimant ses enfants trop jeunes pour les textes coquins du moustachu. Un jour pourtant, du haut de ses 10 ans, il le subtilisa de la collection paternelle pour le faire signer par un visiteur croisé dans l’immeuble. Un grand moustachu qui fumait la pipe. Renaud tenait là son premier autographe.
Un jour, alors que Renaud et David ont 3 ans, un oncle chef-opérateur sur un plateau cinéma emmène même les jumeaux sur le tournage d’un moyen-métrage d’Albert Lamorisse : Le Ballon Rouge. Le réalisateur avait besoin d’enfants pour figurer dans son film et Edmond Séchan a immédiatement pensé à ses deux petits neveux. Tournée en noir et blanc, ce film raconte l’histoire de Pascal, un petit garçon qui trouve un ballon rouge (seule touche de couleur du film) qu’il emmène partout avec lui. Ses camarades jaloux lui crèvent son jouet. Des dizaines de ballons s’envolent alors des mains de dizaines d’autres enfants pour retrouver Pascal qui s’envole alors dans le ciel, soulevé par tous les ballons. « Je n’oublierai jamais cette matinée de printemps où nous avons passé trois heures sur un trottoir avec notre petit ballon qu’un type avec une perche nous arrachait des mains et qu’après on ne voulait plus lâcher. Il a fallu refaire la prise des dizaines de fois. Ce doit être mon plus vieux souvenir », se rappelle Renaud avec plaisir.
Au début des années 60, Olivier Séchan est embauché par les Éditions Hachette. Il redouble de travaille pour subvenir aux besoins de sa famille. Quand ses enfants se lèvent pour emprunter le long chemin de l’école (qui est pourtant juste à côté), ils le trouvent déjà attablé devant sa machine à écrire. Il enchaine les traductions de l’allemand et du néerlandais au français, écrit des romans pour enfants dans la bibliothèque rose. Renaud est impressionné et admire son père : « Je l’ai toujours vu écrire. Quand je partais à l’école et que je le voyais dans sa robe de chambre dans un rayon de soleil, devant sa machine à écrire, je me disais qu’il faisait le plus beau métier du monde. Pas de patron, pas d’horaires… »
Il coule une enfance peinarde et insouciante. Olivier veut que ses enfants aient la meilleure éducation possible. Il les encourage à lire, quitte à les forcer quand les résultats scolaires ne sont pas satisfaisants. Renaud est bon élève. Il apprend très vite à lire et à écrire et présente aussi rapidement des facilités pour l’écriture. Mais voilà, l’école, ce n’est pas vraiment le grand bonheur, et il s’en lasse. C’est chiant, il faut se lever tôt, apprendre des choses peu intéressantes et se colletiner des camarades pas toujours finauds et pis surtout faire de la gym ! Quelle horreur ! Et pourquoi pas le garde-à-vous pendant qu’on y est ? Renaud préfère de loin courir les rues avec sa bande de copains, « le Club des Ratapoilus », une petite bande de minos terreur de la cours de récré (spécialiste en racket de carambars, mistral gagnants et toutes sorte de friandises, ou autres joujoux à la mode), de véritables petits gavroches comme on en trouve sur les photos de Doisneau. La boule à zéro, et la morve au nez, on était pas beau mais on s’en foutait. (…) On avait dix ans, pis on ignorait qu’un jour on serait grand pis qu’on mourirait chante Renaud dans le Sirop De La Rue…
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Le gavroche révolté
En 1963, les Beatles débarquent en France, Françoise Hardy chante Tous Les Garçons Et Les Filles… Renaud, lui, est fasciné par Hugues Aufray dont il collectionne les disques. Les deux jumeaux rentrent en sixième au Lycée Gabriel-Fauré, dans le XIIIème arrondissement où leur père enseigne l’allemand. Renaud continue de développer ses talents littéraires. Chez lui, il écrit les aventures de Mac Shultoc, inspecteur à Scotland Yard, vaguement inspiré des héros de la bande dessinée de Blake et Mortimer. Renaud a 14 ans, et noirci déjà plusieurs carnets de poèmes et autre tentatives de proses. L’un de ses poèmes sera d’ailleurs publié dans le journal du lycée. À travers quelques vers, le futur chanteur engagé rend déjà hommage à une figure emblématique de la lutte des faibles contre les puissants : Nelson Mandela qui est alors emprisonné.
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C’est à partir de la quatrième que les deux frangins décrochent. Les seules préoccupations de Renaud sont les boums, les filles et Hugues Aufray. En 1965, ce dernier sort d’ailleurs un album reprenant les textes de Dylan en français. Le jeune adolescent est impressionné par les textes de ce poète. Il s’amuse alors à traduire d’autres chansons de l’américain, en profitant par la même occasion pour améliorer son niveau d’anglais. En 1966, il commence sa vie de militant aux cotés du MCAA (Mouvement Contre l’Arme Atomique) et commence à fréquenter des milieux gauchistes à tendance trotskistes voire maoïstes ! Toujours peu attiré par les cours, Renaud doit retaper sa troisième, mais malgré l’influence de son père, le collège Gabriel-Fauré refuse d’accueillir le cancre une année de plus entre ses murs. Il intègre ainsi le Lycée Montaigne à la rentrée 67. Il rejoint quelques camarades du même bord politique que lui. Il sèche souvent les cours, quitte à aller provoquer avec ses camarades les étudiants de la Faculté de droit d’Assas juste à côté (parmi lesquels plusieurs membres éminents du mouvement d’extrême-droite Occident).
Le 15 mars 1968, le Monde titre « La France s’ennuie »… Les jeunes plus précisément, sont pris entre les traditions pesantes, et une aspiration à la liberté, à l’émancipation… Ajoutez à cela les tensions internationales : la guerre du Viêt-Nam, l’affrontement perpétuel entre le bloc soviétique et l’Ouest capitaliste… La tension monte, elle est palpable. Puis tout explose le 3 mai quand les CRS investissent la Sorbonne. Comme l’explique Thierry Séchan dans Le Roman De Renaud :« Ils ont osé ! Jamais vu depuis Villon ! Même les Allemands ne s’y étaient pas risqués, et pourtant, il y avait des résistants parmi les étudiants de l’illustre université ». Les quolibets fusent, les premiers slogans retentissent : CRS-SS !. Des milliers de jeunes se serrent les coudes et affrontent quotidiennement les forces de l’ordre. Renaud n’est pas en reste, il s’y donne même à cœur joie. Il va rejoindre son frère aîné alors que celui-ci occupe la Sorbonne avec tant d’autre. D’ailleurs, Solange n’a pas fini de se faire un sang d’encre, car hormis Sophie qui est trop jeune, tous ses enfants sont dans la rue. Le 11 mai, le gavroche et son jumeau fêtent leurs 16 ans debout sur les barricades du coté de Gay-Lussac. Lors de cette « nuit des barricades » très mouvementée, 2000 manifestants sont blessés. Le 13 mai, Pompidou alors Premier Ministre rappelle les forces de l’ordre qui occupent la Sorbonne. Les étudiants réinvestissent les lieux et les occupent à leur tour. Renaud y passe quelques nuits. Ces événements inspirent beaucoup le jeune poète révolté qui signe alors ses premiers textes énervés. Le style est déjà là. Dans C.A.L En Bourse, Renaud manie à merveille les jeux de mots et la chanson contestataire.
La grenade qu’un CRS m’a envoyée
L’autre soir au quartier m’a beaucoup fait pleurer,
j’ai rejoint en courant la place Edmond-Rostand,
y avait des flics partout, et pourtant j’en rosse tant !
(…)Là, j’ai connu un flic que l’on appelle Eugène,
car sa spécialité c’est la lacrymogène ;
je lui ai dit cent fois, arrête les crimes, Eugène !
Sa première chanson, Crève Salope, fait le tour des facs occupées et devient presque un petit hymne révolutionnaire :
Je v’nais de manifester au Quartier
J’arrive chez moi, fatigué, épuisé,
Mon père me dit : bonsoir fiston, comment ça va ?
J’lui réponds : ta gueule, sale con, ça t’regarde pas !
Et j’ui ai dit : crève salope !
Et j’ui ai dit : crève charogne !
Et j’ui ai dit : crève poubelle !
Vlan ! Une beigne !
(…)Je m’suis r’trouvé dans la rue, abandonné,
J’étais complèt’ment perdu, désespéré,
Un flic me voit et me dit : qu’est-c’tu fous ici ?
A l’heure qu’il est, tu devrais être au lycée,
Et j’ui ai dit : crève salope !
Et j’ui ai dit : crève charogne !
Et j’ui ai dit : crève fumier !
Vlan ! Bouclé !
Je m’suis r’trouvé enfermé à la Santé,
Puis j’ai été condamné à être guillotiné,
Le jour d’mon exécution, j’ai eu droit au cur’ton,
Y m’dit : repentez-vous mon frère, dans une dernière prière
Et j’ui ai dit : crève salope !
Et j’ui ai dit : crève charogne !
Et j’ui ai dit : crève fumier !
Vlan ! Y z’ont tranché !
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Il va sans dire que son père n’apprécie guère les paroles… Les « événements de Mai 68 » s’achèvent. En juin, les français s’en vont voter par millions pour l’ordre et la sécurité. La révolution n’est plus qu’un lointain souvenir. Renaud, comme beaucoup d’autres, est désabusé, lui pour qui cela a changé tellement de choses. L’été suivant, il part pour les Cévennes avec quelques copains. Un endroit paisible pour de bonnes vacances tranquilles… En fait, la bande ne part pas pour une période de congé, mais pour s’installer en communauté. Le drapeau noir est planté fièrement sur la bicoque qu’ils occupent et où ils font pousser des chèvres, fabriquent des bijoux etc… Mais l’aventure ne durera que trois semaines. Les gendarmes viendront gentiment déloger ces petits squatteurs, et pis bon… une gonzesse pour cinq poilus, même si le principe de partage est essentiel en communauté, la situation est un peu « tendue », sans compter que les filles ça fout toujours la merde, et pis y avait plus d’herbe alors bon…
À son retour, il intègre le Lycée Claude-Bernard, peuplé de fils de bourges. D’un côté, il flirte avec les unes ce qui lui inspirera plus tard Adieu Minette[1], puis il observe les autres pour les brocarder dans une autre chanson Camarade Bourgeois qui figurera sur son premier album[2]. Mais comme même les meilleures choses ont une fin, les pires font bien de ne pas durer. Renaud décide alors d’arrêter ses études en mars 1969. Il prend aussi ses distances avec le foyer familial, et part s’installer tout seul dans une chambre de bonne. C’est comme une renaissance. En juillet, il se fait embaucher à la Libraire 73, boulevard Saint-Michel dans le Quartier Latin, comme magasinier, puis vendeur chargé du rayon de livre de poches. Il profite de cette période pour enrichir sa culture littéraire, et lis tout ce qui lui plait. S’il découvre un auteur, il lira tous ses livres dans la foulée, et ainsi de suite. Il y reste deux ans, et fini premier vendeur, mais le gérant de la boutique se voit contraint de se séparer de lui. Renaud a en effet une fâcheuse tendance à regarder ailleurs quand un lecteur sans le sou fait main basse sur un ouvrage. Surtout quand ce dernier est son frère. « Je dois avouer que ma Très Grande Bibliothèque a commencé à se constituer cette année là, dans les étals de la Librairie 73 » reconnait Thierry Séchan.
Les premiers pas sur les planches
Durant les vacances de Pacques 1971 à Belle-Ile-En-Mer, Renaud fait la rencontre de Patrick Dewaere et de Sotha qui font alors partie de la troupe du Café de la Gare. Il leur joue quelques-unes de ses chansonnettes. Le courant passe très bien et les trois jeunes gens sympathisent très vite. Dewaere invite alors Renaud à venir les voir au Café de la Gare. Quelque mois plus tard, il intègre carrément la troupe, remplaçant au pied levé l’un des acteurs indisponible. Il fait ainsi la connaissance des autres acteurs de la bande : Coluche, Miou-Miou, et Henry Guibet. Il fait ses débuts sur les planches dans Robin Des Quoi ?, une pièce de Romain Bouteille, le fondateur de la troupe.
Renaud dans sa période « dandy »
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Mais Renaud n’est pas non plus un excellent acteur et rend bientôt sa place à l’acteur qu’il remplaçait. Nous sommes en 1972, Renaud se lasse de la vie parisienne et décide d’aller faire un tour dans la Cité des Papes. Il consacre cette période à perfectionner son art, et tente de faire carrière dans l’un de ses domaines de prédilection. Mais il déchante vite devant le peu d’avenir que lui offre cette ville. Dans une lettre qu’il adresse à son frère le 19 septembre, il écrit : « Dans cette Byzance lointaine où je « refais ma vie », je m’emmerde autant qu’à Babylone-la-magnifique où vous croupissez. Ici, les perspectives d’avenir sont quasiment nulles, aucun espoir de réussir dans un quelconque domaine : littérature, poésie, chanson, théâtre. » Renaud cherche encore sa voie, mais peine sérieusement à la trouver à Avignon. Il mène sa vie comme il peut, sans savoir de quoi sera fait demain. Quelque mois plus tard, il écrira : « L’année prochaine, je ne sais vraiment pas où je serai. Mais de toute façon, certainement pas à Avignon. C’est beau, d’accord, mais qu’est-ce qu’on s’y fait chier ! J’irai peut-être en Afrique du Sud ou au Chili. Mais pour y faire quoi ? ».
En 1973, Renaud revient à Paris et continue de se chercher. Il vit sa période dandy. Il fréquente la Coupole, le Select, tous les hauts-lieux branchés du quartier Montparnasse. Il s’imprègne de ces endroits où sont passés de grands artistes tels Hemingway, Warhol, Lewis Carroll, etc. [3]. Il lit, il écrit, il est même publié dans L’Energumène, la petite revue littéraire de Gérard-Julien Salvy (écrivain et éditeur). Il traîne aussi à Montmartre. Il se passionne pour l’histoire et la culture populaire de ce quartier. Renaud tombe amoureux de Paname… Il découvre aussi qu’il peut chanter dans la rue et gagner sa croûte avec ça. Avec ses potes Michel Pons (accordéoniste) et Bénédicte Coutler (guitariste), il se pose dans les rues de la butte, et chante des chansons du répertoire populaire parisien ainsi que certaines de ses chansonnettes comme La Coupole, Le Gringalet, Amoureux De Paname… Ils jouent aussi dans les cours d’immeubles pour le plus grand bonheur des ménagères qui restent à la maison et qui les payent allègrement (ils se font parfois 500 Fr par jours !!)
Renaud et son pote Michel Pons
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Un jour de 1974, alors que le poulbot et ses poteaux se sont installés devant le Café de la Gare pour occuper le public de Coluche qui fait la queue, un homme se détache de la foule et vient voir les trois jeunes. Il tend sa carte : « Bonjour, je suis Paul Lederman. J’aime bien ce que vous faites, n’hésitez pas à passer me voir à mon bureau ». Ni une, ni deux, voilà que les P’tits Loulous (nom choisi par Lederman) assurent officiellement la première partie de Coluche, mais sur les planches du Caf’Conc’ cette fois et non plus dehors. Mais voilà qu’au bout de quelques mois, Michel est appelé pour son service militaire (Ô joie…) ce qui rend le répertoire un peu bancal. Cela compromet aussi fortement le projet du producteur-homme-d’affaires qui, flairant un bon coup, imaginait déjà un album mêlant reprises sur une face, et chansons de Renaud sur la deuxième. De plus Renaud juge cette proposition absolument ridicule et refuse promptement. Il préfèrerait encore retourner chanter dans les rues, juste avec son ami guitariste.
Puis un soir, Jacqueline Herrenschmidt et François Bernheim découvrent Renaud. Ils tombent amoureux du personnage. Son apparence de poulbot, sa gouaille, ses textes et ses histoires les séduisent à tel point qu’ils proposent au jeune homme de l’aider à enregistrer un album. C’est ainsi que Renaud entre en studio pour enregistrer ses chansons au printemps 1975. Amoureux De Paname voit le jour. On y retrouve des portraits de la rue peints avec tendresse (La Java Sans Joie, Gueule D’Aminche, Le Gringalet), des textes poétiques (La Coupole, La Menthe A L’Eau,…), et surtout trois textes acides et bien sentis (Hexagone, Société Tu M’Auras Pas, Camarade Bourgeois). Renaud retranscrit ce qui l’entoure, ce qu’il ressent et ce qu’il vit avec brio.
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À sa sortie, l’album ne connait pas un franc succès. Il faut dire qu’il fait un peu tache dans le paysage musical de 1975. L’heure est au modernisme d’un côté, aux paillettes de l’autre… Avec sa galette qui fleure bon les chansons du début du siècle, les valses musettes, et les rue de Paris, Renaud a du mal à faire son trou et ne vendra que 2000 copies d’Amoureux de Paname. Pour couronner le tout, sa chanson Hexagone est boycottée de partout. Il faut dire aussi qu’il n’y va pas de main morte. Avec ce titre, Renaud met les pieds dans le plat et dresse une liste définitive des travers de ces Français chauvins comme pas deux. Alors évidemment, en pleine France giscardienne, ça ne plait pas vraiment. Et puis quand ça dérange, on attaque. Renaud se voit déjà qualifié d’imposteur. Lors de son premier passage télévisé où il joue Camarade Bourgeois [4] (évidemment, Hexagone étant censurée…), certains estiment que le jeune artiste est opportuniste (il est de bon ton de taper sur les classes aisées), et que tout n’est que stratégie commerciale avec cette tenue de poulbot d’un autre temps. Ce qui, en étant honnête, ne serait pas très malin car en cette période moderniste son accoutrement suscitait plus souvent des sourires un peu moqueurs plutôt qu’une franche adhésion. Eh oui, Renaud est bien comme ça tous les jours, habillé en poulbot, il parle avec un accent de titi parisien bien appuyé et chante des chansons d’un autre temps, parce qu’il aime ça tout simplement. Peu d’animateurs radios oseront parler de lui. Jacques Erwan sera même viré de France Musique pour avoir osé programmer la chanson bannie. C’est quand même au cours de l’un de ses émissions que Lucien Gibarra, patron de la Pizza du Marais, le remarque et l’invite à jouer chez lui.
En 1976, Renaud occupe donc régulièrement la scène de la « Zappi », comme l’appellent ses habitués, où ont pu se succéder d’autres chanteurs tels que Julien Clerc, Maxime Le Forestier, Higelin ou Lavilliers. On le trouve aussi des fois derrière le bar histoire d’arrondir les fins de mois difficiles. Eh oui, avec son album qui a fait un flop, ce n’est pas tout les jours « Byzance » ! Ses histoires de marlous, et ses textes énervés séduisent très vite le public du Café Théâtre qui se reconnait dedans. Il faut dire qu’en face de lui, on a un autre type de gars des rues… Blousons noirs, Jeans, Santiags… Renaud découvre les loubards, les vrais, les purs, les durs, ceux qui viennent des cités HLM ! Loin des clichés de violence gratuite, de voyous sans foi ni loi, Renaud se découvre une bande d’amis, et vire lui aussi loubard. Il troque alors sa tenue de poulbot pour le blue jeans (un vrai Lévi-Strauss, le même que James Dean), les ’tiags (t’as des bottes mon potes, elles me bottent !), et le perfecto (t’as un blouson mecton, l’est pas bidon) [5]. Ses textes vont ainsi évoluer, intégrer le verlan, il va maintenant évoquer les loubards, leurs virées, et surtout leur quotidiens.
Laisse Béton… j’démystifie
Pour gagner de quoi manger tous les jours, Renaud fait aussi quelques petits boulots et de temps en temps quelques petites « panouille », de petite participation à des pièces de théâtre. C’est ainsi qu’en 1977, il joue dans Le Secret De Zonga, une pièce de Martin Lamotte, à la Veuve Pichard (pas très loin du Rendez-Vous des Amis, un bistrot qui sert de point de chute à Renaud). Il fait alors la rencontre de Dominique Lanvin, une jeune actrice douce et charmante. La pièce se joue quelques semaines, assez longtemps pour que Renaud et Dominique tombent amoureux l’un de l’autre. Mais le problème, c’est que Dominique Lanvin est mariée depuis huit ans à un Gérard du même nom et accessoirement acteur. Pas facile. Mais cela ne les arrêtera pas.
Renaud signe son premier contrat…
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Renaud continue d’écrire ses chansons, et en a même assez pour enregistrer un nouvel album, mais voilà, il n’a plus de maison de disques… Jusqu’au jour où il est contacté par Barclay ainsi que Polydor en parallèle. L’artiste choisi Polydor et prend directement le chemin des studios. Il ne le sait pas encore mais il est en train d’enregistrer son premier tube, son premier succès : Laisse Béton. Il avait écrit cette chanson au dos d’un paquet de Gitanes en une demi-heure alors qu’il était encore à la Pizza du Marais. Le single fait un malheur et se vend à 300 000 exemplaires. L’album, que beaucoup appelleront Place De Ma Mob à cause du graffiti que l’on voit sur la pochette, se vend à 200 000 exemplaires. Les critiques sont unanimes et positives. Un bond de géant quand on considère le maigre succès de son prédécesseur. Sur cet album, Renaud s’inspire beaucoup de faits divers ayant ponctué l’actualité de ces deux ou trois dernières années. Les Charognards raconte un braquage sanglant dont Renaud a été le témoin sur la rue Pierre Charon en décembre 1975. Dans Buffalo Débile, il rend hommage au « casse du siècle » réalisé par Albert Spaggiari à la Société Générale de Nice l’année précédente. Le braqueur avait en effet creusé un tunnel sous la banque, dévalisé la cave, et inscrit au mur : « Ni haine, Ni armes, Ni violence »… Six mot que Renaud reprend à la fin de sa chanson humoristique. On retrouve aussi de véritables peintures sociales telles que La Chanson Du Loubard, Je Suis Une bande De Jeunes. Dans cet album, Renaud montre tous ses talents d’écriture et surtout cette faculté à décrire ce qui l’entoure avec justesse.
Avant de partir pour le Printemps de Bourges en 1978, Renaud se met en quête d’un vrai groupe. Il fait alors appel à quelques potes pour monter ce groupe qui va se baptiser Oze et qui le suivra pendant deux ans. Il rencontre le succès en province, et dépasse même les frontières en allant gagner un festival de chanson à Spa en Belgique avec Chanson Pour Pierrot qui figurera sur son prochain album. En cette année 1978, il rencontre le succès partout où il passe.
« Laisse Béton !… »
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Fin 1978, il retourne à nouveau en studio pour enregistrer son troisième album, le second qu’il dédie à Dominique, le premier dans lequel il lui consacre une chanson. Et quelle chanson ! Ma Gonzesse est une chanson d’amour. « Ça y est, Renaud s’est ramolli »… Que nenni, cette chanson est bel et bien du Renaud ! Vous en connaissez beaucoup qui arrivent à parler d’amour le plus tendrement possible tout en évoquant le cassoulet, les statues de Maillol qui se gèlent le cul et le reste aussi, et en menaçant d’éclater la cervelle à quiconque approchera sa gonzesse ? Eh bien, lui y arrive à merveille. On découvre sur cet album un Renaud capable de tendresse (Chanson Pour Pierrot), et poétique (J’ai La Vie Qui Me Pique Les Yeux)… Renaud démystifie son personnage de loubard sur tout cet album et plus particulièrement sur Peau Aime qu’il déclame en public à la fin de l’album. L’album est bon mais trop méconnu. Quand Ma Gonzesse sort en janvier 1979, les critiques sont mitigées. Rock & Folk par exemple, raconte déjà que Renaud est mort, qu’il s’est fait récupérer, que ce ramassis de chanson sentimentalistes est vraiment décevant après un Laisse Béton si juste et engagé. Ce jour là, Rock & Folk a perdu un lecteur et a gagné un ennemi.
Renaud s’énerve, la Renaudmania grandit
Fin 1979, Renaud revient en studio, plus énervé que jamais. Son nouvel album sort en février 1980. Si Ma Gonzesse était un album gentil, Marche À L’Ombre est écrit au vitriol. La chanson la plus violente, est Où C’est Que J’ai Mis Mon Flingue. Énervé par la colère, Renaud fait ses quatre vérités à qui ose s’en prendre à lui. La chanson est une sorte de droit de réponse aux critiques peu aimables qu’il a pu recevoir. Renaud et les journaleux… une grande histoire d’amour :
J’ veux vous remuer dans vos fauteuils.
Vous m’avez un peu trop gonflé.
Tout le reste de la chanson est comme ça. Renaud s’en prend tour à tour aux flics, aux militaires, aux institutions politiques, etc… Cinq ans après Hexagone, Renaud déverse son fiel et ça fait du bien.
« Marche à l’ombre ! »
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À côté de cela, il propose encore une série de chansons plus ou moins engagées, dressant toutes un portrait de la société contemporaine. La plus remarquable est Dans Mon HLM qui dépeint la population des banlieues de l’époque de façon très pertinente. Beaucoup de sociologues reconnaissent que Renaud arrive à exprimer dans ses chansons ce qu’eux même expliquent en quelques centaines de pages. Jacques Attali (économiste, haut fonctionnaire et conseiller de François Mitterrand écrira qu’il échangerait facilement 500 pages sur la sociologie urbaine contre cette chanson.
À noter aussi sur cet album, un petit pied de nez à Gérard Lanvin dans la chanson Les Aventures De Gérard Lambert. En effet, le divorce avec Dominique a enfin été prononcé. Ainsi, le 1er août 1980, Renaud se marie enfin avec sa Domino. Vous allez me dire qu’on en a cure, mais bon vu l’importance de la dame dans la discographie du chanteur, le détail valait la peine d’être évoqué. Mais, cessons donc cet aparté et revenons à nos cheveux jaunes.
Nous sommes à la fin de l’année 1980, en période pré-électorale. L’heure est grave, trois grands ténors s’affrontent, Giscard le champion sortant, Chirac et Mitterrand qui briguent le poste depuis plusieurs années déjà. En 1981, François Mitterrand, dit Tonton est élu Président de la République Française. D’emblée, il fait voter l’abolition de la peine de mort et les radios libres font leur apparition. C’est le début d’une longue histoire d’amour entre Renaud et Tonton.
Renaud poursuit son chemin, toujours le même, celui de la Chetron Sauvage. Il effectue des tournées à travers la France, sort Le Retour De Gérard Lambert en 1981, puis repart en tournée. Il fait son premier concert à L’Olympia qui sera suivi d’un album Live en 1982 Un Olympia Pour Moi Tout Seul. Cependant, il commence à se lasser de tout cela. Son image de voyou le suit partout et devient un peu encombrant, lui qui est père d’une petite Lolita depuis 1980. Il aspire à un peu de tranquillité. C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme… Tatatsin [7] ! Renaud se fait construire un joli voilier en bois et part découvrir un peu la mer. Ça lui prend comme ça, comme une envie de pisser.
Renaud lors d’une manif contre la pêche à la baleine avec Greenpeace
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Anarcho Mitterrandiste
1983 est une année importante pour Renaud. Il est toujours sous contrat avec Polydor et ne leur doit plus qu’un album. Il y a un peu d’eau dans le gaz entre le chanteur et la maison de disques. Rien de bien grave, mais pour son dernier album avec eux, Renaud décide quand même de les faire raquer et part enregistrer son album à Los Angeles. Polydor ne le regrettera pas. À sa sortie, Morgane De Toi est un véritable carton. Plus d’un million d’exemplaires vendus en quelques mois. On sent quand même que sa période loubard est derrière lui. Les chansons sont moins « engagées », plus tendres, plus matures. Renaud se fait plaisir, il chante sa femme enceinte, son amour à sa fille, son amour pour la mer… C’est Gainsbourg (ou plutôt Gainsbarre) qui se charge du clip de Morgane De Toi : des enfants nus qui courent derrière Renaud sur la plage… Oui, je sais c’est super poétique [8] ! Mais le titre reste quand même longtemps au Hit-Parade… Pour en revenir à l’album, on y trouve toujours ces peintures sociales qui caractérisent l’artiste : Doudou S’En Fout, et surtout Deuxième Génération qui tournent autour du thème de l’immigration et surtout de l’intégration. Il détourne aussi la chanson Boris Vian, Le Déserteur, pour en faire une chanson pacifiste à sa manière. Bref, un succès mérité.
Tonton et Renaud
Le 12 janvier 1984, Jack Lang et François Mitterrand inaugurent la salle du Zénith à Paris. Cette nouvelle salle ouvre ses portes à l’emplacement des anciens abattoirs de la Villette, à côté de la Porte de Pantin. Tout le gratin est invité, y compris Renaud qui inaugure la salle en étant le premier à présenter un spectacle sur cette scène du 17 janvier au 5 février. À cette occasion, Renaud rencontre pour la première fois Tonton à qui il envoie depuis quelques années chacun de ses nouveaux albums. Pendant que Trenet ou Higelin assurent l’animation musicale de cette soirée d’inauguration, le chanteur aux cheveux jaunes, lui, l’imprègne des lieux. Cette salle va devenir SA salle mythique. Durant les deux semaines où il assure son spectacle, le Zénith accueille plus de 75 000 spectateurs ! Militant écologiste jusqu’au bout du perfecto, Renaud organise une soirée en honneur à Greenpeace pour sa dernière soirée en invitant pleins de potes à lui : Francis Cabrel, Hugues Aufray, Jean-Louis Aubert et Charlélie Couture.
Le reste de l’année se coule tranquillement. Renaud conquiert le Québec qu’il n’avait pas encore visité, et fait une apparition très remarquée à la Fête de l’Humanité. Puis en 1985, Valérie Lagrange le contacte. L’actualité en Éthiopie est catastrophique. Après les opérations humanitaires lancées autour d’une chanson réunissant plusieurs rock-stars en Angleterre à l’initiative de Bob Geldof (Do They Know It’s Christmas) et aux États-Unis par Michael Jackson (We Are The World), elle estime que Renaud serait le mieux placé pour lancer un tel projet à l’échelle française. Après quelques hésitations, Renaud accepte. Il écrit alors sa Chanson Pour L’Éthiopie et invite une trentaine d’amis rockeurs et comédiens à participer au projet sous le nom de Chanteurs Sans Frontières. Parmi eux : Hugues Aufray, Jean-Louis Aubert, Francis Cabrel, JJ Goldman, Coluche, Gérard Depardieu, etc… [9]
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Le disque se vend à plus d’un million d’exemplaires et après quelque représentations publiques, Coluche peut remettre un chèque d’environ 20 millions de francs aux Médecins Sans Frontières. Quelques rabat-joies frustrés de ne pas avoir pu tirer une partie de la couverture à eux pour récupérer une part du mérite en terme de promotion réagissent. Gérard Lenorman en premier est assez remonté. Renaud lui rétorque par presse interposée : « Toi qui ose nous accuser de manque de générosité, sers-toi plutôt de la tienne pour te réjouir de la réussite de cette démarche humanitaire, malgré ton absence ».
L’été suivant, du 27 juillet au 3 août, Renaud est l’invité vedette d’une délégation française au Festival Mondiale de la Jeunesse et des Étudiants de Moscou. Ce voyage de Renaud au pays des Soviets va profondément remettre en question sa vision du pays. Dès sa descente d’avion, il remarque des flics et autres miliciens à tous les coins de rues, sur toutes les places. Le 30 juillet, Renaud chante au Parc Gorki devant une foule triée sur le volet : plusieurs membres méritant du Parti, mais pas vraiment de jeunes… Tout se passe bien jusqu’au moment ou Renaud chante Déserteur : (…) Quand les russes, les ricains/f’ront péter la planète(…). Deux milles spectateurs se lèvent comme un seul homme et quittent les gradins. Le chanteur est fou de rage, mets termine son set comme il se doit ! Mais la scène a été filmée par FR3 qui compte bien la diffuser comme prévu le 20 septembre. Vous imaginez le scoop : « Renaud rompt avec le Parti ! ». Renaud est profondément atteint par cet épisode. Il est désabusé. Quelques jours après, il écrira Fatigué sur un banc de la Place Rouge :
La liste est bien trop longue de tout ce qui m’écœure
Depuis l’horreur banale du moindre fait divers
Il n’y a plus assez de place dans mon cœur
Pour loger la révolte, le dégoût, la colère
Le Retour de la Chetron Sauvage. Zénith 86.
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À son retour, il retourne à Los Angeles pour enregistrer un nouvel album pour son nouveau label Virgin. Un nouveau succès. Mistral Gagnant, l’album, exprime vraiment sa volonté de se poser, d’aspirer à la tranquillité (Mistral Gagnant, La Pêche À La Ligne, …). La révolte ne transparait plus vraiment dans ses chansons, on ressent d’avantage le côté désabusé qui touche le chanteur. Il exprime surtout son dégoût du monde à travers quelques chansons (Fatigué, Morts Les Enfants). Il rend aussi un hommage acide à la Première Ministre anglaise dans Miss Maggie (« Moi je me changerai en chien/si je peux rester sur la Terre/Et comme réverbère quotidien/Je m’offrirai Madame Thatcher ») [10], et tourne l’armée en dérision dans Trois Matelots.
Quelques mois plus tard, début 86, Renaud squatte de nouveau le Zénith pour une série de concerts restées dans les annales. En effet, plus de 180 000 fans viendront se presser pour voir le chanteur à la Porte de Pantin… Record toujours inégalé. Les concerts de la tournée du Retour De La Chetron Sauvage donnés dans cette salle seront publiés dans un album live en 1995 qui deviendra mythique pour les fans, car introuvable.
Fatigué…
La dépression de Renaud suite à l’histoire de Moscou ne s’arrange pas. D’autant plus que la même année, Renaud perd l’un de ses meilleurs potes dans un accident à la con. Coluche meurt le 19 juin 1986 en percutant un camion à moto. Renaud est très affecté par cette mort tragique. Coluche était son ami depuis son passage au Café de la Gare en 1970. Un ami fidèle. Du genre à débouler chez Renaud et Dominique un beau jour pour leur faire signer des papiers lui donnant la tutelle de Lolita si jamais un malheur devait leur arriver. Au final, c’est lui qui laisse ses deux fils, Marius et Romain derrière lui. Quelques mois plus tard Renaud écrit une chanson en son hommage : Putain de Camion.
Fatigué…
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C’est en 1988 que Renaud sort Putain de Camion en hommage à Coluche. Une pochette noire, sobre, avec des coquelicots au milieu, la fleur préférée du grand clown. Une dédicace s’adresse à Marius et Romain, les deux fils que le comique a laissé orphelins. Mais Renaud lassé des promotions, du petit jeu avec les journalistes, qui en ressort toujours épuisé, refuse d’assurer la promo. Dans les locaux de son agence de presse, Renaud griffonne sur tableau Velléda : « Renaud ne fera aucune promo, aucune radio, ni presse pourrie, ni télé craignos ». L’album ne se vend qu’à 750 00 exemplaires, c’est à dire moitié moins que ses albums précédents. Mais est-ce vraiment à cause du manque promo ? Même s’il y a bien quelques belles chansons, il faut dire aussi que cet album n’est pas à la hauteur de ses prédécesseurs.
Renaud et Lolita
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En 1989, il ne se passe pas grand chose pour Renaud. En juillet il participe à une manifestation et un concert anti G7, en compagnie des Négresses Vertes, et de Johnny Clegg (qu’il a contribué fortement à faire connaitre en France). Le mot d’ordre : « Dettes, Apartheid, Colonies, ça suffat comme ci ! ». La même année, il publie un livre pour enfant La Petite Vague Qui Avait Le Mal De Mer, accompagné d’une K7 ou l’auteur lit le texte. Il sort enfin un double-album live : Visage Pâle Rencontrer Public. Le 9 novembre 1989, les berlinois se révoltent et font tomber le mur, ébranlant tout le bloc soviétique. Un an plus tard Mikhaïl Gorbatchev reçoit le prix Nobel de la paix pour tout ce qu’il a fait depuis, amorçant le démentellement de l’Union Soviétique. Renaud écrit un petit hommage à sa manière (Welcome Gorby) qui paraîtra en Face B du single de la Ballade Nord Irlandaise :
(…)Gorbatchev
Est un p’tit bonhomme épatant
Contre qui je n’ai pour l’instant
Aucun grief
Personne méritait plus que lui
L’prix Nobel de la pénurie
Et de la dèche
Renaud sort son neuvième album Le Marchand De Cailloux. L’album est nostalgique (Les Dimanches A La Con), tendre (C’est Pas Du Pipeau, Dans Ton Sac). Quelques chansons engagées mais pas tellement énervée cependant : L’Aquarium, Marchand de Caillou et la magnifique hymne pacifiste La Ballade Nord-Irlandaise. La plus énervée brocarde avec justesse le Paris-Dakar.
{Allez vas-y Jean-Louis}… Renaud présente Jean-Louis Roques.
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Renaud clame à nouveau son affection pour son président préféré : Tonton, environ quatre ans après la réélection de celui ci. Vers fin 1987, pendant la précampagne, Renaud en avait profité pour crier son soutien au Président sortant en louant une page entière du journal Le Matin pour afficher sa photo avec une inscription : « Tonton ! laisse pas béton ». Mitterrand fut très touché, les journalistes consternés, ça devenait un peu trop. Renaud s’expliquera quelques année plus tard : « J’ai toujours eu une admiration totalement irrationnelle pour lui. Pour l’individu, pas pour sa politique. Et je ne me suis jamais caché pour le lui faire savoir. (…) C’est le seul socialiste que j’aime ». Renaud apprécie l’homme avant le politique. Même l’intervention en Irak en 1990 ne suffit pas à ébranler cette foi en lui. Renaud n’est pas récupéré pour autant comme beaucoup aiment à le dire à ce sujet, il ne s’est jamais retenu d’égratigner son président à travers plusieurs chansons telles que Déserteur.
Fatigué de la scène, des projecteurs, Renaud se retire et prend son temps. Il en profitera pour écrire quelques chroniques pour Charlie Hebdo de 1992 à 1993 [11]. Il partira quelque semaines en tournée dans une Bosnie-Herzegovine dévastée par la guerre. Tournée qu’il relate en détail dans le journal satirique. On viendra aussi le chercher pour participer au tournage d’un film. C’est Claude Berri qui contacte le chanteur énervant. Pour la petite histoire, un jour qu’il a vu Renaud en concert à Bobino en 1980, Claude Berri était venu le voir et lui avait dit : « Un jour je te ferai faire du cinoche. J’attendrai le temps qu’il faudra mais je te trouverai un rôle ! ».
Renaud sur le tournage de Germinal
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Et quel rôle ! Quel rôle pouvait mieux convenir à Renaud, la chetron sauvage, que celui d’Étienne Lantier, l’agitateur syndicaliste, le révolutionnaire du Germinal de Zola. Oh bien sûr, Renaud aurait préféré le rôle de Souvarine l’anarchiste, mais Claude Berri a eu le nez fin et Renaud joua son rôle à merveille, comme s’il enfilait une seconde peau. Durant le tournage, le fils de ch’timi apprit à découvrir le gens de ch’nord, la terre des corons et des terrils, le pays de ses racines. Il fut extrêmement touché au point d’en sortir un album de reprise de chants en Ch’ti, accompagné de son ami Jean-Louis Roques, accordéoniste présent sur ses albums depuis Morgane de Toi.
Jean-Louis Roques a pris de plus en plus d’importance dans la conception des albums de Renaud au fil des ans. Jusqu’à cet album excellent sorti en 1994 : A La Belle De Mai. Il s’agit probablement de l’album de la maturité pour Renaud. Les textes sont mieux écrits que jamais, plus fins, et toujours aussi corrosifs quand le besoin s’en fait sentir (voir La Médaille, brûlot anti militariste). Musicalement, l’album dépasse tout les autres. Complètement acoustique, les arrangements sont assurés par Jean-Louis Roques, et Julien Clerc l’ami de toujours compose la musique de trois morceaux. S’ensuit une longue tournée, probablement la plus longue, qui va le mener jusqu’à fin 1996. Renaud se produit notamment à la salle de la Mutualité, lieu de meeting incontournable pour tous les partis de gauche. Un double-album live Paris-Province en est issu.
En 1995, Renaud fête ses 30 ans de carrière depuis Amoureux de Paname. Pour se faire plaisir et fêter l’événement, Renaud enregistre un album de reprises de son idole. Peu après sa mort en 1981, les proches de Brassens avaient déjà pensé à ce jeune chanteur loubard pour interpréter des titres inédit. Renaud avait hésité puis décliné la proposition estimant qu’il difficile de reprendre les textes du maître aussi tôt après son décès. En 1995 il se sent enfin prêt, et les proches de Brassens le suivent à 100% heureux de cette décision. Renaud Chante Brassens, sot en mars 1996 et a le mérite de remettre le fumeur de pipe au goût du jour, et de le faire connaître aux jeunes générations. La même année, Tonton passe l’arme à gauche… Inutile de préciser que le chanteur énervant est énervé.
Les années sombres
Vous vous souvenez, tout à l’heure je vous disais que Renaud était assez dépressif suite à son chahutage lors de son concert moscovite… Il faut dire que par la suite, la vie ne lui a pas trop fait de cadeaux. Son meilleur pote, Coluche, meure bêtement d’un accident, Desproges le suit deux ans plus tard en suivant un cancer qui passait par là, puis vient le tour de Gainsbourg, et de Tonton… Renaud déprime encore plus, boit de plus en plus, s’enfonce toujours plus bas. Il est de plus en plus insupportable. Dominique qui le soutient depuis toujours n’en peut plus. En 1998, à bout de forces, elle lui suggère de partir. Il part alors s’installer au dessus de la Closerie des Lilas, où il passera le plus clair de son temps à s’enfiler des 102 comme disait Gainsbarre (un double pastis 51).
Tournée 99
Il continue de sombrer jusqu’à ce que ses amis Jean-Pierre Buccolo (qui a signé pas mal de musiques pour Renaud auparavant) et Alain Lanty prennent les choses en main et le forcent quasiment à repartir en tournée avec eux. Rien que tout les trois. Une tournée confidentielle, dans des petites salles de province. Une guitare, un piano, et Renaud. Le chanteur reprend contact avec son public, et propose deux nouvelles chansons Elle A Vu Le Loup, et Boucan D’Enfer… A la question de ses fans qui lui demandent quand il ressortira un album, il répond qu’il n’arrive plus à écrire, et que si cela continue comme ça, il ne sortira pas son album avant 2012…
En 2000, un premier déclic va faire redémarrer la machine. En période de diète, Renaud craque et veut se resservir un verre. Son ami Fiorretti qui est avec lui à ce moment là, lui dit « D’accord. mais tu m’écris d’abord une chanson ». Petit Pédé [12] nait en une heure sur une nappe en papier de la Close. Renaud se rend alors compte qu’il est toujours capable d’écrire. Un autre déclic vient sur la scène du Zénith où il est invité pour les Victoires de la Musique en 2001. Renaud est invité pour recevoir une victoire d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Le chanteur arrive bouffi par l’alcool, la voix complètement HS il peine à aligner deux note convenables sur Mistral Gagnant. Tout le monde pense alors qu’il ne passera pas l’hiver à ce rythme là. En revisionnant la vidéo, Renaud reçoit un coup de pied au cul et décide de se ressaisir. Il retourne en cure, réécrit des chansons et quelques mois plu tard retourne enfin en studio pour enregistrer le onzième album de sa carrière.
Le Retour de Renaud
Boucan d’Enfer sort dans les bacs en juin 2002, et se vent à plusieurs millions d’exemplaires. Retour gagnant. Les critiques sont favorables. Tout le monde est content de le voir revenir. Visiblement il à l’air beaucoup mieux que lors de sa dernière apparition télévisée. Son album est loin d’être excellent, un poil nombriliste, Renaud a perdu son mordant et sa révolte. Sa seule chanson méchante se contentera d’égratigner un BHL qui n’est plus à ça près. Les musiques sonnent un peu variétoches, signées par un Buccolo qui semble un peu bloqué dans le son des années 80. Mais l’album a le mérite d’être là. Et les fans sont contents
Renaud et Romane
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Renaud rencontre alors à la Close une jeune femme qui va changer sa vie : Romane Serda. La jeune fille à alors 29 ans et est animatrice radio sur France Inter. Après avoir passé quelque temps en Angleterre où elle a enregistré quelques chansons sans succès, elle tente de trouver un producteur en France. Mais la mode est aux chanteurs très jeunes et malléable type Starac’, et tout les producteurs la renvoient balader avec ses textes en anglais. « Chantez en Français on verra après ». C’est là qu’intervient Renaud. Il lui écrit une série de chansons, appelle ses amis Lanty et Buccolo pour les musiques et l’album de Romane est prêt. Renaud reprend goût à l’écriture par la même occasion, et Romane redonne une seconde jeunesse au chanteur. Il retrouve son âme de militant et s’engage dans plusieurs combats, principalement celui du mouvement pour la libération d’Inrgrid Bétancourt.
En 2005 les deux amoureux se marient. Renaud écrit pendant ce temps. Il a une quinzaine de chansons quand il rentre en studio, et en écrit encore d’autre au court de l’enregistrement. Il finit par sortir un album de 17 chansons et une version limitée de 24 titres le 2septembre 2006. Rouge Sang se vend encore une fois très très bien. On annonce partout que Renaud à retrouver son flingue [13], les fans sont ravis et retrouvent enfin leur Renaud militant tels qu’ils l’aiment. Il est enfin de retour. Renaud l’énervé, l’énervant, le poète. Mais bon, les critiques sont déjà plus mitigées, et trouvent que la plume de Renaud n’est plus aussi aiguisée qu’elle ne l’a été, et de nouveau remettent l’authenticité du chanteur en doute.
Épilogue
Renaud a conquis des générations entières. Il vous suffira de vous rendre à l’un de ses concerts pour vous en rendre compte. Vous y trouverez des personnes de tout âge, des quinqua qui ont vécu l’arrivé de Renaud en direct, les quadras qui ont grandi avec, et tout leurs enfants… Ses chansons ont su parler à tout le monde. Il racontait ce que tout le monde vivait : une réalité sociale, des coups de gueules engagés, mais aussi des témoignages de vie que chacun peut connaitre. « Renaud fait le boulot de Verlaine avec des mots de bistrot » disait Frédéric Dard en préface d’un recueil de chansons de Renaud, Le Temps des Noyaux, paru en 1988. C’est exactement cela.
Renaud, Militant anti-corrida
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Le voici enfin de retour pour le plus grand bonheur de ses fans. Mais pour beaucoup, il manque encore un truc. Ce qui manque aujourd’hui c’est sa plume qui n’est plus aussi pertinente qu’hier, et ses musiques plutôt dépassées. Cela n’a rien à voir avec une authenticité perdue, ou quelque chose comme cela, ce que beaucoup s’acharnent à raconter. Renaud aurait gagné des fortunes et changé de bord, etc. Il n’y a qu’à entendre l’artiste en interview pour se rendre compte que ses opinions sont toujours les mêmes et autant réfléchies. Pas juste pour faire figure de chanteur de gauche. On y voit aussi qu’il est toujours capable de coup de gueules décapants, et gare à ceux qui le titilleront un peu trop sur ces soit disant revirements. Renaud est ce qu’il est, difficile à suivre. Même si l’on ne comprend pas toujours ses engagements, il est resté fidèle à lui même. Si l’on ne peut plus le suivre sur le plan artistique, on peut toujours respecter l’homme qu’il est et qu’il a toujours été.
[1] sur l’album Laisse Béton, 1977
[2] sur l’album Amoureux de Paname, 1975
[3] cf. la chanson La Coupole sur Amoureux de Paname
[4] Voir la vidéo
[5] Extraits de Laisse Béton…
[6] mention spéciale pour Rock & Folk qui se voit aussi attaqué dans L’Auto-Stoppeuse qui a un pote qui est journaliste chez VSD/ qui écrit parfois chez Rock & Folk sous un faux nom/ puis qui serait pédé comme un phoque mais loin d’être con
[7] Tatatsin : Cri de guerre de visage pâle. Inimitable. le « Tatasin » en débute de chanson annonce en général une situation dramatique, un peu comme le « je serai franc » des hommes politiques qui annonce en général un mensonge. (ext. du Dictionnaire Enervant, Programme-Dictionnaire de la tournée « Visage pâle attaquer Zénith », 1988
[8] Pour voir le clip de Morgane De Toi ? Cliquez Ici !
[9] Cliquez ici pour connaître la liste complète des Chanteurs Sans Frontières
[10] Il en enregistrera une version en anglais qui sera bien évidemment censurée en Angleterre. En revanche elle tournera en boucle dans les pubs d’Irlande du Nord… Étonnant non ?
[11] On peut retrouver ses chroniques dans le recueil Renaud Bille en Tête paru en 1994 aux éditions du Seuil. CF. Sources
[12] Oui, inutile de le préciser mais Pascal Fioretti est homosexuel…
[13] Référence à sa chanson de 1980 Où C’est Que J’ai Mis Mon Flingue sur Marche A L’Ombre
Source : Inside Rock